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Les colons disparus sont devenus les armes d’une guerre contre l’unité palestinienne

mercredi 18 juin 2014 - 06h:39

Ramzy Baroud

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Le fait plus troublant à propos du premier Ministre israélien se servant des colons disparus pour saper le mouvement d’unité palestinienne, c’est que la tactique semble marcher.

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Une patrouille de soldats israéliens à la recherche de trois jeunes colons juifs à Hébron, Cisjordanie, le 16 juin 2014 - Photo : AA

Quand trois adolescents israéliens de la colonie juive illégale de Gush Etzion ont disparu, le 12 juin, le Premier Ministre israélien Benjamin Netanyahou y a vu l’occasion de discréditer le gouvernement d’unité palestinien nouveau-né.

Depuis, ses déclarations et les actions de l’armée israélienne se sont concentrées sur la mise en accusation du mouvement Hamas, tout en tenant l’Autorité Palestinienne de Mahmoud Abbas pour responsable de la sécurité des colons.

Mais existe-­t-il un lien entre le nouveau gouvernement d’unité palestinien et la sécurité de colons illégitimes en Cisjordanie ? Eh bien oui, selon Netanyahou.

Coeur de cible : le Hamas

Depuis les disparitions, des dizaines de Palestiniens ont été rassemblés par l’armée israélienne, surtout dans la région de Hébron, opération qu’on peut considérer comme une campagne d’arrestations de masse. Beaucoup des personnes arrêtées étaient membres du Hamas, notamment des cadres du mouvement.

« Ceux qui ont perpétré l’enlèvement de nos jeunes sont des gens du Hamas » a répété Netanyahou à une réunion ministérielle ce dimanche.

Depuis, le porte-parole du Hamas, Sami Abu Zuhri, a qualifié les allégations de Netanyahou d’« absurdes ». Il a ajouté que viser des membres du Hamas au moyen d’arrestations « visait à casser la volonté du Hamas en Cisjordanie ».

Les autorités israéliennes ont été bien promptes à lier la disparitions des trois étudiants en judaïsme - Naftali Frenkel et Gilad Shaar, 16 ans et Eyal Yifrach, 19 ans, au nouveau gouvernement d’unité. Le lendemain de leur disparition, le Secrétaire d’État John Kerry téléphonait à Netanyahou pour exprimer l’inquiétude de son gouvernement. Selon le quotidien Jerusalem Post, il a également contacté le Président Mahmoud Abbas, avec un message identique.

L’AP coopérerait, dit-on : « Les Israéliens et l’Autorité Palestinienne coopèrent étroitement dans les efforts de trouver les trois adolescents et de parvenir à une solution rapide du problème » a déclaré un fonctionnaire de Washington au Jerusalem Post.

Aucune inquiétude par contre concernant les centaines d’enfants et adolescents palestiniens dans les geôles israéliennes. Pour l’une ou l’autre raison, les deux dossiers sont traités comme des sujets totalement différents.

Dans l’intervalle, Netanyahou fait son miel de cette histoire de toutes les manières possibles. Dans sa conversation avec Kerry, il a prétendu que les supposés enlèvements étaient « le résultat destructeur » de la récente formation d’un gouvernement AP d’unité.

Comme le Premier Ministre Rami Hamdallah a annoncé un gouvernement de transition comme étant un premier pas vers la réconciliation Hamas-Fatah, Netanyahou et d’autres cadres israéliens ont travaillé dur pour lui mettre des bâtons dans les roues.

L’unité opposée au « processus de paix »

Netanyahou insiste pour que le gouvernement d’unité soit dissous et le pacte d’unité avec le Hamas révoqué s’il veut un jour pouvoir revenir à la table de négociation. Mais de quelles négociations parle-t-il donc ?

Les pourparlers de paix parrainés par les Etats-Unis ont échoué cette année à avancer d’un pas, parce que Netanyahou a continué d’accaparer des terres et d’étendre les colonies. Il n’a même pas réussi à tenir sa promesse - largement symbolique - de libérer quelques prisonniers politiques palestiniens – ce qui aurait permis à Abbas de sauver la face et de poursuivre les pourparlers.

Le 12 juin, Abbas a renoncé à la condition du gel des colonies et il était prêt à se contenter de la libération de quelques prisonniers de longue durée, mais Netanyahou trouvait toujours la chose inacceptable. Dans une déclaration deux jours plus tard à la radio israélienne, Netanyahou décrivait le geste comme « insignifiant ».

Le comportement d’Abbas révèle combien sa position demeure difficile depuis que le Fatah, son parti, et le Hamas ont conclu un accord au camp de réfugiés de Shati, menant dès juin à la formation d’un gouvernement de transition.

L’accord laisse en suspens beaucoup de points litigieux à discuter et à régler par diverses sous-commissions, avec des chances de succès incertaines. Depuis lors, des désaccords ont éclaté à propos de rafles contre des partisans du Hamas en Cisjordanie, des salaires non payés, et d’autres questions.

J’attends que vous nous aidiez

Mais ce n’est là qu’une partie du dilemme d’Abbas. Pour le moment, ses forces de sécurité ont l’autorisation d’opérer en Cisjordanie – mais seulement sous l’œil vigilant de l’armée israélienne. En échange de cet espace d’opération ouvert à l’AP, les forces de l’AP sont engagées dans « la coordination sécuritaire », qui vise à sécuriser les colonies juives illégales, dans la maîtrise de la résistance palestinienne et dans la fourniture d’une ligne de défense pour l’armée israélienne qui en réalité est le seul et unique maître de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est.

Unité ou pas, les attentes de Netanyahou restent les mêmes : « J’attends que vous nous aidiez à retrouver les jeunes enlevés et à capturer les auteurs » a dit Netanyahou à Abbas dans une interview téléphonique le 16 juin 2014.

S’il s’agit vraiment d’enlèvements, ils peuvent avoir été commis par d’autres groupes. Mais le ciblage du Hamas par Israël a des motivations qui sont strictement politiques.
Netanyahou bénéficie sans aucun doute de la tension entre Hamas et Fatah et de tout ce qui peut menacer d’effondrement le gouvernement unitaire. Le Hamas a déjà critiqué Abbas pour sa collaboration avec les Israéliens.

Plus les recherches des jeunes colons dureront, plus Netanyahou disposera d’un levier. " Les kidnappeurs du Hamas sont sortis du territoire contrôlé par l’Autorité Palestinienne et sont retournés dans le territoire contrôlé par le Hamas " selon Netanyahou, dans une accusation soigneusement libellée tant contre le Hamas que contre l’Autorité Palestinienne.

Netanyahou envisage même de déporter des membres du Hamas hors de Cisjordanie, option dangereuse qui pourrait compliquer les relations entre factions palestiniennes et acculant des membres du Hamas à la clandestinité.

Pour Israël, tout ceci crée la diversion nécessaire pour assurer la chute du gouvernement d’unité, et l’ajournement de toute discussion sur un retour aux pourparlers de paix. Pour Netanyahou, c’est une situation gagnant-gagnant.

Quant à Abbas, il est pieds et mains liés par son « engagement » à la sécurité israélienne, condition pour recevoir le soutien du gouvernement US. Récemment, il est même allé jusqu’à décrire sa collaboration avec l’armée israélienne comme sacrée.

Même le négociateur en chef, Saeb Erekat, qui s’était discrédité auprès de nombreux palestiniens en raison de son rôle central révélé dans le scandale des « Documents Palestine », attaque Abbas pour son échec à entreprendre toute action. Dans un enregistrement fuité il évoque Abbas comme « discrédité » et « inutile ». Il ridiculise « l’engagement » d’Abbas envers Israël. « Quel engagement avez-vous pris ? Il ne s’agit pas de votre ferme familiale ! Il s’agit d’une nation, de la Palestine. Elle est plus grande que les individus. Il ne m’a pas écouté. Je le jure, j’ai remis deux fois ma démission » dit une voix attribuée à Erekat.

Dans ces circonstances difficiles, il n’est pas aisé d’imaginer pouvoir atteindre la véritable unité. Et entretemps, Netanyahou continuera de pousser de toute sa puissance pour garantir l’échec palestinien.

Le fait que Netanyahou irait jusqu’à blâmer un gouvernement de technocrates palestiniens opérant sous l’occupation militaire israélienne pour n’avoir pas réussi à protéger des colons juifs illégaux, c’est un témoignage de l’outrance du gouvernement israélien.

Indépendamment des circonstances derrière la disparition des jeunes colons juifs, tout ceci met en lumière la détermination qui est celle de Netanyahou pour s’assurer de la chute du gouvernement palestinien d’unité, quel qu’en soit le prix. Si on considère l’éventail des options dont il dispose, il pourrait bien y réussir.

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* Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest.fr

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16 juin 2014 - Midde East Eye - Vous pouvez consulter cet article à :
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Traduction : Info-Palestine.eu - AMM


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