Mourir de faim à Yarmouk, dans l’indifférence générale
dimanche 12 janvier 2014 - 07h:21
Ramzy Baroud
Un scénario du pire se déroule en Syrie, et les réfugiés palestiniens, en particulier dans le camp de réfugiés de Yarmouk, paient un lourd tribut à la plus cruelle des guerres en Syrie. Les réfugiés sont affamés bien qu’il ne puisse y avoir aucune justification ni aucune explication, d’un point de vue de la logistique, pour expliquer pourquoi ils sont en train de mourir de faim.
- Le camp de Yarmouk est soumis à tous les désastres
le porte-parole de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies (UNRWA ), Chris Gunness, a déclaré à l’AFP que « au moins cinq réfugiés palestiniens dans le camp de réfugiés assiégé de Yarmouk sont morts à cause de la malnutrition, ce qui porte le nombre total de cas déclarés à 15 », depuis septembre 2013. D’autres estimations, en particulier celles rapportés par les habitants du camp, parlent d’un nombre est beaucoup plus élevé.
Le camp, qui est situé au sud de Damas, avait jadis abrité près de 250 000 Palestiniens avec parmi eux 150 000 réfugiés officiellement enregistrés. Après trois ans d’une guerre particulièrement brutale, Yarmouk n’est plus que ruines et n’héberge plus qu’environ 18 000 habitants qui n’ont pu se sauver au Liban, en Jordanie ou ailleurs.
Selon Lyse Doucet de la BBC à Damas, citant des responsables de l’assistance aux réfugiés : « Les responsables de l’aide à Damas m’ont récemment dit que ’les portes de Yarmouk se sont brutalement refermées en juillet’ et que depuis lors presque aucune aide n’a été autorisée à entrer. »
Un groupe palestinien de second rang, le Front Populaire pour la Libération de la Palestine - Commandement général, a essayé de contrôler Yarmouk au nom du gouvernement syrien, une initiative que les réfugiés ont rejetée. Il y a alors eu un semi- consensus parmi les Palestiniens pour qu’ils ne se laissent pas entraîner dans la guerre en Syrie. Toutefois, les parties belligérantes - le gouvernement syrien, l’Armée syrienne libre (FSA) et d’autres groupes islamiques - ont désespérément tenté d’utiliser toutes les cartes à leur disposition pour affaiblir les autres parties. Le résultat a été dévastateur et s’impose complètement au détriment des réfugiés innocents.
A côté des 1500 Palestiniens déjà tués et des milliers d’autres blessés, la majorité des réfugiés sont une fois de plus sur les routes, dans des circonstances toujours plus périlleuses. Selon un communiqué de l’UNRWA daté du 17 décembre : « sur les 540 000 réfugiés palestiniens enregistrés auprès de l’UNRWA en Syrie, environ 270 000 personnes sont déplacées dans le pays. Environ 80 000 ont fui : 51 000 d’entre eux ont atteint le Liban, 11 000 ont été enregistrés en Jordanie, 5000 sont en Égypte , et de plus petits nombres ont atteint Gaza, la Turquie et plus loin. »
Non pas que les autres pays arabes se soient montrés plus accueillants que la Syrie, l’agence de l’ONU signalant que « ceux qui ont atteint le Liban, la Jordanie et l’Égypte font face à un risque de vide juridique aggravé par des conditions de vie si difficile que beaucoup décident de rentrer malgré les dangers à l’intérieur de la Syrie. »
Yarmouk a été au cœur de cette tragédie. Le camp de réfugiés a été créé en 1957 avec des milliers d’abris pour les réfugiés expulsés de Palestine suite aux violences exercées par les milices sionistes en 1947-48. Malgré le fait qu’il était situé en Syrie, Yarmouk est resté proche de la tragédie palestinienne, des centaines d’hommes étant tués en luttant contre l’invasion israélienne du Liban en 1982. Bien que les Palestiniens en Syrie étaient généralement bien traités, si on les compare aux conditions de vie souvent lamentables imposées dans d’autres pays arabes, des milliers d’hommes se sont retrouvés victimes dans plusieurs purges politiques du gouvernement syrien. Un exemple en sont les retombées de la rupture de 1983 entre le président syrien Hafez al-Assad et le dirigeant palestinien Yasser Arafat.
Mais la dernière catastrophe à frapper le camp de réfugiés est la pire de toutes. En décembre 2012, les rebelles de la FSA ont tenté de prendre le contrôle du camp. De violents combats eurent alors lieu, suivis le 16 décembre par un bombardement aérien de Yarmouk par des avions du gouvernement. Des dizaines de personnes ont été tuées et des milliers d’autres ont fui pour sauver leur vie.
Malgré les signes évidents de danger entourant la présence palestinienne en Syrie, ce n’est qu’à ce moment-là que la direction palestinienne à tenter de négocier un statut spécial pour Yarmouk, de sorte que les Palestiniens apatrides soient tenus à l’écart d’un conflit qui n’était pas de leur fait. Certaines factions palestiniennes ont été utilisées par d’autres puissances régionales pour qu’elles prennent certaines positions politiques concernant le conflit en Syrie. Les réfugiés n’auraient jamais du être utilisés comme combustible pour une sale guerre, et toutes les tentatives de maintenir à l’écart les réfugiés ont échoué.
L’échec a été complet. Comme à l’habitude, la soi-disant communauté internationale est à l’avant-garde de cet épisode honteu . « Il y a une profonde frustration [dans la communauté de l’assistance aux réfugiés] que d’un monde qui s’est réuni pour traiter la question des armes chimiques de la Syrie ne puisse pas faire la même chose quand il s’agit de lutter contre une crise humanitaire qui s’aggrave », a rapporté Doucet, citant un responsable : « Je n’ai jamais vu un crise humanitaire de cette ampleur qui ne ne justifie pas même une résolution du Conseil de sécurité. »
La même chose pourrait être dite de l’Autorité palestinienne à Ramallah, qui est occupée à courir après un autre mirage de « processus de paix » qui est obligatoirement voué à l’échec. Pourquoi Mahmoud Abbas ne met-il pas tous ses entretiens et rendez-vous inutiles en attente, et ne fait-il pas pression sur la communauté internationale pour sauver Yarmouk ?
La honte ne s’arrête pas là, certains dans le mouvement de solidarité avec la Palestine ayant cessé de considérer le droit au retour des réfugiés palestiniens comme une revendication au cœur de la lutte palestinienne pour la liberté. Ils ne se mobilisent plus qu’autour des questions fixées dans les paramètres territoriaux et politiques imposés par les accords d’Oslo. Selon cette logique, les Palestiniens de Syrie, du Liban, d’Irak et autres pays, ne sont guère une priorité pour l’action et la mobilisation, même s’ils sont tués par centaines ou meurent de faim.
En accordant davantage d’ attention aux réfugiés palestiniens en Syrie, on ne peut quère ignorer l’horrible réalité qui fait tant souffrir le peuple syrien. Mais les réfugiés palestiniens n’ont pas de statut juridique, pas de représentation politique, aucun soutien international sérieux, pas de représentation officielle vraiment concernée par leur sort, aucun endroit où aller, ni où retourner. Ils n’ont rien, et maintenant ils subissent la famine.
Il peut y avoir aucune justification pour expliquer pourquoi le gouvernement syrien et les rebelles insistent tant pour entraîner les Palestiniens dans leur guerre, laquelle accumule tant de crimes de guerre sans espoir de fin.
La communauté internationale et des groupes de solidarité avec la Palestine doivent partout placer les réfugiés palestiniens en tête de leur ordre du jour. la nourriture ne devrait jamais être utilisée comme une arme dans cette guerre, et les Palestiniens ne devraient jamais en arriver à mourir de faim, quelles qu’en soient les causes.
* Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Fnac.com
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9 janvier 2014 – The Palestine Chronicle – Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.palestinechronicle.com/s...
Traduction : Info-Palestine.eu – Claude Zurbach