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Sectarisme et discours irrationnels... Des raisons d’être inquiet !

vendredi 14 juin 2013 - 07h:56

Ramzy Baroud

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Mon ami Hanna est syrien et il se trouve qu’il est aussi chrétien. Ce dernier fait porte rarement de conséquence, sauf quand il veut se vanter de la contribution des chrétiens arabes aux cultures du Moyen-Orient. Bien sûr, il a raison. L’identité arabe moderne a été construite avec un fascinant mélange de religions, de communautés et de groupes humains.

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Les États-Unis ont laissé un héritage terrible derrière eux... L’Irak connait aujourd’hui une vague d’attentats sans précédent - Photo : AFP

Le christianisme, ainsi que l’islam est profondément enraciné dans de nombreux aspects de la vie du monde arabe. Inutile de dire que les liens entre l’islam et le christianisme sont tout simplement indestructibles.

« Je suis chrétien, mais, en termes de culture, je suis aussi un musulman », me dit-il en guise d’introduction pour un aveu douloureux : « mais maintenant, je suis très inquiet. »

La liste des soucis de Hanna est longue. Le plus lourd parmi eux est le fait que les Arabes chrétiens dans certaines sociétés arabes sont de plus en plus considérés comme des « étrangers » ou des « invités » dans leur propre pays. À certains moments, comme ce fut le cas en Irak, ils sont frappés par un groupe extrémiste ou un autre pour simplement être de la même religion que les fanatiques américano-occidentaux qui prétendent les représenter.

Des églises ont explosé en représailles brutales pour une guerre sauvage que le président George W. Bush et ses acolytes ont prétendu mener pour la défense du bien contre le mal. En utilisant les références religieuses les plus folles, ils ont mis l’Irak sur les genoux, n’épargnant ni les musulmans ni les chrétiens.

Pendant les premières années de la guerre, de nombreux intellectuels arabes se méfiaient déjà de la fracture sinistre que les États-Unis érigeait entre les religions, les sectes et les communautés. Beaucoup dans les médias arabes faisaient référence à des expériences du passé, à l’époque où d’autres puissances impériales - à savoir la Grande-Bretagne et la France - avaient recours au stratagème de « diviser et conquérir ».

Ces tentatives dans la première moitié du 20e siècle ont fait couler beaucoup de sang et marqué des cicatrices durables dans de nombreuses communautés. Le Liban est l’exemple le plus évident, avec l’Irak à présent en tête.

En réponse aux tentatives coloniales de pousser les Arabes dans des conflits internes, les nationalistes arabes répondaient alors avec un discours qui s’est avéré d’une immense valeur pour l’identité arabe moderne.

Pour échapper aux pièges des clivages religieux et sectaires et pour libérer les énergies inexploitées des sociétés arabes, il y avait un besoin urgent d’articuler un nouveau discours politique pan-arabe et unificateur. Dans l’après-seconde Guerre mondiale, la montée du nationalisme arabe a été la force qui comptait, en Égypte, Irak et Syrie.

C’était une bataille de volontés contre les puissances impérialistes, rejointes plus tard par les États-Unis. Ce sont aussi les élites locales, tribales, qui luttaient pour leur propre survie. Le discours nationaliste devait inspirer des discours puissants depuis Gamal Abdel Nasser en Égypte, jusqu’aux pensées pleines d’inspiration de Michel Aflaq en Syrie, en Irak et ailleurs.

Au moins à ce moment-là, cela semblait de peu d’importance que Nasser soit un musulman sunnite égyptien, et que Aflaq soit un grec chrétien-orthodoxe.

Aflaq était inspiré, et son insistance sur la vitalité du caractère musulman propre aux Arabes témoignait de la pensée de toute une génération de nationalistes qui, depuis, a presque complètement disparu. Il parlait de l’unité arabe non comme d’ un rêve lointain mais comme d’un moyen réel pour se libérer de tant de sinistres dominations.

« Quelle liberté pourrait être plus grande que celle qui nous lie à la renaissance de la nation et de la révolution ? » a-t-il dit lors d’un discours. « C’est une nouvelle et ferme liberté qui se dresse contre la pression et la confusion. La dictature est un système précaire, inadapté et contradictoire qui ne permette pas à la conscience des peuples de grandir ».

De nombreuses voix se sont faites l’écho de ce sentiment dans les pays arabes, proches et lointains. Les poètes chantaient la volonté des combattants de la liberté et des artistes ont repris le langage des philosophes. Alors que les mouvements nationalistes arabes finirent par se fragmenter, à être affaiblis ou vaincus, une identité arabe a survécu. Longtemps après que Nasser soit mort, et même après qu’Anouar al-Saddate ait signé les accords de Camp David, brisant ainsi le consensus arabe, les élèves des écoles ont continué à chanter « la patrie arabe est ma demeure, du Levant à Bagdad, de Najd au Yémen à l’Égypte et au Maroc. »

La guerre contre le nationalisme arabe n’a cependant jamais cessé, car celui-ci continuait à se manifester, d’une manière réelle comme figurative. Israël et les puissances occidentales, avec comme objectif la domination militaire et régionale et, finalement, le contrôle des ressources, ont fait de leur mieux pour briser les quelques éléments qui permettaient un sentiment d’unité entre les nations arabes et qui avaient survécu malgré de nombreuses et peut-être insurmontables contradictions.

La guerre civile libanaise (1975-1990) a laissé des blessures profondes qui continuent à s’infecter. La guerre en Irak a été particulièrement douloureuse. Alors que la guerre civile au Liban a impliqué des sectes bien délimitées, les alliances étaient en constant mouvement.

Mais la guerre civile en Irak, encouragée et soutenue avec une participation américaine directe pour affaiblir la résistance irakienne à l’occupation américano-britannique, était bien définie et brutale. Les musulmans chiites et sunnites se sont engagés dans une lutte acharnée tandis que les troupes américaines faisaient des ravages à Bagdad.

Les membres de toutes les sectes ont payé un lourd tribut dans ce combat, qui a également affaibli l’identité nationale irakienne et a fait une parodie de son drapeau et de son hymne national. L’impact socio-politique de cette guerre est terriblement grave, car il ressuscite un discours réactionnaire qui a forcé de nombreuses communautés à se considérer comme membres d’un groupe ou d’une autre, chacun luttant pour sa propre survie.

Peu de temps après la révolution égyptienne, je me promenais dans les rues du Caire, plein de souvenirs, avec beaucoup d’émotion, pensant au passé mais aussi à un avenir plein de promesses.

Une « nouvelle Égypte » était en train de naître, ouvrant un large espace pour tous ses enfants. Une Égypte où les pauvres auraient leur juste part et où les musulmans et les chrétiens et les autres iraient de l’avant, main dans la main, comme des égaux, liés par la vision d’une nouvelle génération et les espoirs et les rêves de tous.

Ce n’était pas une idée abstraite, mais une pensée inspirée par des millions d’Égyptiens, par des hommes musulmans et barbus protégeant les églises au Caire contre les tentatives du gouvernement [Moubarak] de susciter des tensions religieuses, par la jeunesse chrétienne gardant la place Tahrir tandis que la jeunesse musulmane priait, avant qu’ils ne reprennent tous leur lutte pour la liberté.

Malgré ma volonté d’être optimiste, je trouve le discours politique actuel haineux, polarisant et défaitiste comme jamais. Alors que les élites politiques musulmanes sont très divisées entre chiites et sunnites, voulant donner du sens au fait que l’on soit né ici ou là, cette querelle a été concoctée dans un jeu entre puissances qui a détruit la Syrie, réveillé les animosités passées au Liban et relancé le conflit en Irak, dévastant encore plus gravement l’identité arabe.

Le dilemme historique de l’Irak, exploité par les États-Unis pour son profit immédiat, est devenu un dilemme pan-arabe. Les médias arabes et du Moyen-Orient écrivent que les conflits exploitant une terminologie sectaire et obsédés par la mise en place de divisions, n’apporteront rien d’autre que la méfiance, la misère et la guerre.

Ressusciter Nasser et le nationalisme arabe d’Aflaq pourrait ne plus être possible, mais il y a une nécessité impérieuse d’un discours alternatif au genre d’extrémisme intellectuel qui justifie en toute conscience le massacre des habitants d’un village entier en Syrie en raison de leur appartenance communautaire ou de leur religion . Mon ami Hanna a toutes les raisons de s’inquiéter, comme devraient le faire tous les Arabes.

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* Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Fnac.com

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11 juin 2013 - The Palestine Chronicle - Vous pouvez consulter cet article à : http://palestinechronicle.com/secta...
Traduction : Info-Palestine.eu - Claude Zurbach


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