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Le FPLP en question : ascension et déclin des socialistes palestiniens

vendredi 28 novembre 2014 - 07h:08

Ramzy Baroud

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Alors que certains se servent d’un langage brillant pour maintenir un statut de radicalité, conserver les avantages des ONG et le prestige du socialisme, d’autres attendent une discussion plus sérieuse sur l’identité et les objectifs du FPLP - après deux décennies d’échec politique dont le FPLP, à l’instar du Fatah et du Hamas, devrait lui aussi être tenu pour responsable.

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Rassemblement de masse organisé par le FPLP dans Gaza

Après la récente attaque à Jérusalem, le FPLP a fait son retour dans les gros titres, suscitant pas mal de questions sur l’intérêt actuel que présente ce groupe. Quand les médias on affirmé que les deux cousins auteurs de l’attaque de la synagogue le 18 novembre étaient adhérents du Front Populaire de Libération de la Palestine, une certaine confusion a régné.

Pourquoi le FPLP ? Pourquoi maintenant ?

L’attaque a tué cinq Israéliens et en a blessé plusieurs. C’était la suite plutôt prévisible d’un épisode brutal provoqué par une extrême droite dont la violence et les abus visant la population palestinienne de la ceinture Est illégalement occupée de Jérusalem étaient couverts par l’appareil policier israélien.

Une grande part des violences ciblant les Palestiniens est systématique : graves restrictions à l’encontre du mouvement palestinien, attaque de lieux de culte et attaques de groupes juifs contre des arabes ou contre toute personne susceptible d’en être. Y compris la pendaison, le lynchage et le fait de brûler vif des habitants arabes de Jérusalem.

Les Palestiniens leur ont rendu la pareille. Mais la plupart de leurs réponses violentes semblent se limiter à des actes individuels accomplis par désespoir, peut-être, mais certainement loin d’un genre organisé de résistance armée. Ensuite Ghassa et Odai Abou Jamal attaquent la synagogue. Au début on a dit que l’attaque était également l’œuvre d’individus isolés, avant qu’on se mette à les associer au FPLP.

Soudain la discussion s’est déplacée – de l’attaque liée à la situation difficile à Jérusalem (les deux cousins étaient hiérosolymitains) à quelque chose de tout à fait différent relevant de la position actuelle du groupe marxiste entre deux forces dominantes : un gouvernement mené par le Fatah à Ramallah, dont la direction a abandonné depuis belle lurette la lutte armée, et des groupes de résistance menés par le Hamas à Gaza.

Le FPLP se taille-t-il une nouvelle place en prévision d’une troisième intifada ? Ou l’attaque était-elle une anomalie ? A-t-elle été ordonnée par le noyau de la direction du groupe ? Et d’ailleurs, que veut le FPLP ?

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Les Brigades Abou Ali Moustapha, la branche armée du FPLP, lors d’une action près de Khan Younès en janvier 2014

Les réponses ne sont pas faciles. En fait, le FPLP lui-même a répondu de façon tellement embrouillée qu’il semble exister une querelle au sein du groupe, si pas politiquement, du moins intellectuellement.

Les Brigades Abou Ali Moustapha - la branche armée du mouvement - ont publié une déclaration enflammée mais se sont abstenues d’assumer la responsabilité.

C’était clairement de la corde raide entre un langage révolutionnaire et un discours politiquement prudent. Pas de revendication de responsabilité pour l’attaque, ni d’annonce que les assaillants seraient des adhérents du FPLP.

Il a simplement évoqué l’accusation israélienne selon laquelle les assaillants étaient affiliés au FPLP. Un autre communiqué affirme que les attaquants sont des héros, mais toujours sans assumer la responsabilité de l’attaque.

Même si certains médias ont prétendu que le FPLP a endossé la responsabilité, aucune source n’a pu confirmer avec précision la position officielle du groupe. La question peut se discuter dans plus d’un contexte, mais le plus urgent est l’identité propre du FPLP, son interminable déclin politique et l’inévitable conflit intellectuel qui embarrasse le groupe depuis sa fondation en 1967 par le dirigeant arabe, marxiste, nationaliste, chrétien, le docteur George Habache.

Ce qui apparaissait comme une réflexion et une quête d’identité au sein du mouvement politique palestinien le plus progressiste, depuis les années ’60 jusqu’aux années ’80, est devenu une crise politique liée au déclin de ses plus puissants partisans, l’Union Soviétique et le bloc de l’Est, ainsi qu’à la signature des accords d’Oslo quelques années plus tard.

La création en 1967 du FPLP, constitué de plusieurs groupes nationalistes arabes progressistes, constituait la riposte nécessaire à l’échec des armées arabes luttant contre Israël.

La retentissante défaite arabe dans la guerre de 1967 (appelée « Naksa », le revers) a permis la progression d’un récit proprement palestinien, avec, à certains moments, les manœuvres désespérées de certains militants cherchant à attirer l’attention sur le sort du peuple palestinien.

Le FPLP, qui plus tard s’est déclaré organisation marxiste-léniniste, se vouait toujours au panarabisme. Il a associé la libération de la Palestine à l’objectif plus élevé de libérer les classes opprimées dans tout le monde arabe par des régimes corrompus et tyranniques.

Même si on peut dire que les ambitions politiques du FPLP ont largement dépassé sa popularité sur le terrain, il a néanmoins joui d’une influence démesurée sur le discours de la résistance, en partie grâce à la vive intelligence et à la clairvoyance de son fondateur, mais aussi en raison de ses tentatives précoces de lutte armée au-delà des limites des gouvernements arabes.

Même si le FPLP est souvent évoqué dans les médias internationaux pour ses détournements d’avions, généralement pour faire libérer des prisonniers politiques palestiniens, son impact sur la ligne actuelle de la résistance armée est bien plus profond.

Fin des années ’60 et tout au long des années ’70, il a fait sentir sa présence à Gaza, à un moment où le Fatah échouait à établir son emprise dans cette zone surpeuplée et paupérisée.

Beaucoup de ses membres ont été tués au combat ou assassinés, et d’autres ont été capturés pour être incarcérés indéfiniment.

Mais au fil du temps, la rhétorique éclatante du groupe s’est trouvée déconnectée des dures réalités palestiniennes. Tandis que le nationalisme arabe déclinait, le bloc socialiste s’effondrait rapidement, laissant le FPLP confronté à des problèmes épineux. Et lorsque Yasser Arafat signa les Accords d’Oslo, le dilemme du FPLP se trouva à son comble.

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Yasser Arafat, Mahmoud Darwish et George Habache en Syrie vers 1980

Le FPLP perdit sa place influente de deuxième parti palestinien, ce qu’il avait été pendant tant d’années. Le Hamas, bien qu’opérant hors des structures de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), offrait un langage plus acceptable et jouissait d’une participation plus globale de la base.

Comme le Hamas, mais certes pas comme le Fatah, le FPLP s’est largement préservé de conflits internes ouverts, du moins après les fractures précoces qu’il connut à la fin des années ’60 (*).

En 2000, Habache eut le bon goût de démissionner, et Abou Ali Moustapha(Moustapha Zibri) lui succéda.

Le nouveau dirigeant retourna à Ramallah, étant entendu que le FPLP avait changé sa ligne de défense de la solution d’un Etat unique et son accord tacite avec le modèle de libération progressive offert par le Fatah.

Abou Ali Moustapha, lui aussi un intellectuel érudit, fut assassiné par Israël en août 2001, peu de temps après son retour. Le nouveau dirigeant, Ahmad Saadat, passa quatre années dans une geôle de l’Autorité palestinienne avant d’être enlevé par un assaut des forces israéliennes, en 2006, pour être incarcéré en réclusion solitaire en Israël .

Depuis lors, le discours sur la solution à deux États a été abandonné et on note un retour occasionnel à la lutte armée par des combattants du FPLP, ici et là en Cisjordanie. Toutefois c’est à Gaza que les seules actions militantes cohérentes et organisées du FPLP se sont poursuivies.

Pendant des années, le FPLP est resté otage d’une ambition excessive et d’un langage radical, avec d’autre part une réalité qui avait obligé ses membres à s’adapter à un statu quo déplaisant et à une action désorganisée. En 2006, le groupe remporta 4 % des votes populaires en Palestine, soit à peine 3 des 132 sièges au Conseil législatif.

Il refusa d’entrer dans un gouvernement de coalition avec le Hamas, ce qui aurait sans doute réduit l’isolement du gouvernement élu, et malgré ses efforts il échoua à construire un bloc de gauche avec d’autres groupes socialistes et communistes.

Privé de partisans solides hors Palestine, avec un discours politique fragmenté entre factions dominantes du Hamas et du Fatah, le FPLP continue d’être pris au piège de ses propres luttes internes.

Toujours attaché à l’esprit combatif d’un mouvement radical, militant et socialiste, le FPLP est aussi contraint de coexister au sein de structures politiques corrompues. Tout en s’y opposant, il en tire profit. Beaucoup d’ONG sont plus ou moins liées à des membres du FPLP, ce qui confère au groupe une certaine présence physique, mais le prive de la possibilité de se confronter ouvertement à l’appareil politique mis en place par Mahmoud Abbas à Ramallah.

Peu importe que les cousins qui ont attaqué la synagogue à Jérusalem soient ou non affiliés au FPLP. Ce qui est bien plus problématique, ce sont les déclarations confuses du groupe – justifiant l’attaque, l’expliquant - la revendiquant tout en s’en dissociant.

Cette confusion est devenue organique au FPLP après les Accords d’Oslo. Alors que certains se servent d’un langage brillant pour maintenir le statut de radicalité du groupe, lui conserver les avantages des ONG et le prestige socialiste, d’autres attendent une discussion plus sérieuse sur l’identité et les objectifs du FPLP - après deux décennies d’échec politique dont le FPLP, comme le Fatah et le Hamas, devrait lui aussi être tenu pour responsable.
(*) Comme le mouvement marxiste FDLP, créé en 1969 à la suite d’une scission avec le FPLP, dont le secrétaire-général Nayef Hawatmeh est également l’un des fondateurs.

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* Ramzy Baroud est doctorant à l’université d’Exeter, journaliste international directeur du site PalestineChronicle.com et responsable du site d’informations Middle East Eye. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest.fr. Son site personnel : http://www.ramzybaroud.net

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24 novembre 2014 - Middle East Eye - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.middleeasteye.net/column...
Traduction : Info-Palestine.eu - Marie Meert


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