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Qui sont les nouveaux Arabes ? Vous. Et nous

dimanche 5 avril 2015 - 07h:02

Azmi Bishara

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Une nouvelle génération est en train d’émerger : cette génération cherche un chemin révolutionnaire qui ne repose sur aucune armée, ni sur aucun imam. C’est une lutte contre l’autoritarisme et le retard social et culturel sur lequel se fonde le despotisme.

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Avril 2011, Le Caire, Egypte - Manifestantes sur la Place Tahrir

Un être humain ne peut pas être modelé ou remodelé selon un certain schéma physique ou philosophique. Au cours de l’Histoire, tous les efforts bien connus pour « construire l’homme nouveau » ont tourné au désastre.

Quant à nous, Dieu merci, nous n’avons pas encore subi des régimes totalitaires capables de façonner un nouvel individu arabe.

Au lieu de cela, nous sommes tout simplement assaillis de régimes autoritaires usés, uniquement capables de déformer ce qui est venu avant, de corrompre leurs héritages, de réprimer la dignité et la personnalité pour mieux régner. Lorsque la répression se produit dans un contexte de retard, elle est généralement exprimée dans la violence, physique et verbale.

Comme aucune administration politique n’a pu former l’al-Araby al-Jadeed (le « nouvel Arabe ») par une forme d’ingénierie sociale inévitablement désastreuse, et comme une génération entière a été consommée par le rêve tant caressé d’une révolution et la déception qui a suivi, les principales caractéristiques de ce nouvel individu arabe se sont développées hors du contexte des manifestes ou des programmes et sont façonnées par l’action pratique, au moyen d’une lutte qui rejette la situation dans laquelle les Arabes se trouvent et conteste le discours intellectuel de notre époque.

Une nouvelle ère arabe

Nous entrevoyons enfin une nouvelle ère dans la formation d’un individu qui a été suffisamment subjugué par un autoritarisme fatigué et corrompu, et qui s’est rebellé contre les forces de répression en repoussant la bureaucratie et le système de vol connu sous le nom de clientélisme.

Au cours des années 2011 et 2012 sont apparues les caractéristiques de l’individu arabe qui refuse d’être subjugué face à la violence physique, qui aspire à jouir des droits citoyens et qui réclame des valeurs telles que la dignité et la liberté, la condition de base étant de ne pas éprouver de difficultés à satisfaire ses besoins fondamentaux.

Par conséquent, on a commencé à demander du pain, de la liberté et de la dignité. Ces caractéristiques ne sont pas seulement celles d’une nouvelle ère arabe, mais ce sont également celles d’une ère arabe moderne.

Avant que les forces morales et matérielles du passé ne serrent les rangs, nous avons entendu la nouvelle ère arabe satiriser la rhétorique hyperbolique et les grandes idéologies derrière lesquelles se cachaient les petits dirigeants et leurs proches. Nous avons constaté avec étonnement que cette nouvelle ère arabe s’est accrochée à son identité arabe face au sectarisme, tout en rejetant les identités nationalistes et en soutenant publiquement la démocratie et la Palestine.

Cette nouvelle génération envie les pays développés modernes sans la théorie économique néolibérale, aspire à la justice sociale sans l’idéologie communiste, et recherche la démocratie sans l’abandon de l’arabisme culturel, et une politique qui reconnaît le rôle central de la Palestine, qui symbolise le respect de la justice et un rejet du colonialisme.

Nous avons vu des jeunes gens réclamer des droits civiques sans être envoûtés par la perversion de la démocratie d’Israël et adhérer à leur identité arabe sans faire preuve d’un fanatisme pan-arabe à l’encontre d’autres cultures ou ethnies. Nous avons vu les nouveaux Arabes, hommes et femmes, se rassembler sur les places publiques, sans violence ni harcèlement sexuel, pour favoriser la diversité et rejeter l’intolérance face aux autres identités.

L’exploitation de la vertu

Cependant, l’innocence de la nouvelle ère arabe a privé ceux qui ont combattu en son nom de la perspicacité nécessaire pour identifier les astuces de l’ancien ordre politique vis-à-vis de ses partis et de ses médias. La spontanéité de la nouvelle ère arabe a poussé ses partisans à contourner l’organisation politique.

Ils n’ont pas perçu la différence entre la contestation politique et l’action politique nécessaire pour construire la démocratie, de sorte que tous ceux contre qui ils se sont révoltés, ceux qui ont défendu la violence, l’ignorance, l’intolérance sectaire, le militarisme, les vieux partis et leurs intérêts, se sont ligués contre eux.

En outre, les partisans de la nouvelle ère arabe ont été trahis par ceux qui leur ont donné la fausse impression qu’ils avaient abandonné leur passé militaire ou intolérant en faveur de la démocratie.

Cette alliance impie a transformé le rêve en cauchemar. En politique, les rêves ont souvent tendance à devenir des cauchemars. Celui-ci a noyé les pays dans le sang.
Ce cauchemar a obscurci les frontières entre le despotisme et la démocratie en fragmentant les identités et en créant une forme d’intolérance entre « nous » et « eux », entre majorités et minorités et entre islamistes et laïcs.

Ce sont ces polarisations qui ont pris la place de la lutte entre démocrates et non-démocrates. Ceux qui ont engendré ce cauchemar ont remplacé la morale par les conflits identitaires, tandis que les assassinats et autres atrocités sont devenus acceptables tant que ceux-ci sont commis contre « eux ».

La lutte continue

Les démocrates font face à un énorme défi : la lutte contre le despotisme s’est transformée en une lutte contre le retard social et culturel sur lequel repose toute la structure du despotisme.

Cependant, la plus grande force de la démocratie dans cette lutte est que la nouvelle ère arabe n’était pas un simple mirage qui disparaît lorsque l’on s’en approche. Il reste toute une génération de jeunes gens qui ont crié et démontré leur solidarité ; cette génération a érigé ses martyrs et ses blessés, a découvert sa propre voix et son propre sang, et a été surprise et dépassée par la tournure des événements.

Cette génération a éveillé les rêves oubliés de la génération précédente, inspiré l’imagination de ses sociétés et captivé le monde entier. Elle a choqué les opportunistes et terrifié les forces réactionnaires – les États et les régimes, ceux de droite et ceux dont les seuls attributs qui les relient à la gauche sont leur nom et leur chauvinisme.

Bien qu’ils aient tous serré les rangs contre la nouvelle ère arabe, personne parmi la vieille garde, mis à part les imbéciles, n’ose la ridiculiser. Son fantôme traverse toute la nation arabe et reste toujours implicite dans le langage, les regards et des tons de voix. 

Elle voyage çà et là et trouve des sympathisants dans le monde entier. Elle regroupe ses forces, regrette ses erreurs, rit de sa propre innocence et recherche dans la pratique des programmes politiques, des formes d’organisation et des réponses aux questions, tout en continuant son périple laborieux mais finalement victorieux.

Elle se prépare un retour fatidique. La graine de l’aspiration à la liberté, à l’égalité et à une vie digne a été plantée dans le cœur de toute une génération. Le sol contemporain est fertile, et cette génération est appelée à se transformer en une génération de citoyens qui rivaliseront sur la base des plates-formes politiques et culturelles, pour un jour gouverner tous les pays arabes.

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* Azmi Bishara, ancien membre de la Knesset, le Parlement israélien, et fondateur du parti Balad, est un intellectuel, universitaire, homme politique et écrivain palestinien. Ce texte est une traduction de l’article publié en arabe dans le journal Assabeel le 29 décembre 2013.

Du même auteur :

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- L’État des Croisés - 12 avril 2008

5 novembre 2014 - al-Araby - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.alaraby.co.uk/english/co...
Traduction : Info-Palestine.eu - Valentin B.


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