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Gaza : une nouvelle réalité s’impose à l’occupant
jeudi 11 septembre 2014 - Ramzy Baroud
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Khan Younès, août 2014 - Manifestation de soutien à la résistance palestinienne

En plus d’être un échec militaire de grande envergure, la guerre d’Israël contre Gaza a désorienté les politiques du Premier ministre Benjamin Netanyahu comme jamais auparavant. Depuis l’annonce d’un cessez-le 26 août, ses déclarations semblent erratiques et particulièrement confuses, un résultat que l’on pouvait attendre de la guerre contre Gaza.

Depuis son premier mandat en tant que Premier ministre (1996-1999), M. Netanyahu a montré une remarquable capacité à manipuler les événements politiques et militaires pour répondre parfaitement à ses objectifs politiques déclarés. Il a fabriqué d’imminentes menaces qui n’étaient ni des menaces ni imminentes, par exemple, les armes inexistantes de destruction massive irakiennes. Plus tard, il s’en est pris à l’Iran.

Il a posé trop de conditions et d’obstacles pour que des accords de paix soient jamais réalisables. Le défunt leader palestinien Yasser Arafat, s’était escrimé pendant des années à répondre aux conditions d’Israël, et en vain. Abbas a emprunté la même voie sans issue. Mais les conditions de Netanyahu sont spécifiquement élaborées pour être justement inapplicables.

Par exemple, Netanyahu insiste pour que la direction palestinienne accepte le droit d’Israël à exister en tant qu’État juif, en dépit du fait que des millions de musulmans et de chrétiens palestiniens partagent cette terre qui a constitué pendant des siècles la terre de la Palestine historique. Liquider les droits des non-Juifs est non seulement antidémocratique, mais revient aussi à ouvrir la voie à une autre campagne de nettoyage ethnique des Palestiniens.

En réalité, rien de tout cela n’importe vraiment à Netanyahu. Pour lui, prolonger des « pourparlers de paix » doit servir d’écran de fumée pour ses projets de constructions coloniales, plus voraces que jamais. Il confisque les terres palestiniennes occupées en toute impunité, tout en osant prétendre que les intentions d’Israël ont toujours été, et restent pacifiques.

Survie politique

Pendant près de deux décennies, M. Netanyahu a négocié sa survie politique en s’appuyant très habilement sur cette stratégie, jouant en sous-main sur des craintes existantes et fabriquant de toutes pièces des menaces. Pour lui, le Hamas, le Hezbollah, l’État islamique (IS), al-Qaïda, les Frères musulmans, l’Iran, la Syrie et consorts, sont une seule et même chose. Bien sûr, ce n’est pas le cas, et il le sait très bien.

Si l’on parcourt ses discours et interviews avec les médias au fil des ans, on peut facilement y retrouver un discours bien façonné. Aucune menace, cependant, n’a été aussi exagérée et trompeusement présentée que celle du Hamas. Chaque fois que le discours sur Iran devenait trop répétitif et peu convaincant - et comme le Hezbollah (en particulier dans les trois dernières années) n’était plus la question à l’ordre du jour - il s’en est pris au Hamas. Beaucoup dans les médias, volontairement ou par pure ignorance, ont été manipulés par Netanyahu, présentant le mouvement politique palestinien et son aile militaire comme une menace qui a « juré » de détruire Israël.

La diabolisation des Palestiniens a toujours été une composante essentielle dans les stratégies militaires d’Israël tout au long des années, à commencer par les fidayeen, les socialistes, l’OLP et ainsi de suite. Elle rend le prix politique de toute guerre relativement léger. Et pour Israël, la guerre est un des principaux piliers de sa politique dans la région. Les ennemis d’Israël se voient rappelés quelle est leur place, et se voient aussi « donner une leçon » à chaque fois que jugé nécessaire.

La guerre pour Israël est aussi un outil important pour détourner l’attention des problèmes politiques domestiques, d’une économie qui s’essouffle ou de tout autre sujet. Les guerres de Netanyahou et d’Israël contre Gaza au cours des dernières années ont souvent servi de dérivatif face à un échec politique ou autre. Les bombardement de Gaza représentent une stratégie très pratique et peu coûteuse pour que des politiciens israéliens se donnent de la carrure. Ariel Sharon en a maîtrisé l’art, et d’autres l’ont fait après lui, dont Ehud Barak, Ehud Olmert, Tzipi Livni, et bien sûr, Netanyahu lui-même.

On pourrait faire valoir que la récente guerre d’Israël contre Gaza - dont le nom de code était Protection Edge et qui a débuté cette année le 7 juillet - aurait eu lieu même si le premier ministre israélien était quelqu’un d’autre que Netanyahu. Tous les signes étaient en effet en place qui rendaient l’initiative de l’armée israélienne imminente. Les factions rivales palestiniennes, le Hamas et le Fatah, avaient conclu un accord d’union, malgré la forte opposition israélienne. Ce fait à lui seul aurait été une bonne raison pour Israël d’éprouver la nécessité d’écraser le Hamas et de mettre fin à à cette unité. Mais plus important encore, l’ambiance en Cisjordanie montrait une claire aspiration à un changement. Des manifestations et des rassemblements étaient signalés en juin dans toute la Cisjordanie, en dépit des tentatives israéliennes de les écraser avec l’aide des hommes de main de la sécurité de l’AP, financés et entraînés par les États-Unis.

Ces mobilisations étaient plus importantes que l’accord d’unité lui-même. Les Palestiniens étaient mobilisés en dehors du schéma politique marqué par la division qui depuis des années prévalait entre le Hamas et le Fatah. Se concentrer sur Gaza - où Netanyahu décida de lancer une guerre censée lutter contre le terrorisme, l’extrémisme et les ennemis jurés d’Israël qui se sont « voués à la destruction de l’État juif » - semblait, dans la logique machiavélique d’Israël, une bonne idée.

En fait, Netanyahu a réussi, au moins temporairement, à détourner l’attention de la confrontation imminente en Cisjordanie. Mais ce qu’il attendait était une bataille relativement facile. Le Hamas et les autres groupes de la résistance ont été sans doute affaibli par ce qui a succédé à l’avènement du soi-disant printemps arabe. Ils ont été en partie désavoués par l’Iran et entièrement désavoués par la Syrie, laquelle est empêtrée dans sa propre guerre civile. En outre, l’élimination des Frères musulmans en Égypte a fragilisé le Hamas politiquement, et l’a affaibli. En fait, c’était cette vulnérabilité qui a poussé le Hamas à un accord d’unité avec Mahmoud Abbas, qui, selon l’accord, devait maintenir un certain degré de domination sur toutes les factions palestiniennes dont le Hamas lui-même. Juste avant la guerre, un sondage d’opinion réalisé en juin par le Centre palestinien de recherche et de sondages, le PCPSR, a montré que le président de l’AP Mahmoud Abbas avait gagné la confiance de 53 pour cent des Palestiniens, tandis que le premier ministre de Gaza, Ismail Haniyeh qui appartient au Hamas, disposait du soutien de 41 pour cent des Palestiniens.

Une guerre désastreuse

La guerre de Netanyahou était la tentative de la direction israélienne de capitaliser sur le déclin présumé du Hamas. Mais la guerre s’est avéré un désastre et Netanyahou a lamentablement échoué. Il a fait massacrer plus de 2150 Palestiniens et blessé plus de 11 000. L’armée israélienne a été freinée par un front uni de la résistance palestinienne. Elle a perdu 64 soldats [chiffres officiels, la résistance revendiquant de son côté plus d’une centaine d’officiers et soldats israéliens tués - NdT] et des centaines d’autres ont été blessés. Cette guerre a coûté des milliards à l’économie israélienne. En résumé, la guerre qui devait mettre fin au Hamas a donné naissance à une résistance palestinienne plus forte que jamais.

Lorsque la guerre a pris fin le 26 août, Netanyahu, le politicien pourtant si malin qui a toujours tenu à définir le discours politique de toute guerre ou événement politique majeur, avait tout simplement disparu. Deux jours plus tard, il tint une conférence de presse où il déclara qu’Israël avait « gagné ». Mais les Israéliens et les Palestiniens ne sont pas dupes. Selon un sondage réalisé peu après l’annonce du cessez-le-feu et rapporté dans le Jerusalem Post, 54 pour cent des Israéliens pensent qu’ils ont perdu la guerre.

D’autre part, nombreux sont parmi les Palestiniens ceux qui ont radicalement changé de position. Selon le PCPSR, 61 pour cent des Palestiniens voteraient maintenant pour Haniyeh, ce qui un énorme changement par rapport à quelques semaines plus tôt, et 94 pour cent sont satisfaits de la performance militaire de la résistance. Plus remarquable encore, 79 pour cent estiment que la résistance palestinienne avait « emporté » le conflit.

La guerre génocidaire de Netanyahu s’est retournée contre lui au-delà de toute attente. Elle a contribué à ressusciter le mouvement même qu’il tentait d’écraser. À présent, le premier ministre israélien en est réduit à tenter désespérément de reconstruire un discours politique perdu, associant le Hamas à d’infâmes terroristes et présentant hors de toute raison Israël comme une victime, alors que les Palestiniens finissent d’enterrer leurs milliers de morts. Cette fois, cependant, peu nombreux sont ceux disposés à le croire.

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* Ramzy Baroud est doctorant à l’université de Exeter, journaliste international directeur du site PalestineChronicle.com et responsable du site d’informations Middle East Eye. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest.fr. Son site personnel : http://www.ramzybaroud.net

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8 septembre 2014 - Middle East Eye - Vous pouvez consulter cet article à
http://www.middleeasteye.net/column...
Traduction : Info-Palestine.eu - Claude Zurbach