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« La Deuxième Intifada » - Ramzy Baroud répond à nos questions

lundi 4 juin 2012 - 16h:58

Info-Palestine

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La Deuxième Intifada fut l’expression de cette capacité de la société palestinienne à se mobiliser dans les plus difficiles des circonstances et de soutenir cette mobilisation pendant des années en dépit des coûts terribles imposés par la violence israélienne, explique Ramzy Baroud.

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Ramzy Baroud - Seattle, mai 2012

Info-Palestine : Six ans après avoir été écrit, votre livre « La Deuxième Intifada - Chronique d’un soulèvement populaire » a été finalement publié dans une édition en français. Quel est l’actualité de ce livre aujourd’hui ?

Ramzy Baroud : Lorsque j’ai écrit ce livre, mon intention était de mettre en relief les relations entre le soulèvement populaire - connu sous le nom de Deuxième Intifada palestinienne - et les événements politiques qui l’ont précédé durant presque une décennie avec comme point de départ les entretiens de Madrid en 1991. Mais c’est la signature secrète, en septembre 1993, des Accords d’Oslo, qui a vu la capitulation politique de la direction de l’OLP sous Yasser Arafat. Cette phase, qui a duré de 1993 à la fin de 2000 a représenté une dislocation dramatique d’un programme national - à l’origine plutôt rassembleur et adopté par la plupart des Palestiniens où qu’ils soient - au profit de quelque chose d’entièrement étranger au peuple palestinien et à l’histoire de son combat. Ces sept années représentèrent pour les Palestiniens un dilemme important qui ne pouvait être résolu par l’intermédiaire de moyens institutionnels, aucune plate-forme politique véritablement représentative en dehors de l’OLP et de ses diverses institutions n’existant réellement. Seul un soulèvement semblait à même d’exprimer le sentiment partagé par la forte majorité des Palestiniens.

Tenter de déconstruire cette période de l’histoire palestinienne est également important aujourd’hui. Depuis le début de l’application du siège israélien sur Gaza en 2006-07 jusqu’à ce jour, les Etats-Unis et Israël se sont efforcés de recréer les mêmes circonstances que celles qui précédèrent la signature des accords d’Oslo. Les Palestiniens ont été catalogués selon deux modèles antagonistes : les quelques-uns qui se comportent bien (du point de vue israélien, naturellement) et qui sont largement récompensés, face au groupe des rejectionnistes qui sont sévèrement châtiés. Tandis que le mouvement Hamas [résistance islamique] s’est vu affublé depuis de nombreuses années du rôle du monstre, il a en réalité été régulièrement sollicité, mais sans que la presse n’en parle trop, pour accepter de basculer dans la catégorie politique des « modérés ». Pour que le Hamas soit inclus dans la bonne liste telle que concoctée par Israël, il doit se plier à diverses conditions. Ces conditions - désavouer la résistance armée, se conformer à des doctrines politiques précises, entre autres... - sont plus ou moins une redite des ultimatums israéliens face à l’OLP [Organisation de Libération de la Palestine] vers la fin des années 1970 et qui se sont soldés par l’abandon à Oslo du projet national palestinien.

Israël n’a en rien changé. Il emploie les mêmes stratagèmes politiques que dans le passé. Mais la société palestinienne et « les faits sur le terrain » imposés par Israël ne sont plus les mêmes. Mon livre est une tentative d’analyser la logique qui sous-tend le modèle israélien appliqué aux Palestiniens. Cette génération de dirigeants politiques et de la société civile devrait avoir une pleine compréhension de la tactique israélienne. Mais ce dont il faut avoir conscience, c’est que cette génération devrait également développer une réponse collective pour s’assurer qu’aucune organisation politique ne cède à la tentation de négocier les Droits fondamentaux des Palestiniens, que ce soit secrètement ou ouvertement.

IP : Votre étude est celle d’un historien mais également d’un militant. Comment votre approche sur la question palestinienne diffère-t-elle de celles d’autres historiens ?

RB : Je n’ai aucun choix sur la question d’être un militant (rires) car je suis le produit de circonstances spécifiques qui font du militantisme intellectuel un moyen de lutte approprié pour quelqu’un originaire d’un camp et qui espère relayer les revendications de plusieurs générations de réfugiés. Dans mes écrits - que je souhaite uniques - j’essaie de dépasser l’approche trop universitaire et intellectuelle, par une approche de l’Histoire et une analyse politique qui resituent tous les événements historiques à une place où c’est le peuple qui importe le plus et non pas les élites, là où les gens du commun ne sont pas d’irritants marginaux dans notre tentative de comprendre le monde dans son ensemble, là où les « masses » ne sont pas des multitudes passives mais des « acteurs » efficaces, capables de sérieusement influencer voire de changer le cours des événements.

IP : Les années de la Deuxième Intifada sont-elles, d’une certaine façon, la première manifestation des changements politiques que nous connaissons aujourd’hui dans le monde arabe ?

RB : En dépit du caractère unique de chaque expérience dans le Monde arabe moderne, la Palestine était une question qui traversait les générations et qui unissait les nations arabes. Au cours des dernières décennies, particulièrement depuis la signature par l’Égypte des accord de Camp David avec Israël en 1979, puis d’Oslo en 1993, la Palestine s’est trouvée politiquement mise à l’écart de sa position centrale dans des affaires arabes et reléguée, plus ou moins, au niveau d’une question à valeur sentimentale mais cependant unificatrice. Depuis la défaite arabe de 1967, les mouvements de masse dans les divers pays arabes ont périclité en raison de bouleversements politiques et économiques, ou ont été écrasés par des politiques oppressives conduites par leurs gouvernements. En parallèle de quelques mouvements ici et là au Proche-Orient, les mouvements de masse et les luttes collectives en Palestine ont continué sans changement.

L’occupation israélienne ne tolérant aucun compromis, la société palestinienne n’a eu d’autre choix que de se maintenir dans un état de mobilisation permanente. La Deuxième Intifada fut l’expression de cette capacité de la société palestinienne à se mobiliser dans les plus difficiles des circonstances et de soutenir cette mobilisation pendant des années en dépit des coûts terribles imposés par la violence israélienne. Cette rébellion des Palestiniens, communiquée quotidiennement aux masses arabes par l’intermédiaire des télévisions et des journaux, est finalement apparue comme une vraie possibilité à diverses sociétés arabes. Il est souvent prétendu que le modèle de ces mouvements était importé de tel ou tel pays européen. J’affirme au contraire que le modèle en question est authentiquement arabe et entièrement du cru.

IP : L’apparition d’une résistance palestinienne armée et populaire à l’intérieur des Territoires Palestiniens sous Occupation [TPO] pendant la Deuxième Intifada était un fait nouveau. Quel bilan faut-il tirer de cette forme de résistance et quelle est sa place aujourd’hui ? Et dans le futur ?

RB : La lutte armée a fait partie de la résistance palestinienne contre Israël dans le passé. Cependant, de tels phénomènes ont souvent eu lieu parallèlement aux soulèvements populaires qui étaient en grande partie non violents et reflétaient le véritable état d’esprit en Palestine. La lutte populaire et non violente en Palestine est plus ancienne que l’État d’Israël lui-même, car elle fut principalement utilisée contre le colonialisme britannique et sioniste lors de la grève générale de 1936. La lutte armée est apparue plusieurs fois en Palestine mais de façon plus contenue et moins déterminante. La Deuxième Intifada, qui prit plusieurs formes très populaires et qui n’exigeaient pas la lutte armée, était en grande partie différente et elle s’est parfois vue obligée d’utiliser des armes.

Au début de l’Intifada, Israël voulut envoyer un message clair à Arafat et aux Palestiniens qu’il ne céderait devant aucun soulèvement organisé dans le but d’extraire des concessions politiques à la table des négociations. Israël a vraiment cru qu’Arafat avait « commandité » l’Intifada, et la man ?uvrait par l’intermédiaire de diverses factions de militants dans le Fatah. Aussi la réponse israélienne fut extrêmement violente avec des objectifs précis : éliminer la direction de l’Intifada, privant Arafat de sa dernière carte politique - les Palestiniens mobilisés - et mettre la société palestinienne en état de choc. Bien que certaines organisations palestiniennes aient voulu en profiter, voire même prendre la tête de l’Intifada, il s’est avéré que le soulèvement était vraiment un mouvement collectif et de masse, impliquant tous les secteurs de la société et fédérant toutes les organisations.

Le plan israélien fut un échec complet, naturellement, puisque les armes à feu et les balles ne font jamais taire tout un peuple. Mais la réponse israélienne avec l’utilisation, par exemple, d’hélicoptères Apache pour attaquer des rassemblements pacifiques, a conduit quelques organisations et même beaucoup de personnes qui n’étaient affiliées à aucun mouvement à avoir recours aux armes. J’arguerai du fait que bien que la résistance armée ait été une caractéristique de la Deuxième Intifada, ce n’était pas une « résistance armée populaire » pour elle-même et il s’agissait plus d’une tactique d’autodéfense que d’une stratégie.

IP : La division politique majeure qui existe aujourd’hui entre les mouvements de la résistance palestinienne (principalement les courants islamiques) et les héritiers du défunt processus d’Oslo (le Fatah), était-elle déjà en gestation durant les années de la Deuxième Intifada ?

RB : Oui, naturellement, même si elle s’exprimait alors différemment. La fracture entre le mouvement islamique en Palestine et les factions de l’OLP - particulièrement le Fatah - est profonde et idéologique. Mais elle s’exprime différemment selon le contexte politique en Palestine et dans la région. (Je traite longuement cette question dans mon livre sur Gaza). Quand l’Intifada a éclaté en 2000, chaque camp a rapidement essayé de la définir selon ses propres termes, intérêts et programmes politiques. Le Hamas, qui était considéré comme le représentant du camp contre la paix a interprété l’Intifada comme un rejet collectif des Accords d’Oslo, mais aussi des dirigeants palestiniens qui s’en étaient faits les champions. Il interprétait l’Intifada comme un « veto » populaire à l’encontre des dirigeants du Fatah, d’Oslo et du « processus de paix ».

L’organisation du Fatah, d’autre part, a voulu compenser l’influence croissante du Hamas sur le déroulement de l’Intifada en prenant la tête du mouvement à chaque occasion, au point d’afficher deux programmes opposés : d’une part, les groupes affiliés au Fatah participaient aux combats et ont même revendiqué la responsabilité de quelques attentats-suicide, et d’autre part, l’Autorité Palestinienne (AP), ayant réalisé qu’elle ne pourrait pas contrôler l’Intifada, a essayé de trouver une solution politique avec Israël qui l’aiderait à conserver ses faibles gains politiques de la décennie passée. Cette concurrence s’est concrétisée dans la foulée des six années [de l’Intifada] qui ont vu l’Autorité Palestinienne arrêter et punir des responsables du Hamas et d’autres dirigeants de l’opposition sous l’accusation de miner le « processus de paix ». Il y avait tant d’amertume : la Seconde Intifada était paraît-il le fait du Hamas et la plate-forme de l’opposition avait pour objectif de défaire le Fatah et son programme politique... Naturellement, il y avait beaucoup d’exemples d’unité, mais celle-ci n’existait pas aux sommets des organisations et plutôt dans les camps de réfugiés et parmi les combattants appartenant aux deux organisations. (Mon livre : Searching Jenin, retrace l’histoire d’une lutte dépassant les clivages entre organisations.)

IP : Dans quelles conditions cette fracture dans le mouvement national palestinien peut-elle aujourd’hui être surmontée ? L’OLP a-t-elle toujours un rôle à jouer ? Ou les Palestiniens ont-ils besoin d’une alternative ?

RB : La division qui secoue la société palestinienne n’est pas totalement unique au Fatah et au Hamas. En fait, la dispute entre ces deux organisations n’est qu’une des caractéristiques d’un front national de résistance réduit en miettes, résultat de beaucoup de facteurs dont font partie une division géographique, des clivages idéologiques, et l’influence historique exercée par des acteurs extérieurs sur diverses factions. De plus, après Oslo, il y eut l’arrivée soudaine d’une certaine richesse en Palestine - apportée par des Palestiniens de retour ou accumulée grâce aux affiliations et à l’accès à l’argent des donateurs.

Cela aussi a ajouté une nouvelle dimension aux clivages existants, faisant de la Palestine, à un certain égard une société divisée en classes. Pour que les clivages internes soient surmontés d’une manière véritablement durable et significative, plusieurs choses devraient se produire simultanément :
- l’OLP doit réactiver le Conseil National Palestinien comme organisation fédératrice démocratique donnant une représentation à toutes les organisations palestiniennes, représentant les Palestiniens dans les territoires occupés et dans la Diaspora
- les institutions existantes de l’OLP doivent être réorganisées et améliorées en conséquence
- ceci ne doit pas être fait dans le but de remodeler « un partenaire » palestinien pour des pourparlers avec Israël, mais pour mettre sur pied une direction véritablement démocratique dans le but d’unifier tous les efforts et de relancer le programme national palestinien autour d’un ensemble de priorités qui reflètent l’aspiration nationale du peuple palestinien, et non pas les intérêts étriqués de certaines factions ou individus.

Une unité sanctionnée par la signature d’un document entre le Hamas et le Fatah en présence d’un quelconque autocrate arabe ne répond pas à l’attente des Palestiniens et ne s’attaque pas aux questions qui sont sous-jacentes à la division.

IP : Quelle est votre évaluation de la dernière et massive grève de la faim des prisonniers palestiniens dans les prisons israéliennes ? Ce mouvement est-il caractéristique d’un changement important dans le mouvement de résistance populaire en Palestine occupée ?

RB : Oui, il est clair que les Palestiniens sont bien au-delà de la culture de servilité qui a été promue par le prétendu « processus de paix. » La Deuxième Intifada représentait déjà une rébellion contre les Accords d’Oslo et ce processus, mais les cultures persistent bien plus longtemps que les doctrines politiques. L’intention ici était de calmer la société palestinienne, de la rendre à ce point dépendante qu’elle y réfléchirait à deux fois avant de se révolter. Cette « Troisième Intifada » a été un sujet d’inquiétude pour les dirigeants qui semblent tout à fait satisfaits qu’aucune nouvelle Intifada n’ait eu lieu jusqu’ici. Le peuple palestinien, cependant, semble vouloir trouver une alternative qui dépasse l’Autorité Palestinienne et la culture de collaboration qu’elle a souhaité instiller dans une société quotidiennement déshonorée et humiliée. L’ironie est que la résistance palestinienne rejaillit parmi ceux qui sont le plus physiquement confinés : les détenus dans les prisons israéliennes qui se sont retrouvés à plus de 2000 à participer à la dernière grève de la faim. « Les nouveaux héros de la cause palestinienne ne sont pas de jeunes hommes robustes lançant des pierres ou utilisant des armes automatiques. Ce sont des adultes décharnés, les poignets enchaînés, mourant de faim dans les prisons à l’intérieur d’Israël, » rapportait Jodi Rudoren dans le New York Times daté du 3 mai. Ces adultes décharnés et enchaînés ont finalement réussi à unifier les Palestiniens dans les territoires occupés et dans la Diaspora. Alors que des dizaines de milliers de personnes se rassemblaient en solidarité avec leur cause, le sectarisme et la politique avaient perdu de leur l’intérêt, au moins tant que durait la grève de la faim.

IP : Le récit de la Seconde Intifada parle peu de solidarité dans les pays arabes et islamiques. Cette solidarité a-t-elle existé, et si oui sous quelle forme ? Et cette solidarité a-t-elle évoluée aujourd’hui ?

RB : Le monde arabe et musulman est divisé en deux catégories importantes : majoritairement des dirigeants antidémocratiques vivant à l’écart de leurs peuples, et des populations privées des droits civiques qui n’ont aucun droit à la parole ou aucune influence sur la politique étrangère de leurs pays. Durant la Deuxième Intifada il y avait une immense vague de solidarité avec les Palestiniens, du Maroc à l’Indonésie et au-delà. Craignant que la colère envers Israël ne puisse déborder contre des régimes incapables de prendre la moindre mesure significative alors que les Palestiniens étaient assassinés, beaucoup de gouvernements ont plus parlé de la Palestine qu’ils ne l’avaient jamais fait avant - ils ont encouragé la lutte et les sacrifices des Palestiniens, pleuré sur la mosquée Al-Aqsa et ainsi de suite. Mais les peuples de ces pays n’ont pu traduire leur sentiment en action (même le boycott des produits israéliens était en grande partie infructueux car la société civile est trop faible et trop contrôlée pour pouvoir favoriser de telles campagnes), et leurs dirigeants n’ont pas traduit leurs discours enflammés en actions politiques. Depuis de nombreuses années, la Palestine existe dans l’imaginaire arabe - des peuples arabes et musulmans opprimés - qui voient la perte de la Palestine comme le point le plus bas de leur assujettissement colonial - ont le sentiment de ne pas y pouvoir grand-chose, et leurs dirigeants arabes qui affirment que la Palestine est à la tête de leurs priorités s’activent cependant très peu sur cette question. La Deuxième Intifada était une plate-forme où cette triste équation s’est encore une fois révélée, et il n’y avait pas de changement en vue, au moins à ce moment-là.

IP : Vous décrivez également dans ce livre, en détail, l’importance du mouvement international de solidarité. Quelles sont ou quelles devraient être à votre avis les tâches prioritaires de ce mouvement international aujourd’hui, à l’intérieur et à l’extérieur de la Palestine ? Et qu’en est-il de la campagne internationale BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanctions) ?

RB : Dans ce domaine, il y avait en effet un décalage notable qui a lentement émergé alors que les militants de la solidarité, venus de partout dans le monde, se rendaient en Palestine pour être d’abord les témoins de la violence de l’occupation et pour ensuite faire connaître cette horreur à leurs propres peuples une fois de retour chez eux. C’était à l’époque où Internet commençait être utilisé comme média social et il a été alors utilisé au maximum, comme il continue à l’être aujourd’hui. Mais ce qui était le plus espéré, c’est que ces militants - du Mouvement International de Solidarité [ISM], de divers groupes chrétiens ou de tout autre organisation - soient capables de contrer l’information biaisée et mensongère des médias dominants sur ce qui avait réellement lieu en Palestine. Ce qui était vraiment impressionnant, c’est que la plupart de ces militants allait former les noyaux de nombreux groupes de solidarité dans beaucoup de villes et de pays dans le monde. Ils ont créé un lien entre les Palestiniens en Palestine et de nombreuses communautés de solidarité dans le monde. Clairement, le mouvement de solidarité a grandi autour de la volonté d’acheminer un message à travers des médias alternatifs, et de servir de « boucliers humains » afin de protéger les enfants palestiniens contre les soldats israéliens et les colons armés. Les constantes tentatives de briser le siège de Gaza par la mer ou par la terre sont en grande partie à l’initiative des mêmes personnes qui ont manifesté leur solidarité avec les Palestiniens durant la Deuxième Intifada. Les sacrifices et la bravoure des passagers du bateau Mavi Marmara sont également un signe que la solidarité n’est plus une simple affaires de mots, mais une action qui peut exiger d’immenses sacrifices. En effet, la Deuxième Intifada a redéfini le mot de « solidarité » avec les Palestiniens, avec pour résultat une génération de militants qui a été des plus engagées jusqu’à aujourd’hui.

Le mouvement pour le Boycott, le Désinvestissement et les Sanctions (BDS) - qui a réussi à lancer une « action directe » à un niveau international et à placer la société civile face à ses responsabilités à l’égard d’une nation opprimée - n’aurait pas eu la moindre chance de succès sans la participation de milliers de militants du mouvement de solidarité. À l’heure actuelle, ce sont ces militants qui représentent le c ?ur de BDS et ce sont eux qui continuent à propager son message unificateur et universel.

IP : Israël devient relativement isolé. Sa propagande, ses appuis dans les milieux d’affaires et parmi les États dans le monde, au moins en Occident, sont encore efficaces et lui permettent toujours de refuser aux Palestiniens leurs droits et la justice. Quelles initiatives devraient prendre les Palestiniens pour tenter d’inverser en leur faveur ce rapport de forces au niveau international ?

RB : Israël n’a jamais été vraiment populaire parmi les nations du monde. Dans les pays du sud, cet État a été toujours été vu comme un État paria, motivé par des conceptions coloniales et occidentales. Mais la propagande israélienne - avec l’appui total et éhonté des principaux médias - est parvenu à manipuler un grand nombre de personnes dans les pays occidentaux pour leur faire percevoir Israël comme une oasis de démocratie au milieu de mondes arabes et musulmans antidémocratiques et hostiles. L’image trompeuse d’Israël en tant qu’opprimé lui a gagné la sympathie et l’appui de beaucoup de gens, qui naturellement basent leur opinion sur les reportage malhonnêtes et les déclarations de faux experts dans les médias.

De nombreux facteurs permettent aujourd’hui de rectifier cette perception des choses, bien que la propagande israélienne et les médias dominants continuent de répandre toutes sortes de mensonges et d’alimenter tous les types d’idées reçues : il y a un nombre important et grandissant d’intellectuels palestiniens qui sont parvenus à toucher de larges audiences dans le monde en décrivant la réalité telle qu’elle est sur le terrain, et non pas comme elle est imaginée par le département de propagande [hasbara] israélien ; de nouveaux canaux internationaux d’information corrigent lentement mais sûrement le discours des grands médias ; le mouvement de solidarité qui va croissant et sa capacité à utiliser le réseau, à se coordonner et à exploiter de nombreux nouveaux moyens de communication - les médias sociaux notamment - contribuent largement à contrer le discours israélien.

Je pense que les Palestiniens et le mouvement international de solidarité doivent s’efforcer en permanence d’élargir leur champ d’action en conservant un message simple, limpide, universel et autonome par rapport aux appartenances politiques, croyances religieuses ou discours idéologiques. Ils ont besoin d’agir au niveau local avec les communautés locales, en assurant ensuite une coordination aux niveaux national et mondial. Ils doivent s’abstenir d’utiliser le langage de la division et transmettre leur message en usant d’un vocabulaire unificateur et universel qui devra être pertinent pour autant de personnes que possible. Le mouvement devrait rester décentralisé, ouvert au dialogue et aussi démocratique que possible. De plus, il devrait toujours y avoir la place nécessaire pour que des idées constructives puissent être soumises et discutées (et je ne fais pas allusion ici au débat sur « un État versus deux États ») pour traduire la solidarité en action - que ce soit par la campagne BDS ou toute autre plate-forme.

Cependant, ces efforts ne peuvent pas à eux seuls contribuer à un changement aussi fondamental si les Palestiniens restent divisés politiquement. L’unité au niveau interne et dans la Diaspora est essentielle pour pouvoir livrer au mouvement de solidarité un discours structuré et politiquement uni qui puisse être promu comme exprimant l’aspiration nationale du peuple palestinien. L’unité et la résistance en Palestine occupée et un mouvement international et innovant de solidarité renforceront l’isolement d’Israël et le forceront à sortir de cette voie destructrice. Un récent sondage réalisé dans 22 pays pour le compte de la BBC et publié en mai, révèle qu’Israël est aussi impopulaire que la Corée du Nord. Le défi est maintenant de trouver les moyens d’associer cette impopularité à l’isolement politique, de sorte que la Palestine puisse enfin bénéficier de la justice à laquelle elle a droit depuis tant d’années.

*Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Mon père était un combattant de la liberté : L’histoire vraie de Gaza (Pluto Press, London), peut être acheté sur Amazon.com.

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31 mai 2012 - Traduction : Claude Zurbach


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