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Ramallah, Gaza, et leur crise identitaire

dimanche 22 septembre 2013 - 07h:42

Ramzy Baroud

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S’il est question de kilomètres, la distance entre Gaza et Ramallah, est courte. Mais en fait, ces deux villes représentent deux réalités politiques séparées, avec des dimensions culturelles et socio-économiques auxquelles elles ne peuvent échapper.

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Manifestation à Ramallah contre l’Autorité palestinienne et sa politique répressive - Photo : Demotix

Leurs horizons géopolitiques sont tout aussi différents : Gaza est limitrophe du monde arabe et de ses bouleversements, alors que Ramallah est occidentalisé dans trop d’aspects pour même les énumérer. Ces dernières années, l’écart s’est approfondi comme jamais auparavant.

Naturellement, Gaza et Ramallah ont toujours été, par certains aspects, différents. Leur démographie, leur taille, leur topographie et leur proximité géographique avec des pays arabes aux priorités politiques différentes, les ont toujours séparées et distinguées l’une de l’autre. Mais l’occupation israélienne de Jérusalem Est, de la Cisjordanie et de Gaza en 1967 avait sans appel extrait Ramallah de son milieu jordanien, et Gaza de son milieu politique égyptien. Bien qu’elles soient toutes deux des villes palestiniennes, des décennies de dépendance par rapport aux affaires arabes avaient créé une distance qui paraissait parfois trop grande pour être franchie. L’occupation israélienne a cependant revitalisé une expérience palestinienne commune, une lutte partagée contre un ennemi commun. En dépit de ses nombreux points faibles, l’Organisation pour la Libération de la Palestine [OLP] a par la suite comblé l’absence de leadership, unifiant de ce fait les rangs des Palestiniens de Ramallah, de Gaza, et de la Diaspora.

En dépit de sa corruption endémique et de ses discutables qualifications démocratiques, l’OLP a fait plus que simplement rassemblé les Palestiniens autour d’un ensemble d’idéaux et de "constantes", et elle a aidé tout au long des années à tisser un discours politique palestinien commun, chargé de références révolutionnaires, universel dans ses objectifs mais exclusivement palestinien dans son attitude. Il y eu en effet toute une période où un professeur Palestinien enseignant au Koweït partageait les mêmes idéaux avec un réfugié au Liban, sur un étudiant en Russie et un travailleur dans Gaza.

Ces temps sont maintenant loin, et beaucoup de facteurs ont contribué à fragmenter le discours palestinien. Les circonstances régionales et internationales ont mené à la fragmentation de l’OLP et à l’avènement de l’ère d’Oslo sous le patronage des États-Unis et d’autres gouvernements occidentaux. Le consentement de la direction palestinienne en septembre 1993 n’était pas complètement inattendu, mais la vitesse et l’ampleur de cette retraite étaient si excessives et démobilisantes que cela représentait une crise comparable aux défaites militaires arabes qui avaient précédé. Une défaite suite à une bataille a souvent comme conséquence des changements fondamentaux dans le paysage, mais Oslo était la soumission à une défaite et un renoncement, sinon l’acceptation de toutes ses conséquences. Une défaite psychologique peut être plus dommageable qu’une défaite sur un champ de bataille.

Parfois ouvertement, et d’autres fois subtilement, les rapports qui ont soudé la société palestinienne pendant des générations ont commencé à se distendre. L’OLP a été rapidement mise à l’écart en faveur de sa copie locale : une Autorité Palestinienne atrocement factieuse. Les organisations en dehors d’OLP se sont développées avec leur propre stratégie et programme afin d’essayer de combler le vide. Les organisations comme le Hamas, cependant, n’étaient pas préparées à une croissance aussi soudaine. Alors qu’elles incarnaient une résistance en opposition avec la reddition de l’AP, elles manquaient d’un discours politique et unificateur. Elles invoquaient un monde islamique dépourvu de réalité comme puissance politique, et elles se sont par la suite rendues quasi dépendantes de quelques Etats Arabes aux ordres du jour confus, mais pleins de rhétorique et intéressés.

On ne sait plus très bien ce que Gaza et Ramallah ont toujours en commun. Il est évident que les langages adoptés dans chacune des deux villes sont différents, que les revendications divergent et que les attentes politiques ne vont plus de paire. C’est en fait beaucoup plus dangereux qu’une simple question de leadership qui a failli, puisqu’il s’agit de l’effondrement d’un discours national ou même encore pire, d’une fragmentation d’une identité nationale.

Naturellement, beaucoup de Palestiniens en beaucoup de lieux se soucient toujours profondément de la Palestine, mais ils ne s’inquiètent pas la même manière, ou plus précisément, ils ne se rassemblent généralement pas pour la "cause Palestinienne" autour d’un ensemble d’objectifs communs, émanant d’un ensemble d’idéaux communs. C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles le mouvement de Boycott, de Désinvestissement et de Sanctions (BDS) s’est développé de façon exponentielle ces dernières années, prenant une ampleur qui dépasse celle d’un simple regroupement de militants exigeant un boycott des produits israéliens. Il y a une soif évidente pour des solutions alternatives. Oslo a fait plus que diviser les Palestiniens en une multitudes de groupes et milieux divergents. Il a également mis en pleine confusion et affaibli les soutiens extérieurs à la cause palestinienne.

Quand le défunt dirigeant palestinien Yasser Arafat a signé les accords d’Oslo il y a vingt ans, le débat était alors centrée sur les idées et les questions qui sont encore celles d’aujourd’hui : négocier la paix alors que les colonies ne cessent de s’étendre, et sous l’occupation militaire ? L’absence pour Arafat d’un mandat moral et politique pour brader les droits historiques de toute une nation ? La sincérité d’Israël et la prédisposition américaine à soutenir l’État sioniste en toutes circonstances ? Etc... Mais pour les Palestiniens, la discussion doit se poursuivre au-delà et inclure les dangers qui vont subsister même longtemps après que les conspirateurs d’Oslo s’en seront allés.

Des questions cruciales et très complexes doivent être posées et abordées sans précipitation et en évitant d’accroître les divisions. Combien de temps le peuple palestinien peut-il sauvegarder le sentiment d’appartenance à une même nation dans de telles conditions : le tribalisme politique, la division géographique, le sectarisme, les discours haineux des médias, la mise sous tutelle de l’indépendance politique palestinienne devant les donateurs et les pays de Golfe, la marginalisation de la Palestine à la suite des bouleversements politiques dans le monde arabe et des guerres civiles ? Doit-on attendre des Palestiniens qu’ils gardent leur sens d’une identité commune uniquement sur la base d’un sentiment partagé d’injustice provoqué par l’occupation israélienne, le système d’Apartheid et la discrimination ?

La Palestine est plus qu’un drapeau et un hymne national, et les Palestiniens sont unis par quelque chose de plus que leur affiliation organisationnelle, leurs sympathies politiques ou leur aversion du soldat israélien et des barrages militaires. Mais les directions politiques dans Ramallah et à Gaza sont incapables de définir ou de représenter une véritable identité palestinienne qui transcende le temps et l’espace. La fragmentation de l’identité palestinienne ne cessera pas mais au contraire s’intensifiera si une troisième voie, issue de la volonté commune des Palestiniens, n’est pas proposée à la société palestinienne et défendue avec une constante résolution. Cette troisième voie ne doit pas être l’affaire d’une élite ni être issue de travaux universitaires ou de conférences de presse, mais elle doit surgir des rues de Gaza et de Ramallah. A cette condition seulement, Gaza et Ramallah pourront une fois de plus retrouver leurs liens historiques.

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* Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Fnac.com

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13 septembre 2013 – The Palestine Chronicle – Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.palestinechronicle.com/t...
Traduction : Info-Palestine.eu – Claude Zurbach


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