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Dix choses qui ont changé pour toujours à Gaza

mercredi 20 août 2014 - 06h:56

Ramzy Baroud

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Gaza a tout changé. Il ne faudrait plus que la criminalité et le fascisme israéliens fassent l’objet de débats médiatiques enflammés : il faut les traiter comme un fait incontestable. Dès lors, notre langage, comme notre perception, doivent changer également pour s’adapter à cette réalité incontestable.

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Le village de Johr al-Dik, à l’est de Gaza Ville, pulvérisé par la fureur destructrice d’Israël - Photo : Reuters

Le degré de dévastation provoqué par la dernière offensive d’Israël contre Gaza a convaincu chaque citoyen du monde que le fascisme s’est enraciné très profondément dans la société israélienne. Après chaque épisode de violence perpétré par Israël, les experts en mensonges médiatiques sont déployés avec une seule grande mission : faire absoudre Israël de toute responsabilité dans ses actes de carnage.

Ces apologistes diabolisent non seulement les Palestiniens, mais aussi quiconque ose prendre position en leur faveur. Cette stratégie d’Israël consiste essentiellement à porter le blâme sur la victime. Rien de neuf dans cette tactique : c’est ainsi que le prétendu « conflit israélo-arabe » a été présenté dans les médias occidentaux.

Leur narration est toujours plus proche de la version officielle et du discours médiatique israélien que de ceux des Palestiniens, malgré les décennies d’occupation militaire, les guerres successives et les innombrables massacres.

Depuis le début du siège de Gaza, à la suite des élections démocratiques qui ont donné le pouvoir au Hamas en janvier 2006, Israël a dû faire appel à tout son savoir-faire en matière de hasbara [communication de propagande] – ainsi qu’à ses partisans en Occident - pour expliquer pourquoi une population a été brutalisée pour avoir fait un choix démocratique.

L’ampleur des tromperies impliquées dans la version soigneusement articulée d’Israël et qui, entre autres ruses, assimile le Hamas à al-Qaeda, (comme Israël l’avait déjà fait pour feu Yasser Arafat et Hitler) a atteint des sommets, mêmes selon les propres critères d’Israël.

Les médias occidentaux ont diabolisé le Hamas, la résistance et tous les autres « mauvais » Palestiniens qui ont voté pour le mouvement, tout en ignorant volontairement le fascisme qui a pris le dessus dans la société israélienne.

Pour que le « mauvais Palestinien » puisse exister - c’est-à-dire un « extrémiste radical » anti-paix – il faut toujours qu’il y ait un « bon » Palestinien, représenté par le Président de l’Autorité Palestinienne (AP) ou par toute faction, personne ou dirigeant disposés à coexister avec l’occupant israélien.

L’AP est même allée plus loin dans sa coopération avec Israël pour en finir avec les « radicaux » palestiniens, tels ceux qui persistent dans leur résistance à l’occupation.

Grâce à l’AP, le prix de l’occupation israélienne n’a jamais été aussi bon marché. Malgré les tentatives répétées pou réactiver le prétendu processus de paix, le Premier Ministre Benjamin Netanyahou a toujours trouvé le moyen de torpiller ces efforts, même ceux de ses plus proches alliés à Washington.

Pour Netanyahou, la « paix » est un risque majeur, puisque son gouvernement est soutenu par des nationalistes et des extrémistes juifs qui ne ressentent pas vraiment le besoin de mettre fin à leur colonisation de la Cisjordanie.

Abbas a fait largement sa part pour qu’Israël ne sente pas de pression à devoir négocier. Toute tentative de résistance, même le simple fait de se tenir pacifiquement avec des calicots et des drapeaux au square al-Manara à Ramallah, a été écrasée, souvent brutalement.

Toutefois, Gaza est resté une exception

La brutalité d’Israël y a atteint des sommets jamais égalés, en particulier après l’opération Plomb Durci qui a tué et blessé des milliers de personnes. Beaucoup avaient prédit que les crimes commis à Gaza inverseraient la marée, contre Israël, mais ce ne fut pas le cas. L’influence qu’Israël fait jouer sur les médias était encore assez puissante pour qu’il réussisse, au moins, à neutraliser l’impact de son opération.

Les Printemps arabes et la dévaluation de la vie humaine à laquelle on assiste en Syrie, en Libye et en Égypte, ont en quelque sorte couvert d’un linceul les crimes commis à Gaza - mais juste temporairement.

Mais la récente guerre d’Israël contre Gaza, l’été 2014, équivaut à un génocide

Israël arguant qu’il « se défendait » : cela ne suffisait plus. Toute la hasbara déployée n’a pas suffi à expliquer pourquoi il faudrait enterrer vivantes des familles entières, exécuter sommairement des civils, pulvériser des quartiers entiers, envoyer des bombes sur des enfants jouant sur la plage pendant une « accalmie » trompeuse, détruire des dizaines de mosquées et d’églises et tuer d’autres enfants qui dormaient dans des écoles de l’ONU converties en refuges temporaires.

Pour Israël il est particulièrement embarrassant, mais aussi impressionnant que la résistance de Gaza, seule face à des dizaines de milliers d’envahisseurs bien armés, ait à partir de tunnels tué 64 Israéliens. Tous, sauf trois, étaient des militaires, tués pour la plupart à l’intérieur de la bande de Gaza.

Lorsque le monde a pris conscience du degré de dévastation causé par Israël à Gaza, beaucoup ont également pris conscience qu’une telle fureur n’est pas sans lien avec le fascisme qui s’est emparé de la société israélienne depuis des années. En Israël il n’y a plus de place pour la dissidence, et ceux qui sont le plus haut placés dans les sphères du pouvoir sont ceux-là même qui prêchent ouvertement et librement pour le génocide.

Dans un excellent article paru dans The American Conservative en 2006, Scott McConnell écrivait : « Toutes les sociétés ont leur groupes de haineux et d’extrémistes, mais nulle part dans le monde ils ne sont plus proches du coeur du pouvoir qu’en Israël ». Il précisait : « Dans les années ’80, Meir Kahane avait quelques partisans, mais son parti favorable au nettoyage ethnique a été rendu illégal. Aujourd’hui, les kahanistes sont au centre de l’idéologie dominant le pays ».

Ce thème a été discuté dans le contexte des déclarations de Moshe Feiglin, vice-président de la Knesset et « joueur-vedette dans le Parti du Likoud qui gouverne Israël ». Feiglin a lancé » des appels pour que les Palestiniens de Gaza soient réimplantés dans des camps de concentration, et pour que le Hamas et tous ses partisans soient « annihilés ». Alors comment, en conscience, protester contre ceux qui inspirent l’analogie nazie avec ce qui se passe en Palestine ?

Car en ce temps de médias sociaux, où les réseaux d’information dominants n’ont plus la mainmise complète sur le récit des événements, aucun intellectuel, journaliste, officiel ni citoyen ne peut plus plaider l’ignorance et rester sur la frontière de la neutralité.

En effet, Gaza a tout changé. Il ne faudrait plus que la criminalité et le fascisme israéliens soient un objet de débats médiatiques enflammés : il faut les traiter comme un fait incontestable. Dès lors, notre langage, comme notre perception, doivent changer également pour s’adapter à cette réalité incontestable :

1. L’occupation militaire doit être rejetée complètement et sans conditions. Les Palestiniens ne peuvent être jugés pour s’être défendus et avoir résisté à Israël afin de mettre un terme à l’occupation militaire et au blocus, et pour obtenir la liberté. La lutte armée est un droit reconnu par le droit international aux peuples vivant sous occupation étrangère.

2. Icône de l’anti-apartheid, Desmond Tutu a dit un jour : « Si vous êtes neutre dans des situation d’injustice, vous avez choisi le camp de l’oppresseur ». Il ne peut plus y avoir de place pour la neutralité quand des milliers de civils se font brutalement assassiner par une armée d’invasion. Dans un tel contexte, la neutralité est une lâcheté intellectuelle absolue, voire un soutien aux crimes d’Israël.

3. Les tabous frappant les analogies entre l’occupation israélienne et l’apartheid ou les comportements nazis devraient être levés. Alors que les principes racistes qui ont permis l’apartheid sont appliqués chaque jour par Israël, l’analogie devrait être poussée bien plus loin quand on considère le génocide tel qu’il a été mis en œuvre à Gaza.

4. Il ne peut y avoir de reproches portés sur les deux côtés, comme pour éviter de faire porter la responsabilité entière sur l’occupation et l’armée israéliennes. La résistance palestinienne qui a bloqué l’avancée des chars à Jabaliya et Chejaya est une expression héroïque de la valeur du peuple palestinien. La lutte armée au cours de la Seconde Guerre mondiale continue d’être admirée dans le monde entier. Il ne faut pas que les Palestiniens fassent exception.

5. Il ne peut y avoir de bons et de mauvais Palestiniens. Il y a ceux qui résistent, et ceux qui collaborent avec l’ennemi, ceux qui paient le prix et ceux qui profitent de l’occupation.

6. Israël est un état fasciste. Il contrôle les médias et réprime les dissidents. Il fait usage de violence pour atteindre ses objectifs politiques et ne recule pas devant le recours au génocide quand cela convient à ses intérêts. Revenir à des allégations comme « la seule démocratie du Moyen-Orient » est un signe d’ignorance délibérée et n’est plus tolérable.

7. La notion de « conflit israélo-arabe » porte à confusion. Les limites d’une confusion géographique ont été atteintes. En outre, il n’y a pas de conflit proprement dit, mais une occupation militaire et un état de guerre unilatérale. Les Palestiniens la mènent seuls, mais ils sont soutenus par des gens du monde entier, de toute couleur, race, religion et nationalité.

8. Le blocus israélien de Gaza n’aurait pas été possible sans le soutien total de l’Égypte. L’Égypte est également coupable des souffrances des Palestiniens, et elle doit être reconnue comme telle, condamnée, et porter une responsabilité légale pour un tel crime.

9. Ceux qui soutiennent la Palestine ne devraient plus voir les Palestiniens avec un sentiment de pitié, mais de respect et d’admiration pour leur courage et leur héroïsme.

10. Et enfin, pour faire cesser le génocide et l’occupation, la roue de l’action perpétuelle doit tourner et encore tourner. Ceux qui soutiennent Israël doivent être démasqués, et ceux qui facilitent l’occupation et soutiennent sa machine de guerre participent aux crimes de guerre commis chaque jour à Gaza et dans le reste de la Palestine. Il faut les boycotter. Le mouvement de Boycott, Désinvestissement, Sanctions BDS doit croître et servir de plate-forme principale pour la solidarité internationale.

Le temps des discours futés non suivis d’action est passé depuis longtemps, et ceux qui restent indulgents, « soft » avec Israël, pour une ou l’autre raison, n’ont pas leur place dans ce qui devient un mouvement mondial avec des revendications sans compromis : cesser l’occupation, punir ses suppôts, mettre fin au nettoyage ethnique et au génocide, terminer le blocus et faire comparaître Israël et ses complices devant la cour pénale internationale pour leurs crimes de guerre massifs et leurs crimes contre l’humanité.

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* Ramzy Baroud est doctorant à l’université de Exeter, journaliste international directeur du site PalestineChronicle.com et responsable du site d’informations Middle East Eye. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest.fr. Son site personnel : http://www.ramzybaroud.net

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15 août 2014 - Middle East Eye -Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.middleeasteye.net/column...
Traduction : Info-Palestine.eu - Marie Meert


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