L’unité palestinienne et le nouveau Moyen-Orient
samedi 7 mai 2011 - 14h:41
Ramzy Baroud
La réponse du premier Ministre israélien Benjamin Netanyahu à l’accord signé entre le Hamas et le Fatah au Caire a été rapide et prévisible.
- Mardi 15 mars - Des manifestation pour l’unité palestinienne ont eu lieu en Cisjordanie comme dans la bande de Gaza - Photo : Reuters
« L’Autorité Palestinienne doit choisir entre la paix avec Israël et la paix avec le Hamas. Il n’y a aucune possibilité pour la paix avec les deux à la fois, » a-t-il dit, dans un discours télévisé peu de temps après que les organisations politiques palestiniennes rivales aient conclu un accord de réconciliation le 27 avril, sous l’égide de l’Egypte.
Malgré les nombreuses tentatives passées visant à saper la crédibilité de Mahmoud Abbas, à faire traîner les pourparlers pour la paix et à renier les engagements israéliens pris dans de précédents accords, Netanyahu et son gouvernement d’extrême-droite affirment aujourd’hui que les Palestiniens seraient les seuls responsables de la liquidation de l’illusoire « processus de paix ».
Les bulldozers israéliens continueront à mettre en pièces la malheureuse Cisjordanie pour faire place à encore plus de colonies [toutes illégales au regard de la loi internationale], mais cette fois leur excuse ne sera plus « l’expansion naturelle ». La justification sera plutôt qu’Israël n’a pas de partenaire. Les médias américains comme d’autres répéteront à satiété et à plaisir cette terrible logique, et les Palestiniens, comme à chaque fois, seront « punis ».
Mais pour parler clair, au stade où nous en sommes dans l’Histoire du Moyen-Orient, Israël est presque négligeable. Il n’a plus d’influence effective dans la région. Lorsque le peuple arabe a commencé à se révolter une nouvelle dimension du conflit israélo-arabe est apparue. Depuis que les slogans au Caire sur la place Tahrir, ont pris une tournure pan-arabe et pro-palestinienne, il était devenu évident que l’Egypte allait s’aventurer à l’extérieur des limites politiques fixées par les appellations condescendantes de Washington qui séparent les Arabes en modérés (les bons) et en radicaux (les mauvais ).
Un jour après les poignées de main échangées par le représentant en chef du Fatah - Azzam al-Ahmed - et les dirigeants du Hamas - le Dr Moussa Abou Marzoug qui réside à Damas, et Mahmoud Al Zahar qui réside à Gaza - les forces qui sous-tendent l’accord du Caire sont clairement apparues. Alors que les dirigeants israéliens ont utilisé la seule langue qu’ils connaissent dans ces situations-là - celle des menaces, des intimidations et des ultimatums - la réponse des États-Unis est restée insignifiante, confuse, et un peu décalée. En plus du caractère désuet des remarques faites par les responsables américains, l’accent a été largement mis sur l’unique moyen de pression dont les Etats-Unis disposent vis-à-vis d’Abbas et de ses alliés du Fatah. Jennifer Rubin [commentatrice liée au parti républicain] a écrit sur son blog du Washington Post le 29 avril : « L’administration Obama hésite à exprimer clairement la position suivante ; que si apparaît un gouvernement d’union Fatah-Hamas comme l’explique Mahmoud Abbas, les États-Unis couperont leur aide ».
Mais cette réticence temporaire [de la part de Washington] ne peut guère durer. « Le Congrès est une tout autre affaire » écrit Rubin, citant sans le nommer un élu en colère : « Les seules réponses qui vaillent (à la question de savoir si les États-Unis devaient financer ou non le prochain gouvernement palestinien) seraient pour la plupart des Américains ’non’ ou ’allez au diable’. »
Mais quelle serait l’efficacité de cette torsion du bras [financial arm-twisting], surtout si d’autres pays donateurs emboîtent le pas ?
Si la question avait été posée avant le printemps arabe - et avant la révolution égyptienne en particulier - la réponse aurait été difficile. Une classe entière d’hommes politiques palestiniens avaient défini leur positionnement presque exclusivement autour des questions du financement...
Ce qui a permis à Israël et aux États-Unis de contrôler les effets des divers événements politiques, même dans les affaires internes palestiniennes, a été l’absence de tout véritable équilibre politique dans ce qui a trait à ce conflit. Les États-Unis et leurs alliés décident de ce que veut la « communauté internationale », et la région a été prise au piège de Washington - et de Tel-Aviv - qui ont toujours décidé qui est l’ami et qui est l’ennemi. Nous avions là une impasse politique par excellence, et au seul bénéfice d’Israël.
Cette analyse n’est pas uniquement pertinente par rapport à des événements récents. Le gain israélien le plus important avec l’accord de Camp David (1979) n’a pas été de ramener la paix entre les deux pays - sans qu’une véritable paix régionale ne suive. Son gain a été la totale exclusion de l’Egypte - potentiellement un intervenant arabe puissant - dans pratiquement toutes les questions du monde arabe préoccupant Israël. La marginalisation de l’Egypte a permis à Israël d’attaquer le Liban à plusieurs reprises et aussi de poursuivre la colonisation et la destruction des territoires palestiniens sous occupation.
A présent l’Egypte est de retour - pas seulement en termes d’un retour « dans le contexte arabe » -, mais comme parti qui sera le plus en plus à même de définir la nouvelle réalité du monde arabe. La signature de l’accord entre le Hamas et le Fatah peut avoir représenté une surprise du point de vue des médias, mais il s’agit en vérité d’une conséquence qui était prévisible dans la chaîne des événements qui ont marqué le renouveau politique dans la région. Aujourd’hui le Moyen-Orient est dirigé par un pays arabe puissant, se sentant suffisamment sûr de lui pour traiter avec de multiples partenaires, qu’il s’agisse d’autres pays arabes ou de l’Iran et de la Turquie, pour ne citer que ceux-là.
La Turquie ne s’est pas contentée de se féliciter de l’accord, elle a également été l’un des principaux initiateurs du rapprochement palestinien. Le Ministre turc des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, a contribué à l’unité palestinienne. Quant à la position iranienne, le ministre des Affaires étrangères Ali Akbar Salehi a salué cet accord de « bon augure » qu’il a présenté comme « l’une des réalisations de la révolution égyptienne », selon le Teheran Times daté du 30 avril.
La vision israélienne pour la région est de maintenir celle-ci politiquement divisée à n’importe quel prix. Sans une telle division, Israël pourrait bien se retrouver sur la défensive et les États-Unis s’épuiseront alors à gérer les crises. L’unité palestinienne dans la foulée de la révolution en Egypte - avec la bénédiction de tous les pays arabes, de la Turquie, de l’Iran et de beaucoup d’autres - est une perspective extrêmement inquiétante pour Israël. Le plus préoccupant est la montée en puissance de l’Egypte en tant qu’intervenant sur la plan politique, capable de prendre des décisions de son propre chef. Outre le parrainage de l’accord entre le Hamas et le Fatah, sans permission israélienne ni américaine, le nouveau Ministre égyptien des affaires étrangères, Nabil al-Arabi, a aussi fait savoir que la décision d’appliquer un blocus sur la bande de Gaza était « honteux », et il a promis de lever le siège (comme l’a rapporté Al Jazeera le 29 avril).
« L’Égypte est en train de tracer une nouvelle voie dans sa politique étrangère - et cela a déjà commencé à bousculer l’ordre établi au Moyen-Orient - en envisageant d’ouvrir la frontière avec Gaza et de normaliser ses relations avec le mouvement palestinien du Hamas et avec l’Iran, deux ennemis islamistes de l’Occident, », écrit David D. Kirkpatrick dans le New York Times daté du 28 avril.
Un tel commentaire aurait par le passé été inimaginable. Aujourd’hui, grâce à la volonté des peuples égyptien et arabe, il est à même de définir le nouveau discours politique du monde arabe. Aucun discours colérique fait par un Premier ministre israélien discrédité ne pourra empêcher ce puissant changement perspective.
Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Mon père était un combattant de la liberté : L’histoire vraie de Gaza (Pluto Press, London), peut être acheté sur Amazon.com.
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