16 septembre 2017 - CONNECTEZ-VOUS sur notre nouveau site : CHRONIQUE DE PALESTINE

Pourquoi une véritable unité palestinienne reste difficile à atteindre

jeudi 12 juin 2014 - 16h:50

Ramzy Baroud

Imprimer Imprimer la page

Bookmark and Share


La fragmentation de l’identité politique palestinienne remonte à plusieurs décennies. Il faudra davantage que le « gouvernement d’unité nationale » à Ramallah pour unifier cet état fracturé.

JPEG - 40.4 ko
Khaled Mechaal, dirigeant du Hamas, et Mahmoud Abbas, Président de l’Autorité Palestinienne, annoncent la formation d’un gouvernement d’unité nationale

Les Palestiniens vont finir par réaliser l’unité nationale en dépit de l’euphorie à propos du « gouvernement d’unité nationale » fonctionnant actuellement à Ramallah.

Il faut distinguer clairement entre un arrangement politique Hamas-Fatah nécessité par les circonstances régionales et internationales, et une réelle unité palestinienne.
L’accord conclu au camp de réfugiés al-Shati (la Plage) en avril et qui a mené à la formation d’un gouvernement de transition en Cisjordanie dès juin, n’a pas grand-chose à voir avec l’unité palestinienne.

Celle-ci est une notion beaucoup plus vaste et indispensable. Sans elle, le peuple palestinien risque de perdre plus qu’une plate-forme politique unifiée : son aptitude à s’identifier avec un ensemble d’aspirations nationales, où qu’il soit dans le monde.

Un accord bâclé conclu à Gaza et qui laisse beaucoup de points litigieux à discuter et à régler par divers sous-comités, avec des chances de réussite incertaines, ce n’est guère un prérequis à une unité nationale véritablement durable.

La plupart des commentateurs de presse confondent unité nationale palestinienne avec l’ unité du gouvernement de 14 ministres intronisé à Ramallah. La plupart des supposés technocrates sont reconnus pour leur loyauté ouverte ou plus subtile à l’Autorité Palestinienne (AP) du Président Mahmoud Abbas. Le gouvernement de transition est chargé d’administrer des zones de la Cisjordanie occupée par Israël et de Gaza.

« La coordination sécuritaire »

L’AP est autorisée à opérer en Cisjordanie sous l’œil vigilant de l’armée israélienne. En échange de cet espace d’opération ouvert à l’AP, les forces de l’AP sont engagées dans « la coordination sécuritaire », qui vise à sécuriser les colonies juives illégales, dans la maîtrise de la résistance palestinienne et dans la fourniture d’une ligne de défense pour l’armée israélienne qui en réalité est le seul et unique maître de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est.

Il n’est pas clair encore comment la coordination sécuritaire va affecter la manière dont Israël contrôle Gaza, qui jusqu’à présent est « sécurisé » par un siège hermétique intensifié depuis la victoire du Hamas aux élections de 2006 et la brève guerre civile Hamas-Fatah en 2007.

Il est fort peu probable que le Hamas permette un arrangement de « coordination sécuritaire » similaire à celui qui fonctionne en Cisjordanie, ou à celui qui contrôlait Gaza avant 2006, à savoir par 10 branches séparées de la sécurité AP.
En fait, c’est surtout à cause de ce genre de pratiques - alors sous l’autorité de Mohammed Dahlan et de quelques personnalités du Fatah – que les Gazaouis ont ressenti de plus en plus d’aversion à l’encontre du Fatah.

Malgré l’accord d’unité, Abbas considère toujours la collaboration avec l’armée israélienne comme sacrée.

Mais même si un arrangement alternatif était trouvé pour empêcher une autre rupture avant les élections prévues début 2015, ce qui vient d’avoir lieu mérite à peine le nom d’unité.

Ces dernières semaines, le mot « unité » a été mis à toutes les sauces, parfois erronées, parfois hypocrites. Les cadres du Hamas et du Fatah – dont tous ont un mandat expiré – ont plusieurs fois diffusé une connotation plus sentimentale à « unité », à quelques exceptions près comme le dirigeant du Hamas Khaled Mechaal. Ce dernier, tout en étant optimiste quant à l’avenir potentiel de l’accord, sous-entend que le gouvernement de transition n’est que le premier pas d’un long programme visant à unifier le corps politique palestinien.

Même le New York Times, connu pour soutenir fermement les gouvernements israéliens successifs, appelle lui aussi à l’urgence de l’unité. « S’il doit un jour y avoir un accord de paix israélo-palestinien, … il faut que les Palestiniens soient unis » dit son éditorial signé par l’équipe de rédaction le 6 juin dernier.

Si on évalue la vision du NYT sur l’unité palestinienne en se basant sur son éditorial, on découvrira qu’une telle « unité » vise surtout à servir les intérêts conjoints des Etats-Unis et d’Israël. « Les Etats-Unis doivent être prudents et arriver à faire une distinction entre son soutien au nouveau gouvernement et un appui du Hamas et de son comportement violent et haineux. Pour avoir quelque espoir d’y parvenir, les Etats-Unis et l’Europe doivent continuer à insister pour que M. Abbas tienne ses promesses et ne permette pas au Hamas de prendre la main ».

Le NYT souligne que le Hamas ne peut pas jouer « un rôle plus marqué » dans le futur.
Une unité taillée à l’aune des intérêts israéliens et des fonds américains, ce n’est pas vraiment ce que des millions de Palestiniens souhaitent depuis sept ans. Inutile de la préciser, s’assurer qu’un parti ne va pas dominer l’autre n’est guère une ouverture démocratique.

Les lignes de fracture sont profondes

Mais le Hamas et le Fatah sont eux aussi en faute. Leur absurde guerre intestine et le fait qu’ils se permettent de servir l’ordre du jour d’autres partis, c’est à la fois inexcusable et impardonnable. Penser que les deux partis vont continuer à dominer tout le paysage dirigeant palestinien ces prochaines années n’a rien d’encourageant.

La Palestine ne se résume pas au Hamas et au Fatah, et la désunion palestinienne n’a pas commencé avec ces deux partis, elle a plutôt été partie intégrante de la lutte nationale palestinienne. La fragmentation de l’identité politique palestinienne remonte à plusieurs décennies. C’est peut-être le départ de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) du Liban en 182 qui a accentué la fracture entre la lutte pour la liberté du peuple palestinien et sa direction. C’est à ce moment-là que l’élitisme palestinien a atteint les hautes sphères du pouvoir.

Ensuite, la Palestine s’est réduite à des factions, chacune ayant ses propres symboles, mantras, slogans, agendas et bailleurs de fonds. L’OLP a servi de plate-forme politique dont le seul but, par moments, semblait être de valider le parti du Fatah au pouvoir, et en particulier la branche basée en Tunisie de ce parti. Par la suite, le Parlement palestinien en exil – le Conseil National Palestinien – a été réduit au rôle de béni-oui-oui ratifiant les initiatives politiques des Arafat, Abbas, Qore et quelques autres.

L’ère de la démocratie palestinienne s’achevait : elle devint l’otage d’élections tenues par des prisonniers politiques palestiniens dans les geôles israéliennes et d’élections étudiantes locales dans les territoires occupés.

Avec un mandat autoproclamé, sans aucune plate-forme démocratique, et validée par l’occupation israélienne, l’AP a régné sur les territoires occupés comme il lui plaisait. Les riches sont devenus plus riches, et les pauvres ont fait la queue aux guichets automatiques à la fin du mois en priant pour que leur salaire soit versé à temps sur leur compte en banque. Souvent, ce n’était pas le cas.

Le 5 juin dernier, les fonctionnaires du Hamas et du Fatah se sont bagarrés entre eux et quelquefois avec la police parce que les travailleurs du Hamas n’avaient pas été payés, contrairement à leurs homologues du Fatah.

Ce n’est guère le genre de scène que l’on imagine accompagner un état d’unité nationale. Pour qu’une unité authentique se fasse, il faut qu’elle soit issue entièrement des priorités nationales palestiniennes. Elle ne peut être liée ni à l’aide ni à des allégeances politiques tribales. Elle ne devrait pas chercher à plaire aux USA et à l’UE ni à s’adapter à la sécurité israélienne.

L’unité véritable devrait avant tout retourner aux sources des questions qui ont provoqué la rupture des communautés palestiniennes, en Palestine et partout dans le monde. Elle doit affronter d’importantes questions concernant l’identité palestinienne, les aspirations nationales, la résistance et les perspectives d’une génération tout entière née après la signature des accords d’Oslo en 1993.

L’unité palestinienne n’est pas une question logistique mais une entreprise majeure qui a besoin de nouvelles têtes, de nouveaux noms, de nouvelles réflexions et, osons le dire, d’un nouveau leadership.

JPEG - 5.3 ko

* Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest.fr

Consultez également :

- Jaffa, Nakba et soumoud - 26 mai 2014
- S’y retrouver avec la Syrie ? Impossible... mais indispensable - 8 mai 2014
- Le dilemme d’une Cisjordanie stable - 22 avril 2014
- Ramzy Baroud s’exprime sur la campagne internationale de boycott - 12 mars 2013
- Il faut sauver la mosquée Al-Aqsa - 10 mars 2014
- Omar et le checkpoint : chaque jour est un cauchemar - 28 février 2014
- Libye : le général Hilfer, la CIA et le coup d’État d’opérette - 6 octobre 2013
- Un héritage des pratiques américaines à Abu Ghaïb : torturer les prisonnières irakiennes - 23 février 2014
- Les années noires : l’Irak au bord de l’implosion - 14 février 2014
- Principes pour guider le jeune militant - 4 février 2014
- La question palestinienne ne saurait être réduite à une crise humanitaire - 29 janvier 2014
- « La France est de plus en plus perçue comme l’adversaire du monde arabe » - 21 janvier 2014
- Mourir de faim à Yarmouk, dans l’indifférence générale - 12 janvier 2014
- 2014 verra l’échec de l’Autorité de Ramallah et une montée en puissance de la campagne BDS - 8 janvier 2014

9 juin 2014 - Middle East Eye - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.middleeasteye.net/column...
Traduction : Info-Palestine.eu - AMM


Les articles publiés ne reflètent pas obligatoirement les opinions du groupe de publication, qui dénie toute responsabilité dans leurs contenus, lesquels n'engagent que leurs auteurs ou leurs traducteurs. Nous sommes attentifs à toute proposition d'ajouts ou de corrections.
Le contenu de ce site peut être librement diffusé aux seules conditions suivantes, impératives : mentionner clairement l'origine des articles, le nom du site www.info-palestine.net, ainsi que celui des traducteurs.