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Lorsque les prisonniers Palestiniens échappent aux chiffres officiels

samedi 17 mai 2014 - 07h:50

Ben Hattem

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Middle East Eye s’est exclusivement saisi d’une recherche qui indique que le nombre réel des Palestiniens dans les prisons israéliennes pourrait être 200% plus élevé que les chiffres officiels.

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Des femmes Palestiniennes se dressent devant les bureaux de la Croix Rouge pour la libération des prisonniers Palestiniens détenus dans les prisons israéliennes au début de cette année - Photo : AFP

Lorsque les Palestiniens sont arrêtés par les autorités Israéliennes, leur première escale se fait dans un centre d’interrogatoire. Quelque temps plus tard, aussi peu que quelques heures ou tout au plus trois mois – période durant laquelle ils n’ont pas le droit ou l’accès à des avocats ou à des soins médicaux – ils sont transférés vers un centre de détention en vue de leur procès. C’est seulement à cet instant qu’on peut considérer qu’ils sont entrés dans un système pénitentiaire approprié.

En cours de route, certains disparaissent des enregistrements.

Le débat international autour de la question des prisonniers Palestiniens, enclenché à la suite de l’annulation de la libération des prisonniers prévue à la fin mars, a négligé un détail majeur : le manque de données disponibles publiquement sur la manière avec laquelle les Palestiniens sont arrêtés et détenus chaque mois par les autorités Israéliennes.

L’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) ainsi que différentes ONG Israéliennes et Palestiniennes se penchent sur la collecte de telles données, mais elles ne sont pas considérées comme référence. Le peu de personnes qui détiennent l’information et connaissent le nombre exact, notamment le Service Pénitentiaire Israélien (SPI), ne le dévoileront jamais.

« Si nous ne connaissons pas le nombre exact des arrestations, nous ne pouvons pas faire notre travail comme il se doit, » souligne à Middle East Eye Gavan Kelly, directeur du plaidoyer de l’ONG Palestinienne Addameer.

Addameer est l’une des organisations qui tentent de contrôler les arrestations et les emprisonnements, néanmoins, en sa qualité d’organisation Palestinienne, et en vertu de la loi Israélienne de 1998 Freedom of Information Law (FOIL), l’organisation ne peut pas demander ni avoir accès aux chiffres.

Des groupes rapportent que les chiffres communiqués par le FOIL sont inexactes. Itamar Barak, coordonnateur à B’tselem, organisation israélienne pour les droits de l’homme, précise que depuis 2005, son organisation envoie chaque mois les requêtes du FOIL au Service Pénitentiaire Israélien pour demander une actualisation des informations sur les détentions. Toutefois, les chiffres du SPI ne sont pas cohérents et sont considérés avec suspicion par les groupes de défense des droits de l’homme.

« Il y avait des données contradictoires dans les fichiers que j’ai reçus, » dit-il à MEE.

Barak a comparé une série de données du SPI pour le mois de février 2014 avec les données mensuelles envoyées à la DEI Défense des Enfants International, une ONG qui regroupe des données sur les mineurs détenus à travers des requêtes FOIL similaires. Les deux documents sont des données officielles communiquées par le service pénitentiaire pour la même période, sauf qu’ils révèlent des chiffres différents.

Les données du mois de février envoyées à B’tselem font état de 210 détenus âgés de moins de 18 ans ; 182 âgés entre 16 et 18 ans et 28 entre 14 et 16 ans. Cependant, les informations équivalentes envoyées à la DEI répertorient un total de 230 détenus.

Une différence de chiffres qu’Ayed Abu Eqtaish, directeur du programme de responsabilisation à la DEI, n’arrive pas à expliquer.

« Nous avons contacté le Service Pénitentiaire Israélien pour l’informer de la réception de la part de B’tselem de chiffres divergents, » confie Abu Eqtaish qui ajoute « Notre interlocutrice a répondu que son administration n’a fourni aucune information à B’tselem. »

« Il n’y a aucun moyen de vérifier, de façon indépendante, ces chiffres car le SPI est la seule organisation qui détient et conserve cette information, » a-t-il ajouté.

Pour sa part, Barak a également cité des exemples d’écarts et de divergences relevés dans des documents individuels qui répertorient le nombre des Palestiniens en détention administrative qui est, pour rappel, une procédure judiciaire israélienne consistant à détenir des suspects, parfois de façon définitive, sans dépôt d’accusations criminelles. Il a évoqué le cas d’un détenu administratif dont le nom n’est apparu dans les rapports mensuels du SPI qu’après plusieurs mois de son emprisonnement. Dans d’autres cas, Barak a indiqué que le nombre de détenus administratifs pourrait être répertorié dans plusieurs sections du même rapport mais avec des chiffres différents.

L’incertitude autour des arrestations et des emprisonnements affecte de larges parties de la société Palestinienne. Quelques 800 000 Palestiniens avaient été détenus par les autorités Israéliennes depuis 1967, ce qui signifie que 40% de la totalité des hommes Palestiniens ont été arrêtés au moins une fois.

Les chiffres officiels de ces arrestations proviennent souvent des données mensuelles diffusées par le Département de Soutien des Négociations – DSN – de l’OLP (Negotiations Support Department) qui tente de contrôler, indépendamment, les arrestations.

Dans un courriel adressé à MEE, Sara al-Husseini, conseillère de communication au DSN a indiqué que les données de l’OLP proviennent du Palestine Monitoring Group qui, à son tour, établit ses chiffres à partir des rapports des services de renseignement des forces de sécurité Palestinienne.

Cependant, une chercheuse au sein de Addameer ayant requis l’anonymat à cause de la sensibilité politique du poste qu’elle occupe, a constaté que ces rapports pourraient considérablement sous-estimer le nombre réel des arrestations qui surviennent en Cisjordanie et à Gaza.

Après avoir fouillé et parcouru les rapports quotidiens des médias au sujet des arrestations et vérifié leur concordance avec les résultats de l’OLP et de l’ ARIJ, Institut de Recherche Appliquée de Jérusalem, elle est parvenue à dresser une liste de 655 noms de détenus pour le mois de janvier 2014. La liste de l’OLP pour le même mois était considérablement inférieure en ne répertoriant que 529 détenus.

Une liste plus longue et plus exhaustive aurait également été en deçà des chiffres réels. Les enquêtes préliminaires d’Addameer pour la comparaison de la chercheuse comportent des interviews avec des familles de détenus au tribunal militaire d’Ofer, près de Ramallah. Dans la plupart des cas, les chercheurs d’Addameer ont informé MEE que les détenus dont les familles attendaient à Ofer n’ont pas été rapportés par les médias.

« Je dirais que seulement 25% des cas documentés sur le terrain ont réellement été rapportés, » confie la chercheuse.

Seuls les détenus dont l’arrestation a été rapportée par les médias et vérifiés de façon indépendante sont cités dans la liste d’Addameer. Par voie de conséquence, le chercheur estime que les chiffres d’Addameer seraient en deçà du taux réel à hauteur de 25 à 200%. « C’est un large éventail, néanmoins, vous ne pouvez pas parvenir à des données plus exactes que celles que nous détenons, » a fait savoir la chercheuse.

Elle ajoute que les données produites par Addameer ont démontré que les chiffres de l’OLP et de différentes ONG qui retracent ces chiffres ne sont pas fiables.

Un constat approuvé par Kelly, le directeur du plaidoyer d’Addameer qui souligne : « Aucune de ces organisations ne peut avoir le nombre exact de toutes les arrestations. »

Et justement, l’un des problèmes de la reconstitution exacte des chiffres est le fait de savoir si une arrestation peut être considérée comme détention ou non. Beaucoup de Palestiniens arrêtés par les autorités israéliennes sont détenus pour seulement quelques heures à la fois et ne vont pas au-delà des centres d’interrogatoires ou de petites pièces d’interrogation mises en place dans les checkpoints et les colonies israéliennes en Cisjordanie.

Par exemple, les incidents survenus à Hébron en septembre 2013, pendant lesquels un soldat israélien a été tué dans d’intenses accrochages, environ 80 Palestiniens avaient été arrêtés mais plus de 1000 personnes ont été temporairement détenues, pendant qu’elles étaient enchaînées et interrogées dans la place publique.

Abu Eqtaish, de Défense des Enfants International, a noté que le nombre de détentions temporaires a augmenté au cours des dernières années. D’après lui, DEI a l’habitude d’envoyer des avocats aux centres d’interrogatoires à la fin de chaque mois dans le but d’obtenir le dénombrement des enfants détenus. Toutefois, il a été mis un terme à cette activité car les détenus ne sont rarement retenus aussi longtemps pour que leur présence soit rapportée dans les données mensuelles. Il explique à MEE : « Personne ne connait le chiffre exact des détenus car en général, ils ne les retiennent que quelques heures. »

Cette explication est appuyée par Mourad Jadallah, chercheur juridique à Addameer. Il confie : « Il est très difficile de déterminer le nombre réel des détenus temporaires. »

Ces cas, bien qu’ils ne soient pas répertoriés, demeurent quand même traumatisants. Des rapports des interrogatoires révèlent le recours à des techniques de tortures sur les détenus, qu’ils soient arrêtés temporairement ou pour de longues durée.

Selon Kelly, depuis 1967, 244 Palestiniens sont morts en détention israélienne. Cette situation a resurgi en février dernier suite au décès d’Arafat Jaradat, le trentenaire originaire d’Hébron mort pendant son interrogatoire pour de présumés jets de pierres et de cocktails Molotov contre des soldats israéliens. L’incident a provoqué l’indignation chez les Palestiniens surtout que les résultats de l’autopsie avaient indiqué que la torture est l’une des raisons possibles de sa mort.

Toutefois, ceux qui sont détenus pour de plus longues périodes sont les plus exposés au risque.

Salah Hamouri, un franco-palestinien affilié au Front Populaire de Libération de la Palestine a été accusé d’avoir tenté d’assassiner le leader du parti israélien ultra-orthodoxe Shas. Il a été emprisonné en Israël pendant sept ans, dont un passage de trois mois dans le célèbre centre d’interrogatoire Moscovia, un établissement situé dans une église impériale Russe dans Jérusalem-Ouest qui héberge également le commissariat de Jérusalem.

Il raconte à MEE : « J’ai été dans l’isolement pendant les 60 premiers jours. Ils ont interrogé mon père, en tentant de s’en servir pour exercer la pression sur moi. »

Hamouri a contribué à l’organisation d’une grève de la faim de 15 jours qui a mené à sa libération dans le cadre de l’accord « Gilad Shalit », qui stipule l’échange des prisonniers vers la fin de 2011. Il a ajouté que durant la grève, toutes les visites de ses parents et de son avocat lui avaient été interdites, et qu’il a été régulièrement enchaîné et transporté dans des bus métalliques des heures durant, sans accès aux toilettes. Il y a dix ans, poursuit-il, le système carcéral a suspendu l’administration de sel aux grévistes de la faim, sachant qu’il s’agit d’une nécessité médicale pour toute personne qui jeûne pour de longues périodes. »

« Si les gens décident d’entreprendre une grève de la faim, c’est parce qu’ils aspirent à plus d’humanisme dans leur vie en prison, » a déclaré Hamouri. « Vous avez votre estomac et votre volonté. C’est votre seule arme pour faire face à l’état d’Israël : votre estomac et votre volonté. »

Selon Kelly et Barak, le Service Pénitentiaire Israélien ne prévient qu’une seule organisation lorsqu’il y a une détention : le Comité International de la Croix-Rouge qui, à l’instar du SPI, ne publie pas de données sur les arrestations. Les appels lancés à ces deux organisations pour fournir les informations exactes sur les totaux de détention n’ont jamais abouti.

Nous recevons une notification des personnes en détention, mais s’agissant des nombres des détenus dans les prisons Israéliennes, vous devez vous adresser aux autorités détentrices, » explique à MEE Jon Larsen, porte-parole de la mission de Jérusalem du CICR.

Le responsable du Service Pénitentiaire Israélien qui supervise les applications de la Loi sur la Liberté d’Information n’a pas répondu aux demandes répétées de commentaire.

Suite à quoi, Barak dit penser que le SPI lui-même ne possède pas les chiffres exacts : « Je ne suis pas très sûre qu’ils les cachent…il pourrait s’agir seulement d’un travail mal fait. Il est probable qu’ils aient des systèmes informatiques ou des bases de données nulles. Ce n’est pas intentionnel, c’est juste des erreurs. »

Cependant, Kelly a pour sa part souligné que le SPI bénéficie de la rétention de l’information : « En fin de compte, Israël veut bien dissimuler ses actions des yeux de la communauté internationale. »

« Si Addameer ou une autre organisation avait accès à ces chiffres, nous serions capables d’exposer la véritable réalité de l’occupation. Nous sommes en droit de savoir ce qui se passe ici, » a-t-il conclu.

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24 Avril 2014 – Middle East Eye – Vous pouvez consulter cet article en anglais à :
http://www.middleeasteye.net/news/e...
Traduction : Info-Palestine.eu - Niha


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