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Est-ce la fin d’« al-Nakhwa al-arabiya » ?

dimanche 28 septembre 2014 - 19h:11

Ramzy Baroud

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Même si la bravoure Arabe au sein des gouvernements arabes s’étiole, il s’avère que la « Nakhwa » va au-delà des frontières pour atteindre le monde entier.

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Combattants des Brigades Ezzedine al-Qassam, première composante de la résistance palestinienne

Utilisé tel quel, le mot arabe al-Nakhwa signifie « bravoure. » Si on lui ajoute le mot al-Arabiya – la bravoure arabe – le terme prend des significations plus profondes, chargées d’implications et de portées culturelles et même politiques. Mais que penser de la « bravoure arabe » pendant et après l’une des guerres les plus brutales sur Gaza qui s’est étendue du 8 juillet au 26 août, tuant 2163 civils Palestiniens et blessant plus de 11 000 autres ?

Est-ce la fin de la Nakhwa arabe ? A-t-elle un jour existé ?

Étant moi-même un réfugié Palestinien de Gaza, issu d’un milieu paysan des plus simples et modeste, j’ai grandi en croyant qu’al-Nakhwa était un élément essentiel dont se constitue l’identité arabe. Avec al-Rojoula qui signifie « la virilité, la force d’âme et l’héroïsme », al-Karam qui signifie la « générosité » et al-Karama qui n’est autre que la « dignité » et al-Sharaf qui est l’ « honneur, » tous ces traits sont indispensables pour la composition d’une personne droite et honnête. Toute autre possibilité est inconcevablement honteuse.

Ainsi, il n’est pas étonnant de constater que cette terminologie a fortement inspiré et alimenté les chansons nationales palestiniennes et les slogans des générations rebelles qui se sont succédées en Palestine. C’était al-Nakhwa qui a poussé qu soulèvement de Gaza en solidarité avec les victimes des affrontements de la Mosquée d’Al-Aqsa en 2000 qui ont conduit aux années douloureuses de la Seconde Intifada Palestinienne (2000-2005).

C’était al-Karama, la dignité, qui a poussé Gaza dans les rues pour protester contre l’assassinat de quatre Palestiniens embauchés par un camionneur israélien comme main d’œuvre bon marché ; une action ayant entrainé le déclenchement de la Première Intifada Palestinienne (1987-1993)

C’était pour al-Sharaf, l’honneur, que les Gazaouis se sont battus lors de la toute dernière guerre comme des guerriers des légendes anciennes pour empêcher les troupes israéliennes d’envahir et de mettre la main sur une Bande de Gaza assiégée et appauvrie.

Mais l’absence d’une réaction dans les rues arabes - les sociétés arabes étant sans doute absorbées et épuisées par leur propre lutte pour l’honneur et la dignité - et le silence quasi-total de la majorité des gouvernements arabes pendant qu’Israël attaquait sans répit les civils de Gaza, nous poussent à remettre en question l’existence entière de la bravoure arabe.

Pourtant, pour la première fois depuis la guerre américaine de 2003 en Irak, des millions à travers le monde ont protesté pour Gaza dans le cadre d’une action collective globale. Les pays de l’Amérique du Sud ont ouvert la voie, avec quelques gouvernements qui ont traduit leurs paroles en actions uniques et sans précédent, et ne craignant ni les calomnies des médias occidentaux, ni les représailles du gouvernement US. Rares sont les pays arabes qui ont réussi à se rapprocher de ce que la majorité des pays chrétiens de l’Amérique latine, à l’instar de l’équateur, ont fait pour montrer leur solidarité avec Gaza.

Et lorsqu’un cessez-le-feu est entré en vigueur le 26 août, il est devenu difficile pour les Israéliens et même pour les médias occidentaux d’affirmer sérieusement qu’Israël avait emporté l’ « Opération Bordure Protectrice. » Ils ont essayé mais ils n’ont réussi qu’à parvenir à la conclusion que cette guerre n’a pas eu de vainqueur. D’autres ont reconnu que c’est Gaza qui a gagné la guerre parce qu’elle a réussi à empêcher tous les objectifs de guerre fixés par le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu.

S’agissant de certains journalistes arabes dont l’attitude n’est guère surprenante, quoique répugnante et déshonorante et qui ont choisi de garder le silence même au vu de la hausse vertigineuse du nombre de Palestiniens tués dans la Bande de Gaza, ils se sont engagés dans une croisade bien organisée. Alors qu’ils versaient des larmes de crocodile sur les enfants gazaouis, ils n’ont pas manqué d’insister sur le fait que Gaza a perdu, abondant ainsi dans le même sens que les affirmations désespérées de Netanyahu pour se convaincre que sa guerre a atteint ses objectifs.

Nombreux ont été les journalistes et commentateurs bien rémunérés qui n’ont eu de cesse de répéter que « Gaza n’a pas vaincu, telle est la réalité, » comme s’ils cherchaient à compromettre la notion prédominante, à savoir que la résistance n’a pas été vaine. Pour eux, il semble que les Palestiniens ont besoin d’accepter leur rôle de victimes éternelles dans le drame arabe permanent, et rien de plus. Un Palestinien fort, en théorie et en pratique, est l’antithèse de la ligne dominante du scénario politique arabe actuel, fondé sur des dirigeants puissants et des nations faibles. Depuis la Nakba palestinienne (Catastrophe), il n’y que la poésie et les textes officiels qui idéalisent le Palestinien, pour le reste, il n’est que victime éternelle dans la vie de tous les jours.

D’aucuns de ces pseudo intellectuels n’ont même pas fait preuve d’un brin de Nakhwa pour chanter les louanges de la résistance de Gaza et l’ampleur de ses sacrifices. La plupart des combattants de la résistance gazaouie (la majorité d’entre eux sont issus des classes pauvres des réfugiés de Gaza) auraient jeûné, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas mangé et n’ont pas bu d’eau de l’aube jusqu’au coucher du soleil, pendant qu’ils combattaient durant le mois sacré de Ramadan. Beaucoup d’entre eux rompaient leur jeûne avec quelques dattes, s’ils en avaient bien sûr. Comparons donc cela aux inépuisables ravitaillements en nourriture et beaucoup d’autres produits qui étaient disponibles en abondance pour les troupes israéliennes qui envahissaient.

Admettons que l’esprit de ces commentateurs rejette sincèrement le récit de « la victoire de Gaza », le véritable courage de ces hommes et de ces femmes ne méritait-il pas une reconnaissance, aussi simplement exprimée soit-elle, de la part de ces « intellectuels » bien nourris qui agissent depuis de très lointains halls d’hôtels dans de riches capitales Arabes ?

Depuis le lancement du réseau pan-arabe de télévision satellite, le mot « bravoure arabe » a été remis en question à maintes et maintes reprises. En fait, « Aïna al-Nakhwa al-Arabiya ? » - où est la bravoure Arabe ? – a peut-être été la question la plus souvent répétée et soulevée par les auditeurs arabes qui interviennent au téléphone pendant les débats politiques télévisés. Il est vrai que la question a été essentiellement posée dans le contexte palestinien, mais il faudrait reconnaître que cette même question inclut, au fil de la dernière décennie, l’Irak et la Syrie.

Il n’y a pas de réponse définitive pour l’instant. La bravoure arabe n’est de loin pas ce qui domine au sein des classes dirigeantes palestiniennes.

Quelques jours seulement après les cessez-le-feu, les responsables de la classe politique à Ramallah ont lancé des attaques verbales contre l’ancien gouvernement du Hamas au sujet de l’argent, des salaires et des fausses tentatives de coup d’état. Pour le Président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, et d’après les fuites qui ont suivi sa rencontre à Doha avec le responsable du Hamas, Khaled Meshall, la guerre qui a déchiré Gaza semblait être inscrite au second plan puisque l’octogénaire, accablé par une certaine paranoïa, voyait la conspiration partout autour de lui. Son premier Ministre Rami Hamdallah qui s’est comporté comme si son « mandat en tant que Premier ministre » n’incluait pas Gaza durant la guerre est revenu à l’action dès l’annonce du cessez-le-feu. En effet, son gouvernement n’a pas jugé urgent de payer les salaires des employés de Gaza qui ont été embauchés par l’ancien gouvernement dans le territoire assiégé.

Comme si les choses ne pouvaient être pires, une lettre ayant fait l’objet d’une fuite et qui avait été écrite par le Tribunal Pénal International (TPI) aux avocats français a révélé que le gouvernement Abbas a en effet bloqué une demande palestinienne adressée à la TPI visant à traduire en justice le gouvernement Israélien et les responsables militaires pour crimes de guerre. A ce stade, les valeurs de bravoure, de dignité et d’honneur prennent congé puisqu’il ne sert plus à rien de les évoquer. Le temps est venu pour ouvrir un registre de terminologie totalement différent.

Les dissensions intestines scandaleuses ont atteint un degré où les responsables de Fatah accusent l’ancien gouvernement de Gaza et le tiennent pour responsable de la mort des réfugiés gazaouis qui sont montés sur des bateaux bondés et surchargés dans une tentative désespérée pour fuir Gaza et se rendre en Europe. Des commentateurs arabes, avec des objectifs bien précis, ont même blâmé les deux parties, traitant ainsi sur un pied d’égalité ceux qui ont résisté et ceux qui ont conspiré.

Que les responsables palestiniens de Ramallah et quelques journalistes arabes blâment indirectement Gaza pour les guerres et les crimes de guerre d’Israël ne fera que l’affaire d’un Netanyahu en difficulté et qui a absolument besoin d’une répit. Alors que les Palestiniens continuent de contempler les décombres de leurs vies détruites à Gaza, l’aide et la solidarité censées provenir de leurs voisins arabes ou de leurs propres « frères » de Ramallah laissent à désirer.

Et lorsque des commentateurs arabes louent et félicitent Netanyahu pour avoir tué des Palestiniens tandis qu’un porte-parole de l’ONU éclate en sanglots en direct, pleurant les victimes de Gaza, on doit obligatoirement remettre en question les anciennes croyances au sujet de l’exceptionnalisme propre à chacun. Il s’est avéré que al-Nakhwa ne se limite pas aux frontières et peut même s’étendre de la Bolivie au Sri Lanka, et de l’Afrique du Sud à la Norvège.

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* Ramzy Baroud est doctorant à l’université de Exeter, journaliste international directeur du site PalestineChronicle.com et responsable du site d’informations Middle East Eye. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest.fr. Son site personnel : http://www.ramzybaroud.net

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22 septembre 2014 – Middle East Monitor – Vous pouvez consulter cet article en anglais à :
http://www.middleeasteye.net/column...
Traduction : Info-Palestine.eu - Niha


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