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De Manama à Gaza : solidarité entre le Bahrain et la Palestine

mercredi 13 février 2013 - 08h:37

Yazan al-Saadi

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Pendant que la monarchie bahreïnie cherche ardemment à se lier d’amitié avec Israël, les citoyens du royaume ont choisi un tout autre chemin, s’inspirant de la lutte palestinienne contre la répression, laquelle représente des similitudes avec la leur. Dernièrement, le voyage d’un groupe de médecins du Bahreïn à Gaza, effectué en solidarité avec le territoire assiégé, illustre les liens étroits qui ne peuvent être ni entravés ni affaiblis par les gouvernements.

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Manama - Manifestation de solidarité avec la Palestine

« Les Palestiniens sont dans nos cœurs depuis notre naissance. Ils ont une grande place dans tous les cœurs des Bahreïnis. C’est en fait l’essence de la cause qui unit les Arabes et les Musulmans, à un tel point que nous sommes prêts à mourir en martyrs pour la Palestine, » déclare à Al-Akhbar le Dr Nabeel Tammam.

Ce sont en effet ces sentiments qui constituent une force qui s’oppose directement à l’alliance de plus en plus affirmée entre Israël et la monarchie du Bahreïn. Dr Tammam est l’un des médecins spécialistes bahreïnis les plus influents en oto-rhino-laryngologie (ORL). Au-delà de son expertise médicale renommée, il est également connu pour son militantisme politique contre la monarchie du Bahreïn, puisqu’il est membre de l’Association Bahreïnie des Droits de l’Homme et de la Société Nationale pour l’Action Démocratique (Wa’ad), considérée comme le plus grand parti de gauche du pays.

Mais ses activités lui ont coûté d’énormes risques personnels. En compagnie d’une centaine d’autres professionnels du corps médical, Tammam a été arrêté, torturé et condamné dans le cadre d’une politique générale de représailles décidée par le gouvernement bahreïni contre tous ceux qui ont osé apporter leur soutien aux manifestations pro-démocratiques qui ont éclaté en février 2011.

Après avoir été condamné à trois mois de prison [2], Tammam a passé la plus grande partie de son temps dans ses activités médicales et à sensibiliser contre les pratiques répressives auxquelles font face les Bahreïnis en général et les médecins en particulier. Les autorités du royaume ont certes promis de mettre en œuvre les recommandations de réforme formulées par la Commission d’Enquête Indépendante Bahreïnie (Bahrain Independent Commission of Inquiry), toutefois, la répression se poursuit.

Récemment, dans un élan de soutien et de solidarité avec le peuple palestinien, un groupe de médecins bahreïnis, avec à leur tête Dr Tammam, ont organisé et participé à une visite médicale de trois jours dans la Bande de Gaza assiégée.

Le voyage de novembre dernier n’est qu’un exemple parmi tant d’autres qui enrichissent toute une histoire de solidarité et de coopération entre les peuples bahreïni et palestinien, qui partagent les mêmes expériences d’une vie sous l’oppression. Et ce sont donc ces forces nouées entre elles qui entrent en conflit avec l’alliance croissante entre Israël et la monarchie du Bahreïn.

Le voyage médical de 2012

Le soutien à la cause palestinienne est ancré dans la vie de Tammam. Il est membre du conseil de la Société Bahreïnie Contre la Normalisation avec l’Ennemi Sioniste et l’un des fondateurs des voyages médicaux bahreïnis pour Gaza, initiés en 2009 suite aux trois semaines d’assauts sauvages et violents des forces israéliennes sur cette immense prison à ciel ouvert, et la zone la plus densément peuplée au monde.

La visite de 2009 a été couronnée par la signature de plusieurs accords de coopération bilatérale entre l’équipe médicale bahreïnie et les organisations médicales palestiniennes. Ces accords ont notamment porté sur des dons d’équipements et de médicaments ainsi que la programmation d’actions de solidarité conjointes.

Dans un courriel adressé à Al-Akhbar, Tammam a expliqué que l’objectif du voyage de cette année était de prendre une « position humanitaire » en réponse au tout dernier massacre perpétré par Israël contre les Palestiniens de Gaza.

Il a écrit : « Tout le voyage était à nos frais (billets, hébergement et frais de transport) et avait pour objectif de marquer notre solidarité avec ce peuple martyr. Le jour de notre arrivée à Gaza avait coïncidé avec l’entrée en vigueur de la déclaration de cessez-le-feu entre les Palestiniens et Israël. »

L’équipe médicale a passé trois jours à Gaza, marqués essentiellement par des visites à des établissements médicaux à l’instar, entre autres, du Croissant Rouge, de l’hôpital Al-Shifa, de l’hôpital européen de Khan Yunis et du Ministère de la Santé.

Tammam a par ailleurs souligné à Al-Akhbar : « Les bombardements lourds et destructeurs ont été visibles sur les façades des immeubles, des constructions et des infrastructures dévastés. Côté humain, tous les cas sérieux et graves ont été transférés en Égypte pour y recevoir des soins intensifs. Quant aux cas légers et modérés, ils ont été pris en charge dans des hôpitaux locaux où les traitements de suivi ont été prodigués aux blessés. »

Le voyage de 2012 aspirait également à développer davantage le « Projet de Jumelage » proposé auparavant en 2009. Ce projet ambitionne d’entretenir et de favoriser un travail de coopération plus large dans plusieurs domaines de spécialisation médicale, y compris la programmation de sessions de formation et de simulations entre le personnel médical palestinien et celui du Bahreïn pour mieux gérer les situations de guerre. L’équipe médicale bahreïnie s’est également proposée de venir en aide, si nécessaire, pour soigner les Palestiniens.

La visite de 2012 s’est déroulée dans les mêmes conditions de celle de 2009 : elle n’a pas été empêchée par les autorités du Bahreïn, mais elle n’a pas, non plus, été autorisée.

« Pour aller à Gaza, il fallait que j’obtienne une autorisation d’entrée délivrée par l’Ambassade du Bahreïn au Caire. Je m’y suis donc rendu afin de rencontrer l’ambassadeur, mais après de longues heures d’attentes, je ne l’ai ni vu, ni même obtenu une réponse, » explique Tammam.

Constatant le mutisme des autorités de son pays qui ne voulaient tout simplement pas s’impliquer dans cette démarche, les organisateurs du voyage ont commencé à établir des contacts avec l’Union de Pharmaciens et autres collègues à Gaza. Ils ont par ailleurs coordonné avec des responsables palestiniens et égyptiens en vue de l’organisation du voyage.

En résumé, l’absence d’une position et d’un soutien officiels n’est pas une surprise étant donné la position de la monarchie vis-à-vis de la Palestine et d’Israël au fil des deux dernières décennies.

Alliances honteuses

Au plus fort de l’attaque israélienne sur Gaza en novembre 2012, le ministère de l’Intérieur du Bahrain rejeta de nombreuses demandes venues de plusieurs groupes pour organiser à travers le pays une marche de soutien à Gaza, n’autorisant que quelques sit-in dans des bâtiments officiels. Le ministère justifia ses interdictions sous le prétexte de devoir « préserver la sécurité en défendant la décision d’interdire toutes les manifestations et tous les rassemblements. »

En effet, un mois avant cette annonce, les autorités avaient mis en application une interdiction complète de toutes les protestations et tous les rassemblements afin d’essayer d’étouffer l’importante contestation. Depuis que le soulèvement a commencé, plus de cent Bahreinites ont été assassinés, la grande majorité d’entre eux ayant été tués par les forces de sécurité, tandis que des centaines d’autres étaient blessés dans les différentes vagues répressives.

Dès le début, la monarchie bahreinite a essayé de délégitimer les protestations en les qualifiant de sectaires et de conspiration guidée par les mains iraniennes, en dépit des preuves contraires. Évoquant une menace iranienne, les autorités bahreinites ont encouragé une intervention militaire par leurs voisins du Golfe et obtenu l’appui de leurs alliés occidentaux, dans le but de stopper la vague croissante de mécontentement.

Mais les positions prises et les déclarations faites au plus haut niveau ne représentent pas l’opinion générale des Bahreinite, l’immense majorité étant énergiquement opposée à tout type de rapprochement avec Israël. Dans le même ordre d’idée, la soi-disant menace iranienne qui a influencé la politique étrangère du Bahrain pendant des décennies, a poussé la monarchie au pouvoir à souhaiter des liens plus étroits avec Israël, lequel considère également la république islamique iranienne comme son plus grand ennemi dans la région.

Cette alliance entre Israël et le Bahrain s’est officiellement manifestée au début des années 1990 après la conférence de Madrid en 1991, se renforçant ces dernières années après que le Bahrain se soit retiré du boycott [d’Israël] imposé par la Ligue Arabe en 2005.

Divers documents diplomatiques des États-Unis, révélés par WikiLeaks, ont montré la profondeur des liens entre le Bahrain et Israël. Dans un de ces documents, des officiels bahreinites de premier plan font en privé connaître leur souhait de rencontrer leurs homologues israéliens à un certain nombre d’occasions, allant aussi loin que manifester leur accord avec les positions israéliennes sur les questions centrales [de la cause palestinienne] comme de refuser aux Palestiniens le droit au retour.

Pire encore, un autre document montre comment le roi Hamad bin Isa al-Khalifa révéle à l’ambassadeur des États-Unis au Bahrain, William T. Monroe, qu’il existait déjà des « contacts avec Israël au niveau des renseignements et de la sécurité, » et le roi bahreinite d’ajouter que le « Bahrain sera disposé à aller sur la même voie dans d’autres secteurs. »

Pourtant les positions et les déclarations faites à ce niveau politique ne représentent pas l’opinion du peuple du Bahrain, comme une pléthore d’exemples l’ont montré tout au long des années.

Un autre document de Wikileaks a révélé que le ministre bahreinite des affaires étrangères, Sheikh Khalid bin Ahmed al-Khalifa, s’était réuni en 2007 avec Tzipi Livni, alors ministre des affaires étrangères d’Israël. Cette révélation avait profondément outragé la société bahreinite.

Pour terminer, un dernier document combien avait été critiqué dans le pays, un article du Washington Post rdans lequel le prince héritier Sheikh Salman bin Hamad al-Khalifa faisait la promotion d’un « dialogue » de `’ avec Israël.

Les actions sociales et civiles bahreinites de solidarité avec les Palestiniens contredisent la position de la monarchie. Ces actions vont du boycott par Maryam Al-Khawaja d’une conférence de l’UNESCO pour les droits de l’homme qui honorait son père, Abdulhadi al-Khawaja, prisonnier politique, parce que le même événement honorait le président israélien Shimon Peres, jusqu’à l’initiative courageuse il y a quelques semaines, d’un député bahreinite mettant le feu à un drapeau israélien pendant une session parlementaire.

Et la solidarité fonctionne dans les deux sens.

Une répression vécue des deux côtés

« Oui, ils [les Palestiniens] ont une vision claire de la situation au Bahrain. Ils supportent le mouvement pro-démocratique. Il n’y avait aucune fausse idée de la situation au Bahrain, » a expliqué Tammam concernant l’opinion des Palestiniens envers le soulèvement au Bahrain.

Sa déclaration a un fort accent de vérité si l’on regarde la façon dont les sites palestiniens d’information ont suivi le soulèvement, en comparaison d’autres agences régionales dont les rapports étaient truffés de préjugés sectaires et traitaient le sujet de façon à présenter la monarchie bahreinite sous un jour meilleur jour.

Cette reconnaissance mutuelle entre l’expérience palestinienne sous l’occupation et le colonialisme israéliens, et la l’expérience bahreinite de l’oppression sous la monarchie d’Al-Khalifa, s’est manifestée dans une lettre écrite par Ameer Makhoul - un prisonnier palestinien incarcéré dans une prison israélienne – et dédiée au prisonnier politique barheinite Abdulhadi al-Khawaja, intitulée : « Votre liberté est notre liberté et notre liberté est votre liberté. » Dans la lettre, Makhoul écrivait :

Quand la volonté est libre et que la cause est juste - et vous incarnez chacune des deux - l’être humain est capable de réaliser des miracles, et aucun régime, aussi oppressif, tyrannique, meurtrier qu’il puisse être, ne peut l’en empêcher. Ni le régime bahreinite, le valet de l’impérialisme colonial des États-Unis, ni le système colonialiste israélien en Palestine. C’est le système du colonialisme avec ses régimes de marionnettes qui a perdu toute la légitimité, tandis que les peuples sont par essence légitimes.

Plus l’alliance de la monarchie du Bahrain avec Israël continuera à se développer, plus elle sera contestée et contredite par la solidarité croissante entre les Bahreinites démocrates et les Palestiniens. La monarchie est guidée par son instinct de conservation et ses calculs politiques, tandis que les peuples du Bahrein et de la Palestine incarnent une alliance régie par la reconnaissance mutuelle de leurs souffrances et des droits qui leur sont dus.

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16 décembre 2012 – al-Akhbar - Vous pouvez consulter cet article à :
http://english.al-akhbar.com/conten...
Traduction : Info-Palestine.eu - Nour et CZ


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