16 septembre 2017 - CONNECTEZ-VOUS sur notre nouveau site : CHRONIQUE DE PALESTINE

Vous êtes ici : Accueil > Dossiers > Palestine > Analyses

Le reste n’est que « hasbara » : la victoire de Jenny Tonge sur le Lobby

mardi 24 avril 2012 - 10h:39

Ramzy Baroud

Imprimer Imprimer la page

Bookmark and Share


Dans le monde des idées, seule la crédibilité d’une personne fait vraiment la différence

JPEG - 21.1 ko
Jenny Tonge
Jenny Tonge

« Mes Lords, j’étais à Gaza il y a six semaines ... » ainsi commença la Baronne Tonge lorsqu’elle s’adressa à la Chambre des Lords en janvier 2009. « Aujourd’hui, résultat de l’impuissance de la communauté internationale, pas seulement à Gaza mais ... en 40 années d’occupation de la Palestine par Israël, ces institutions que j’ai visitées ne sont que ruines et beaucoup des enfants avec qui je jouais sont morts ».

Jenny Tonge, alors membre du parti Libéral Démocrate au Royaume-Uni, était une dangereuse politicienne britannique, du point de vue d’Israël. Non seulement elle osait parler vrai et fort à propos d’actions israéliennes dans les territoires occupés, mais elle exigeait aussi que son gouvernement agisse.

En raison de cela, elle fit l’objet des mêmes abus verbaux prévisibles de la part des autorités et des médias israéliens, du lobby pro-israélien britannique et même de ses pairs. Toutefois qualifier Tonge d’antisémite n’a jamais pu être convaincant. Cette femme formidable a passé des années de sa vie à servir sa communauté - en tant que médecin, parlementaire et porte-parole à la Santé pour les Lib-Dem à la Chambre Haute. Elle a ainsi accumulé un capital de crédibilité beaucoup trop important pour être entamé par des accusations diffamatoires.

En outre, d’aucuns s’abstiendront de qualifier d’antisémite son appel à « la création immédiate - et je souligne immédiate - par le Conseil de sécurité des Nations Unies d’une commission d’investigation indépendante en Palestine afin d’enquêter sur toutes les infractions au droit international » .

Mais pour ceux qui affirment qu’Israël est au-dessus de toute critique, la simple suggestion d’une enquête sur Israël pour crimes de guerre est un acte impardonnable. Le moindre soupçon de critique est aisément déformé et devient une remise en question de l’existence même de l’état, qui est tout bonnement étiquetée comme racisme.

Cependant la Baronne ne se laisse pas facilement intimider. Prenant la parole à l’Université du Middlesex le 23 février dernier, elle déclara que « Israël ne va pas être là pour toujours dans sa forme actuelle », en référence à l’identité politique actuellement à base raciale du pays, en tant qu’ « Etat juif » qui expose les natifs musulmans et arabes chrétiens à un racisme institutionnel et à des lois discriminatoires.

Beaucoup d’autres ont déjà mis en garde contre la nature de plus en plus antidémocratique d’Israël, en particulier avec la montée de partis religieux et ultra-nationalistes. Des universitaires de haut vol, des lauréats du Nobel, des figures glorieuses de l’anti-apartheid et d’anciens présidents des Etats-Unis ont tous lancé des appels similaires, visant la nature distordue de l’ establishment politique israélien, qui garantit les droits des gens de lignage juif tout en déniant les droits civils fondamentaux à tous les autres.

Tonge ne visait aucune race mais bien les petites mais puissantes cliques qui infestent depuis longtemps la politique britannique et étatsunienne dans des domaines concernant Israël et le Moyen-Orient. « Un jour, le peuple américain dira au lobby israélien des Etats-Unis : maintenant ça suffit. Israël perdra son soutien et alors ils récolteront ce qu’ils ont semé » déclara-t-elle (The Guardian, 9-2-12).

En clamant cette évidence, Tonge a irrité les politiciens britanniques, y compris des membres de son propre parti, lequel parle de ’paix au Moyen-Orient » tout en sapant tout véritable effort pour parvenir à cette paix. Ed Milliband, dirigeant du Parti Travailliste, a dit qu’il n’y avait « pas de place en politique pour ceux qui mettent en question l’existence d’Israël ». En réalité Tonge n’avait rien fait de tel. Nick Clegg, leader des Lib Dem, a déclaré : « J’ai demandé à la Baronne Tonge de retirer ses remarques et de s’excuser pour l’offense qu’elle a causée. Elle a refusé et va à présent quitter le parti ».

Depuis son ascension soudaine vers le sommet de la hiérarchie politique britannique, Clegg s’est fortement écarté de sa position initiale concernant la Palestine et Israël. Dans son article du Guardian daté du 21 décembre 2009, il avait articulé une forte argumentation contre le blocus israélien de Gaza, et demandait : « Et qu’ont fait le gouvernement britannique et la communauté internationale pour la levée du blocus ? Pratiquement rien. Des déclarations bruyantes sont lancées régulièrement mais peu de pression réelle est exercée. C’est un scandale que la communauté internationale est restée les bras ballants devant cette crise qui se déroulait sous ses yeux ».

Une fois au gouvernement, Clegg a changé de refrain. Tonge, par contre, est toujours restée audacieuse au mépris de sa situation ou des avantages. Sa position de 2012 reflétait d’autres positions qu’elle avait prises dans le passé. En 2006, elle exprimait ce que peu avant elle avaient osé dire, même en privé : « Le lobby pro-israélien a mis le grappin sur le monde occidental, son grappin financier. Je pense qu’ils ont fini par mettre le grappin sur notre parti » dit-elle (BBC 21-09-2006).

Par la suite comme aujourd’hui, ses propos ont été manipulés par les médias pour signifier tout autre chose que ce qu’elle avait clairement voulu dire. Sa sortie du parti est comme un testament actant les volontés de cette forte femme britannique, mais aussi la puissance de tout ce lobby israélien qu’elle avait si souvent critiqué.

Il est important de rappeler que la bataille de Tonge n’est pas une simple escarmouche dans les rangs des élites politiques. C’est plutôt d’une guerre de récits qu’il s’agit, où Israël et ses « amis » veulent à tout prix faire taire tout débat sérieux sur la Palestine et Israël. L’autre côté, qui comprend Tonge et nombre d’autres, s’insinue petit à petit dans la version bien gardée du discours d’Israël pour y faire de sérieuses incursions.

Un récent épisode de cette guerre des récits met en scène Günter Grass, auteur du roman anti-nazi universellement célèbre, Le Tambour. Voilà que Grass a fait ce que bien d’autres, particulièrement en Allemagne, n’ont jamais osé faire. Il a critiqué Israël pour sa posture agressive envers l’Iran. Les autorités israéliennes ont répondu en le traitant de tous les noms disponibles dans le grand livre des calomnies.

Cette fois-ci cependant la « tempête » typique créée par les réponses d’Israël n’a pas réussi à déclencher les réponses habituelles. Nicholas Kulish écrivait dans le New York Times que si on en juge par le flot de commentaires des politiciens et des médias allemands, « il semblerait que le public ait rejeté fortement l’ ?uvre [de Grass] ... Mais un simple et rapide sondage dans les commentaires laissés par les lecteurs sur divers sites web révèle une toute autre réalité (13-04-2012). Selon Kulish, M. Grass a touché un point sensible dans le grand public, exprimant des frustrations avec Israël ici en Allemagne qui se disent fréquemment en privé mais rarement en public ». Il ajoute que « l’accusation d’antisémitisme visant les critiques d’Israël est généralement vue comme un instrument contondant qui fait taire le débat, et dans le processus empêche M. Grass de faire le point ... »

Comme Israël réussit rarement à faire taire les critiques, la bonne vieille tactique du passé est devenue moins efficace. En dernière analyse, ni Tonge, ni Grass n’ont vraiment perdu face au lobby. Dans le monde des idées, seule la crédibilité d’une personne peut faire la différence. Le reste n’est que hasbara*.

Note :

* Ce terme est utilisé par Israël et les groupes pro-israéliens pour désigner des opérations de communication qui cherchent à défendre le point de vue et la politique de l’État d’Israël auprès de l’opinion publique internationale. Le ministère des affaires étrangères israélien propose ainsi à la diaspora juive des cours en ligne de hasbara. (Wikipédia)

*Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Mon père était un combattant de la liberté : L’histoire vraie de Gaza (Pluto Press, London), peut être acheté sur Amazon.com.

Du même auteur :

- Ce que Barghouti représente vraiment pour les Palestiniens - 9 avril 2012
- Afghanistan : Balandi est un nouveau My-Lai - 3 avril 2012
- Redéfinir notre relation à un peuple en lutte - 14 mars 2012
- Le Hamas entre politique et principes - 5 mars 2012
- L’unité Hamas-Fatah : réalité ou fiction ? - 17 février 2012
- L’OTAN est responsable du chaos qui règne en Libye - 11 février 2012
- Les U.S.A. intriguent contre de véritables réformes des Nations-Unies - 3 février 2012
- La révolution sera télévisée et manipulée - 15 janvier 2012
- Le mouvement Hamas et les Frères musulmans : un retour aux sources ? - 15 janvier 2012
- Irak : les victimes oubliées... - 7 janvier 2012
- Les 24 ans du Hamas : quelle politique de résistance dans un Moyen-Orient en plein changement ? - 26 décembre 2011

4 avril 2012 - The Palestine Chronicle - Vous pouvez consulter cet article à :
http://palestinechronicle.com/view_...
Traduction : Info-Palestine.net - Marie Meert


Les articles publiés ne reflètent pas obligatoirement les opinions du groupe de publication, qui dénie toute responsabilité dans leurs contenus, lesquels n'engagent que leurs auteurs ou leurs traducteurs. Nous sommes attentifs à toute proposition d'ajouts ou de corrections.
Le contenu de ce site peut être librement diffusé aux seules conditions suivantes, impératives : mentionner clairement l'origine des articles, le nom du site www.info-palestine.net, ainsi que celui des traducteurs.