L’unité Hamas-Fatah : réalité ou fiction ?
vendredi 17 février 2012 - 07h:16
Ramzy Baroud
Pendant que les hauts responsables représentant les factions palestiniennes rivales du Hamas et du Fatah signaient un nouvel accord d’union, le 6 février dernier à Doha, le prisonnier palestinien Khader Adnan entamait son 50ème jour de grève de la faim. Sa santé se dégradait rapidement.
Depuis son arrestation le 17 décembre dernier, « Khader a subi des traitements dégradants et inhumains, notamment des sévices corporels, des durées d’interrogatoire prolongées, l’isolement et des conditions de détention insalubres », selon la déclaration conjointe du Conseil palestinien des organisations de droits de l’homme (PCHRO), le collectif qui représente l’ensemble des groupes palestiniens en faveur des droits de l’homme.
Après un examen médical le 29 janvier, les médecins délégués par Human Rights-Israel ont conclu que le processus vital d’Adnan était engagé. A ce moment il avait déjà perdu 20 kilos. Le système israélien de la détention administrative permet de maintenir quelqu’un en prison à l’infini, sans procès ni jugement en bonne et due forme, sur ordre d’un tribunal militaire. Après avoir revu son cas, le juge militaire Dalya Kaufman a décidé qu’en dépit de toutes les déclarations médicales assurant le contraire, la condition de Khader était « acceptable ».
Le cas de Khader met en lumière l’abîme qui sépare les dirigeants palestiniens des problèmes et des combats quotidiens de Palestiniens dans les Territoires occupés. A savoir : l’occupation militaire, les ressources en eau déclinantes, l’économie quasi entièrement dépendante, la corruption purulente et la violence permanente des colons. Malgré ces faits, les gens censés représenter les Palestiniens paraissent entièrement concentrés sur des priorités étranges, de futiles accords « de paix » et « d’union » pour le partage du pouvoir .
Les Palestiniens sont piégés dans cette étrange réalité depuis 1993, lorsque les dirigeants du Fatah et de l’Organisation de Libération de la Palestine ont accepté de signer un « accord de paix » avec Israël sans consulter le peuple palestinien. En signant un accord d’union avec le Fatah, le Hamas, naguère le champion du « choix de la résistance », s’est donc joint tacitement à la comédie politique qui a poussé les Palestiniens au bord du gouffre et provoqué la Seconde Intifada en 2000.
« L’accord d’union innovant » parrainé par le Qatar entre le dirigeant du Hamas, Khaled Mechaal et le Président de l’Autorité Palestinienne, Mahmoud Abbas, a décidé que ce dernier dirigerait également un gouvernement d’union transitoire pour préparer les élections. Abbas, 76 ans, bien que bardé d’un nombre impressionnant de titres, ne possède guère les qualités pour diriger les Palestiniens dans le bourbier politique dont il est largement responsable.
Depuis le début de son mandat à la présidence de l’Autorité Palestinienne (AP) en janvier 2005, Abbas n’a cessé de donner de faux espoir, tout en anéantissant les moyens de les réaliser. On en a des exemples récents résumés dans les titres de journaux tels que ceux du quotidien israélien Haaretz : « Abbas : les pourparlers d’Amman font renaître l’espoir de négociations israélo-palestiniennes » (25 janvier) ou « Abbas : Israël responsable de l’échec des négociations de paix en Jordanie » (29 janvier).
Depuis son instauration officielle en 1994, l’AP a fourni à des individus corrompus une tribune pour exploiter une institution corruptible, qui était loin d’être un projet de libération nationale. L’AP a institutionnalisé de facto la corruption. Bien plus, elle a divisé et dévasté la société palestinienne, dilapidant des années de cohésion sociale acquise au cours des premières phases de la première Intifada.
Le langage nationaliste naguère d’un usage courant et qui a longtemps unifié les Palestiniens ordinaires a été remplacé par une nouvelle terminologie : contrats, aide, ONG, connections, cartes VIP (qui assuraient la liberté de mouvement à ceux qui ne présentaient pas de risques pour la sécurité d’Israël, càd pour la clique pro-Oslo), etc.
A mesure que cette culture du « pragmatisme » se répandait, la multitude qui rejetait l’élite corrompue d’Oslo était envahie par la confusion. Dans les années avant Oslo, les Palestiniens avaient un ennemi sans la moindre ambiguïté. Après Oslo, les ennemis devinrent plus difficiles à définir. Ceux qui avaient le sens moral flexible devinrent les animateurs de la nouvelle société « libérée » quoique en réalité toujours prisonnière.
La montée du Hamas somme faction dirigeante de l’opposition palestinienne à Oslo fut largement attribuée à cette phase. Le leadership palestinien fut considéré comme ayant perdu tout semblant de morale et de fiabilité politique. Le mouvement n’était pas vénéré pour les missiles envoyés sur Israël ni même pour ses inclinations religieuses mais pour les idéaux politiques qu’il était censé représenter.
Bien des choses ont changé depuis lors - certes de quoi détourner le Hamas d’un projet national pour tous au profit de priorités devenues nettement celles d’une faction pour quelques-uns. Certains de ses cadres parlent à présent la langue même que parlaient leurs rivaux du Fatah quand ils tentaient de vendre une escroquerie politique d’auto-profit comme une victoire nationale.
Le Fatah avait alors justifié le sacrifice de ce qu’on appelait un « projet national palestinien » par les nécessités de la politique régionale et internationale. A présent, une analyse similaire est présentée pour les changements politiques dans l’attitude du Hamas, à savoir : la violence en Syrie, l’isolement croissant de l’Iran, la montée des islamistes dans plusieurs pays arabes, et le rôle actif joué par certains Etats du Golfe dans la gestion des réalités d’après le « printemps arabe ».
Salman Shaikh, directeur du Brookings Doha center au Qatar, décrivait le changement du Hamas comme un mouvement « d’entrée dans l’orbite arabe ». Selon lui : « C’est l’une des réussites du Printemps arabe et une réflexion sur la croissance de la puissance du Golfe ». Cependant, aucune réussite du soi-disant Printemps arabe ni aucune puissance du Golfe ne peut exercer de pression sur la réalité palestinienne sans un leadership palestinien auto-maîtrisé et vraiment représentatif - qui ne soit à la pêche ni de finances ni de faveurs politiques.
En dernière instance, une union Fatah-Hamas basée sur un partage des dépouilles de quelque pouvoir qu’ils imaginent avoir sur un peuple opprimé et sous occupation ne changera pas grand-chose au destin du gréviste de la faim Adnan. Elle ne récupérera pas non plus la moindre parcelle des Territoires occupés ni ne fera resurgir du sommeil le projet national palestinien centré sur des priorités nouvelles, réellement unificatrices pour le bien commun.
Franchement il est absurde de voir des factions palestiniennes en train de faire du lobbying et de rechercher approbation, donations et soutien exclusifs auprès de pays proches et lointains, pendant que des millions de Palestiniens continuent d’affronter la réalité des sièges, des barrières, des barbelés et des mitrailleuses.
*Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Mon père était un combattant de la liberté : L’histoire vraie de Gaza (Pluto Press, London), peut être acheté sur Amazon.com.
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Traduction : Info-Palestine.net- Marie Meert