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Sinaï : qui profite du carnage ?

samedi 18 août 2012 - 07h:00

Ramzy Baroud

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Deux Toyota Land Cruiser remplies d’une quinzaine d’hommes armés, masqués et vêtus de noir sont apparemment surgis de nulle part.

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Des militaires égyptiens portent le cercueil d’un de leurs collègues tués dans une attaque, le 7 août 2012 au Caire - Photo : AFP/Gianluigi Guercia

Derrière eux est le vaste désert. Ils s’approchent d’un groupe de soldats rassemblés autour d’un repas simple alors qu’ils se préparent à rompre le jeûne du Ramadan. Les hommes armés ouvrent le feu, ne laissant aux soldats, aucune chance de se saisir de leurs armes.

Ce n’est pas une scène d’ouverture d’un film d’action hollywoodien. Ce massacre a effectivement eu lieu dans un poste militaire égyptien au nord du Sinaï le 5 août. La description ci-dessus a été transmise par un témoin, Mohamed Eissa Salama, dans une déclaration faite à l’agence Associated Press le 8 août. Les hommes armés étaient très entraînés. Leur confiance manifeste est attestée par le fait « qu’un des assaillants ait sorti une caméra et filmé les corps des soldats ».

C’est très déroutant. Pourquoi les assaillants masqués veulent-ils filmer les crimes qu’ils ont commis alors qu’ils étaient sur le point de s’embarquer dans ce qui peut être considéré comme une mission-suicide en Israël ?

« Les hommes armés se sont ensuite approchés de la frontière israélienne », avec deux véhicules, l’un étant un véhicule blindé égyptien saisi. La BBC, citant des responsables israéliens, a indiqué le 7 août que l’un des véhicules « a explosé à la frontière », tandis que l’autre a traversé et parcouru environ 2 kilomètres avant d’être détruit par l’armée de l’air israélienne » (BBC Nouvelles ligne 7 août). Selon le reportage, citant des sources israéliennes, il y avait environ 35 hommes armés, tous vêtus de costumes traditionnels bédouins.

Leur mission en Israël était suicidaire, puisque, contrairement au Sinaï, ils n’avaient nulle part où s’échapper. Mais qui va entreprendre une telle mission aussi complexe, la documenter en la filmant, et ensuite ne pas en assumer la responsabilité ? L’attaque éhontée semblait peu rationnelle sur le plan militaire, mais elle possédait une sinistre logique politique.

Seulement 48 heures avant l’attaque, les médias ont été inondés de communiqués sur le retour de l’électricité dans la bande de Gaza. Les générateurs du territoire sous blocus et terriblement appauvri, n’avaient pas fonctionné à pleine capacité depuis environ six ans, c’est-à-dire depuis que le Hamas a été élu. Le siège israélien et les guerres qui ont suivi ont tué et blessé des milliers de personnes, mais sans réussir à faire plier la volonté de Gaza. Pour les habitants du territoire assiégé, le mot-clé de leur survie face du blocus israélien était « l’Égypte ».

La révolution égyptienne du 25 janvier 2011 avait pris une multitude de significations pour tous les secteurs de la société égyptienne, et du Moyen-Orient au sens large. Pour les Palestiniens de la bande de Gaza, elle annonçait la possibilité d’une bouée de sauvetage. Les près de 1000 tunnels creusés afin de contribuer à la survie de Gaza ne serviraient plus à rien si l’Égypte décidait de mettre fin au siège en ouvrant totalement la frontière de Rafah.

En fait, des décisions avaient été prises par étapes. Le Hamas qui gouverne la bande de Gaza, était à l’origine une branche des Frères musulmans en Égypte. Ces derniers sont désormais la première force politique dans le pays et malgré l’obstination de l’armée, ils ont réussi à emporter aussi la présidence.

À la fin de juillet, une délégation de haut niveau du Hamas s’est rendue au Caire. Tout l’inquiétude des 16 derniers mois semblaient avoir pris fin, tandis le chef du Hamas, Khaled Mashaal, son adjoint Moussa Abou Marzouk et d’autres membres du bureau politique du groupe rencontraient le président Mohammed Morsi. L’Agence officielle de l’Égypte rapporta les déclarations de Morsi, faisant état d’un soutien total « à la lutte du peuple palestinien pour réaliser ses droits légitimes ». Selon l’agence Reuters, les priorités de Morsi sont « la réalisation de l’unité entre le Hamas et le Fatah, fournir Gaza en carburant et en électricité et assouplir les restrictions sur la frontière entre Gaza et l’Égypte ».

Juxtaposons cette scène - un événement historique qui finit par se produire - avec la photo de l’AFP où l’on voit le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et son ministre de la Défense, Ehud Barak, se tenant triomphalement à côté d’un véhicule égyptien carbonisé qui aurait été volé par les hommes armés venus du Sinaï. Le message ici est que seul Israël est sérieux au sujet de la lutte contre le terrorisme. L’article du quotidien israélien Haaretz commençait avec cette révélation : « Israël a partagé certaines des informations reçues avec l’armée égyptienne avant l’incident, mais il n’existe aucune preuve que l’Égypte ait exploité les informations ».

L’intention de l’article était d’humilier encore plus les militaires égyptiens.

Naturellement, Israël a accusé Gaza, même s’il n’y a aucune preuve matérielle pour appuyer de telles accusations. Certains dans les médias égyptiens ont sauté sur l’occasion de faire porter la responsabilité sur la bande de Gaza des problèmes égyptiens de sécurité dans le Sinaï. Les journaux égyptiens les plus importants étaient restés complètement silencieux lorsque le 18 août 2011, Israël avait assassiné six soldats égyptiens dans le Sinaï.

Dans la foulée de l’agression d’août 2011, Israël mena une série de frappes aériennes contre la bande de Gaza, tuant et blessant un grand nombre d’habitants tout en affirmant que Gaza était une source d’attaques contre des civils israéliens. Plus tard, les médias israéliens ont rejeté le lien, le présentant comme inexact. Il n’y eut pas d’excuses pour les morts de Gaza, bien sûr, et l’AP, Reuters et d’autres agences continuent de propager des accusations à l’égard des Palestiniens à propos de l’attaque près d’Eilat l’an dernier. Ensuite, les factions palestiniennes ont choisi de ne pas laisser le conflit dégénérer, afin d’épargner à l’Égypte une situation dommageable avec Israël au moment d’une transition politique des plus sensibles.

Rien de tout cela ne semble pertinent aujourd’hui. L’Égypte est en train de détruire les tunnels, avec l’appui des Etats-Unis. Elle a également fermé le passage frontalier de Rafah, et a été « autorisée » par Israël à utiliser des hélicoptères d’attaque dans le Sinaï pour faire la chasse aux terroristes insaisissables. Quelques jours plus tard, les malheurs de Gaza ont été démultipliés et les Palestiniens doivent une fois de plus plaider leur cause.

Les responsables israéliens et les analystes, bien sûr, ne tiennent plus en place. L’occasion est tout simplement trop belle pour ne pas être pleinement exploitée. Abdelrahman Rashdan [pro-Moubarak] a écrit sur OnIslam basé en Égypte, que selon les renseignements israéliens, « des Iraniens, Palestiniens, Égyptiens, et Al-Qaïda ont quitté le Liban pour attaquer l’Égypte [et] Israël, afin de défendre la Syrie. »

Dans les grands médias occidentaux, on s’interroge peu sur qui bénéficie de tout cela - une fois de plus de l’isolement de Gaza, de la fermeture des tunnels, de la brouille dans les liens égypto-palestiniens, de l’engagement de l’armée égyptienne dans un cauchemar sécuritaire dans le Sinaï, etc ...

Le site internet des Frères musulmans a proposé une réponse. Il a suggéré que l’incident « pouvait être attribué au Mossad ». Il est vrai que certains médias occidentaux ont fait part du communiqué, mais sans y attacher d’importance. La BBC a même offert sa propre explication : « Les théories du complot sont très populaires dans le monde arabe, » fermant toute discussion par un communiqué israélien qualifiant l’avis des Frères musulmans de « non-sens ».

L’affaire est close. Mais elle ne devrait pas l’être.
Avant de se lancer dans une chasse tous azimuts dans le Sinaï, des questions urgentes doivent être posées et des réponses trouvées. Toute action désordonnée ne fera qu’empirer les choses pour l’Égypte, la Palestine et la population bédouine longtemps négligée, du Sinaï.

*Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Mon père était un combattant de la liberté : L’histoire vraie de Gaza (Pluto Press, London), peut être acheté sur Amazon.com. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Fnac.com

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14 août 2012 - Vous pouvez consulter cet article à :
http://palestinechronicle.com/view_...
Traduction : Info-Palestine.net - Naguib


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