Le 23 mars, les forces syriennes de sécurité ont tué jusqu’à 20 manifestants pacifiques et en ont blessé beaucoup plus. Depuis, la violence a atteint un tel niveau de brutalité et de sauvagerie qu’elle ne peut être comparée qu’au tristement célèbre massacre commis par le régime dans la ville de Hama en 1982
A en croire la conseillère du président, Buthaina Shaaban, une des politiciennes les plus éloquentes du monde arabe, une campagne de réforme systématique est en cours d’exécution en Syrie. Elle laisse aussi entendre que si certaines exigences des manifestants sont légitimes, la crise a été en grande partie fabriquée à l’étranger et est maintenant mise en oeuvre dans le pays par des bandes armées qui veulent semer le chaos. Selon les autorités,le seul but des manifestants est de saper le leadership de la Syrie dans la région et dans l’ensemble du monde arabe.
Effectivement, la Syrie a défendu, du moins en paroles, la cause de la résistance arabe. Elle a accueilli les factions de la résistance palestinienne qui refusaient de suivre la ligne USA-Israël. Bien que ces factions n’utilisent pas Damas comme base de résistance violente contre Israël, elles y disposent d’ une plate-forme relativement libre à partir de laquelle elles peuvent communiquer leurs idées. Israël, qui cherche à détruire toutes les formes de résistance palestinienne, enrage devant cette tribune.
La Syrie a également soutenu le Hezbollah, groupe de la résistance libanaise, qui a réussi à sortir Israël du Liban en 2000 et a fait échouer les efforts israéliens visant à gagner du terrain politique et militaire au Liban en 2006.
Cette narration démontre aussi comment sa logique survit à l’aide de preuves palpables des tentatives menées au grand jour ou clandestinement pour saper son leadership du front appelé réjectionniste. Ce front, qui a refusé de céder devant l’hégémonie USA-israélienne dans la région, s’est déjà considérablement rétréci après l’invasion de l’Irak, la défaite de la Libye devant les diktats occidentaux et la mise à l’écart du Soudan.
Qui plus est, le gouvernement israélien a été vraiment déçu quand les USA n’ont pas visé la Syrie pendant sa frénésie de changement de régime qui a suivi l’invasion de l’Irak en 2003. Après tout, les fidèles amis néoconservateurs d’Israël - Richard Perle, Douglas Feith et David Wurmser-avaient inclus la « prise en mains de la Syrie » comme objectif culminant dans leur document de politique de 1996.
Intitulé « Rupture nette : nouvelle stratégie pour sécuriser le Royaume », le document avait pour but d’aider Benjamin Netanyahu à se débarasser de ses ennemis régionaux.
Le document disait : « Etant donné la nature du régime de Damas, il est normal et moral qu’Israël abandonne le slogan "paix globale" et agisse pour contenir la Syrie, en attirant l’attention sur son programme d’armes de destruction massive et en rejetant les négociations de "Paix contre la terre" concernant les Hauteurs du Golan. »
La Syrie est également tombée dans la ligne de mire USA-israélienne à plus d’une occasion. La frappe aérienne israélienne appelée "Opération Verger" avait reçu le feu vert des USA. Sa cible était un prétendu réacteur nucléaire dans la région de Deir ez-Zor et une attaque aérienne étasunienne contre un village syrien en octobre 2008 dans laquelle des civils syriens ont été blessés ou tués.
Bien que selon la version syrienne officielle ces événements devraient justifier à eux seuls la dure répression de l’armée contre ceux qui manifestent en faveur de la démocratie, ce raisonnement est invalidé par la longue histoire d’hypocrisie, de double langage, de brutalité et d’une volonté réelle, bien que discrète, d’accommoder les pressions et les diktats occidentaux.
L’occupation par Israël du plateau du Golan syrien en juin 1967 n’a pas simplement touché la dynamique du pouvoir régional, elle a également créé une nouvelle atmosphère politique à Damas.
Ce fut Hafez Al-Assad , père de l’actuel président Bachar, qui tira profit du changement d’atmosphère pour renverser le président Nur Al-Din Al-Atasi. La nouvelle narration a triomphé ; elle ne visait pas simplement à reprendre à Israël les territoires syriens et les autres territoires arabes occupés, mais elle faisait aussi du régime Baathiste d’al-Assad le dirigeant du nouveau front arabe. Bien que la guerre de 1973 n’ait pas réussi à libérer le Golan de ses envahisseurs, et qu’il ait abouti à un « accord de désengagement » avec Israël en mai 1974, le langage officiel est resté plus enflammé et révolutionnaire que jamais.
Bizarrement, pendant près de quatre décennies, l’implication de la Syrie dans le conflit est restée largement théorique et la résistance a été uniquement le fait de petits groupes libanais et palestiniens.
Il semble que la Syrie voulait être impliquée dans la région uniquement dans la mesure où elle restait un acteur visible, mais pas au point d’être confrontée à des répercussions violentes.
Ce fut de la part de Hafez un coup de maître qu’il forgea pendant trois décennies et que Bachar a appliqué ingénieusement pendant près de 11 ans. Essentiellement toutefois, la Syrie restait asservie au contexte de la famille au pouvoir, à la règle du parti unique et au classement sectaire remontant à l’occupation coloniale française en 1922.
Il est vrai que la Syrie a été et restera une cible pour les pressions occidentales. Mais il faut se rendre compte que ces pressions sont dictées par des politiques concernant uniquement Israël et qu’elles ne se préoccupent pas d’une dictature aux mains d’une famille qui assassine ouvertement des civils innocents de sang-froid.
En fait, il y a beaucoup de similitudes dans le comportement de l’armée syrienne et de l’armée israélienne. Le nombre de victimes de la rébellion en Syrie serait de 1600 morts et de 2000 blessés (Al-Jazeera, 27 juillet) et de près de 3000 disparus (CNN, 28 juillet).
Malheureusement, cette violence n’est pas récente et on ne peut pas dire qu’elle soit due à la crainte d’une conspiration internationale visant à saper le régime du Baath. Le soulèvement de Hama 1982, dont on évalue le nombre de victimes à entre 10.000 et 40.000, a été écrasé avec autant de violence si pas davantage.
Le régime syrien confond délibérément les narrations régionales avec la narration nationale et continue à exploiter un discours vieux de plusieurs dizaines d’années pour expliquer la manière inhumaine dont il traite les Syriens. Les civils continuent à subir la colère d’une seule famille soutenue par un seul parti politique.
Mais il n’y a qu’une manière de lire l’avenir de la Syrie. Le peuple syrien mérite une aube nouvelle de liberté, d’égalité, de justice sociale à l’abri de slogans creux, d’élites égoïstes et de criminels corrompus. Le peuple syrien mérite beaucoup mieux.
Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Mon père était un combattant de la liberté : L’histoire vraie de Gaza (Pluto Press, London), peut être acheté sur Amazon.com.
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2 août 2011 - Cet article peut être consulté ici :
http://www.ramzybaroud.net/articles...
Traduction : Anne-Marie Goossens