Les chiites au Bahreïn : pour bien comprendre le sens de leur lutte
lundi 4 avril 2011 - 08h:51
Genieve Abdo & Jasim Husain Ali
Les manifestants, surtout chiites, au Bahreïn réclament une réforme politique qui n’est pas un alignement avec l’Iran, expliquent les spécialistes.
- Les chiites de Bahreïn ont pris leurs distances avec l’Iran, tandis que l’attention internationale est détournée vers la Libye - Photo : Reuters
Si l’on écoute les discours qui sortent de Téhéran, on pourrait supposer que l’opposition chiite au Bahreïn s’appuie sur l’aide de ses co-religionnaires du pays proche. Mais, en fait, c’est le contraire qui est vrai : l’opposition chiite veut avant tout que Téhéran reste en dehors du conflit qui a lieu dans le petit royaume.
La forte exigence de l’opposition populaire est de transformer le pays en une monarchie constitutionnelle, tout comme il en existe en Europe. D’autres objectifs sont aussi :
un gouvernement élu,
une presse libre,
une société civile libre,
un terme aux pratiques discriminatoires à l’égard des religions autres que celle de la minorité sunnite (accès inégal à l’emploi, distribution inéquitable des richesses...)
l’élimination de toutes les formes de mauvaise pratique administrative et financière.
Alors que l’attention du monde se porte en priorité sur la Libye, l’opposition populaire au Bahreïn a fait tout son possible pour se distancier des dirigeants de Téhéran.
Cheikh Ali, secrétaire général d’Al-Wefaq, le principal groupe d’opposition chiite, a publiquement annoncé en mars que son organisation ne souhaitait pas mettre en ?uvre le Vilayat-e Faqih, ou concept de gouvernement clérical suprême, comme en Iran, .
Pourtant, même compte tenu de ces faits, les grandes annonces de Téhéran - qui incluent maintenant l’envoi de jeunes Iraniens à Bahreïn pour participer aux manifestations, si ce n’est combattre aux côtés de l’opposition - montrent que l’Iran continue de manipuler la crise en sa faveur en essayant de convaincre le monde que les chiites à Bahreïn ne font qu’un avec ceux d’Iran.
En réalité, le Bahreïn est l’un des états les plus politiquement conscients dans la région. Les exigences de réforme ne sont pas apparues seulement il y a quelques semaines lorsque les manifestations ont débuté. Elles remontent en réalité aux années qui ont précédé l’indépendance du royaume par rapport à la Grande-Bretagne en 1971.
De l’avis de beaucoup de chiites, l’arrivée des troupes saoudiennes il y a une semaine simplement n’est qu’un stratagème utilisé par les dirigeants du Bahreïn pour réprimer les appels de l’opposition pour une démocratie de style occidental, et maintenir le statu quo. Pour les Saoudiens, la répression des manifestants chiites à Bahreïn est dans le même temps un message à leurs propres citoyens chiites de la partie orientale du pays, lesquels refusent d’être dominés et exigent également l’application de principes démocratiques.
La présence militaire de l’Arabie saoudite a produit deux résultats négatifs. En premier, l’Arabie saoudite pousse les dirigeants du Bahreïn à utiliser la violence contre leur propre peuple de façon à minimiser, selon le point de vue des Saoudiens, toute intervention potentielle iranienne et intimider leurs propres citoyens chiites. En second, l’Iran exploite à présent l’invasion de l’Arabie saoudite pour menacer le gouvernement du Bahreïn et se faire passer pour le protecteur de ses frères chiites dans l’Etat voisin.
La triste vérité est qu’il y a aujourd’hui une escalade des tensions dans le Golfe comme cela n’a pas été vu depuis des années. Les enjeux sont élevés pour le Bahreïn et l’Arabie saoudite, mais certainement pas pour l’Iran à l’heure actuelle.
Par conséquent, attendons-nous à ce que l’Iran exploite la la situation dans les jours et semaines à venir en essayant d’exercer la pression maximale sur le gouvernement de Bahreïn, en s’arrêtant juste en deçà de provoquer un affrontement armé avec les pays membres du Conseil de Coopération du Golfe (CCG).
Et des initiatives plus dures par les responsables bahreïnis à l’égard de l’Iran ne peuvent pas être exclues dans les jours à venir, comme un boycott de l’Iran par le CCG qui inclut l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Qatar, le Koweït, Oman et le Bahreïn.
Que peut-on faire ? A tort ou à raison, de nombreux militants politiques au Bahreïn se tournent vers les États-Unis pour qu’ils les aident à promouvoir la démocratie dans leur pays. Mais ce qui est plus troublant, c’est que les officiels de haut rang des États-Unis et des généraux à la retraite semblent estiment que parce que la violence en Libye est plus grave, l’opposition au Bahreïn doit être abandonnée à elle-même.
Récemment, le général en retraite Wesley Clark a soutenu que les situations en Libye et au Bahreïn « ne sont pas comparables ». Cela pourrait être vrai, mais les États-Unis ont beaucoup plus à perdre au Bahreïn si l’Iran est en mesure d’exploiter la crise pour accroître son influence dans le pays.
De nombreux chiites pensent que les États-Unis ont décidé que certaines dictatures arabes méritaient d’être maintenues, et craignant une alliance entre le Bahreïn et l’Iran chiite, Washington a réellement donné son feu vert aux Saoudiens pour l’envoi de troupes. Si cela a été la raison pour [permettre] l’invasion par l’Arabie saoudite, Washington devrait savoir que les actions et les discours de l’Iran sont basés sur ses propres intérêts, pas sur ceux de l’opposition à Bahreïn.
Certes, la stabilité au Bahreïn est dans l’intérêt de Washington, si ce n’est seulement parce Manama est le port d’attache de la 5e flotte des États-Unis.
La crise ne prendra fin que si l’Arabie saoudite et l’Iran restent en dehors de ce qui est une crise interne, que si les dirigeants du Bahreïn sont poussés à faire des compromis avec l’opposition, et que si les États-Unis font savoir qu’ils ne toléreront pas une guerre par procuration [entre le CCG et l’Iran] dans laquelle l’Iran a bien plus à gagner que n’importe quel autre protagoniste.
* Dr Husain Ali Jasim est membre du Parlement du Bahreïn et dirigeant du Wefaq, le groupe le plus important de l’opposition chiite. Geneive Abdo est le directeur du Century Foundation et du National Security Network, basés à Washington.
3 avril 2011 - Al Jazeera - Vous pouvez consulter cet article à :
http://english.aljazeera.net/indept...
Traduction : Abd al-Rahim