« Shock and Awe » pour les néocons : les Arabes se soulèvent !
dimanche 13 mars 2011 - 15h:19
Ramzy Baroud
Un sentiment diffus d’inquiétude semble traverser les sociétés du monde arabe. Ce qui s’y déroule est plus qu’une simple révolution au sens politique ou économique du terme. Cela bouscule les définitions communément admises de ce que signifie être Arabe, à la fois individuellement et collectivement.
Hollywood a longtemps caricaturé et humilié les Arabes. La politique étrangère américaine au Moyen-Orient a été facilitée par des représentations dans les médias dominants à la fois simplistes, dégradantes et racistes à l’égard des Arabes. Toute une génération de pseudo-intellectuels ont bâti leur carrière sur l’idée qu’ils avaient une véritable connaissance des sociétés arabes et du caractère manifestement prévisible de leurs comportements.
A présent nous voyons la Libye - une société qui n’avait rien d’une société civile et qui a été le cadre d’une état prolongé de siège littéralement historique. La force collective affichée par la société libyenne est impressionnante pour dire le moins. Tout aussi louable est la façon dont les Libyens ont répondu à des dangers et des défis croissants. Mais le plus important est le caractère spontané de leurs actions. Les initiatives diplomatiques, l’organisation politique, la structuration des actions révolutionnaires et la sensibilisation des médias ont simplement suivi la voie et les demandes du peuple libyen. Les Libyens mènent le combat, et le monde autour est soit leur obligé soit simple spectateur.
Il y a quelque chose de nouveau et et fascinant dans cette situation - un phénomène de mobilisation populaire qui rend toute comparaison historique inadéquate. Les stéréotypes occidentaux ont longtemps servi un but central (et souvent violent) : dominer les Arabes, procédant pour ce faire à des invasions israéliennes, britanniques et américaines au nom de la « démocratie », de la liberté » et de la « libération ». Ceux qui portaient le « flambeau de la civilisation » et prétendaient à une supériorité morale incontestable se sont attribués un libre accès aux terres des Arabes, à leurs ressources, à leur histoire, et surtout, à leur dignité même.
Pourtant, ceux qui ont mis au point ce discours rempli de préjugés et définissant les Arabes en fonction de leurs objectifs coloniaux - de Napoléon Bonaparte à George W. Bush - se sont montrés de mauvais élèves de l’Histoire. Ils ont adapté leurs récits historiques pour les faire coller à leurs propres objectifs, se présentant toujours comme les libérateurs et les sauveurs de ce qu’il y a de plus précieux, rien que la civilisation et la démocratie ! En réalité, ils ont pratiqué le contraire de ce qu’ils ont prêché, commis des ravages, retardant les évolutions, remettant à plus tard la démocratie et laissant constamment derrière eux une traînée de sang et de destructions.
Dans les années 1920, la Grande-Bretagne a mis en pièces puis recomposé l’Irak territorialement et démographiquement en fonction d’objectifs politiques et économiques précis. Les puits de pétrole ont été forés à Kirkouk et à Bagdad, puis à Mossoul et Bassorah. La spécificité culturelle de l’Irak a été simplement une opportunité pour diviser et régner. La Grande-Bretagne a su manipuler avec brio le mélange ethno-religieux-tribal. Mais les Arabes en Irak se sont révoltés à plusieurs reprises et la Grande-Bretagne a réagi à la façon d’une armée sur un champ de bataille. Le sang irakien a beaucoup coulé jusqu’à la révolution de 1958, lorsque le peuple a finalement gagné sa liberté face à un roi-marionnette et face aux colonisateurs britanniques. En 2003, les bataillons britanniques sont retournés en Irak, transportant des armes encore plus meurtrières et tenant encore plus de discours déshumanisants, s’imposant comme les nouveaux dirigeants de l’Irak, les États-Unis en tête.
Les Palestiniens - comme les Arabes dans d’autres sociétés - n’étaient pas éloignés en termes de capacité à se mobiliser autour d’une plate-forme volontaire et très progressiste politiquement. En effet, la Palestine a connu il y a des décennis sa première rébellion ouverte contre le projet colonial sioniste dans le pays, et contre le rôle complaisant joué par les Britanniques qui épousaient ce projet et faisaient en sorte d’en assurer le succès assurer son succès (bien avant que Facebook et Twitter n’apparaissent sur la scène révolutionnaire arabe). En avril 1936, les cinq partis politiques palestiniens se sont regroupés sous l’égide du Haut Comité Arabe [Arab Higher Committee - HAC), dirigé par Haj Amin al-Husseini. Une des premières décisions de l’HAC a été de mettre en place et réunir des comités nationaux dans toute la Palestine. En mai, al-Husseini a convoqué à Jérusalem la première conférence des comités nationaux, lesquels collectivement ont déclaré une grève générale le 8 mai 1936. La première action collective des Palestiniens pour protester contre les objectifs sionistes et britanniques en Palestine a été non-violente. Employant des moyens de désobéissance civile, le soulèvement de 1936 faisait en sorte d’envoyer un message ferme au gouvernement britannique, selon quoi les Palestiniens étaient unis à l’échelle nationale et capables d’agir comme une société affirmée et consciente d’elle-même. L’administration britannique en Palestine avait jusqu’alors repoussé la revendication palestinienne pour l’indépendance et accordé peu d’attention à leurs plaintes incessantes à propos de la menace de plus en plus forte représentée par le sionisme et son projet colonial.
La colère palestinienne a pris un tour violent lorsque le gouvernement britannique a eu recours à une répression de masse. Il voulait ainsi envoyer un message clair aux Palestiniens, leur disant que le Gouvernement de Sa Majesté ne serait pas intimidé par ceux qu’il considérait comme d’insignifiants fellahs, ou paysans. Les six premiers mois de l’insurrection, qui a duré 3 ans par ses manifestations et diverses phases, ont été marqués au départ par une grève générale largement suivie qui a duré de mai à octobre 1936. La Palestine était tout simplement fermée suite à l’appel des comités nationaux et d’al-Husseini. Cela a irrité les Britanniques qui ont alors considéré les « habitants non-juifs de la Palestine » comme de pauvres paysans fauteurs de troubles, sans leadership connu. En quelques années, les Palestiniens ont réussi à contester la vision habituelle des Britanniques dont l’orientalisme étroit considérait les Arabes comme des êtres inférieurs disposant de moins de droits ou en étant même dépourvus - un modèle qui sera repris plus tard par les sionistes et les responsables israéliens - les laissant sans autre option pour répondre à un soulèvement légitime que l’usage de mesures coercitives.
Le prix de la révolution est toujours très élevé. Des milliers de Palestiniens ont été tués. Aujourd’hui les Libyens sont tués dans un nombre intolérable. Mais la liberté est douce et plusieurs générations d’Arabes ont prouvé leur volonté de payer le prix élevé qu’elle exige.
La société arabe - qu’il s’agisse des grévistes de Palestine en 1936, des insurgés de Bagdad en 1958 ou des révolutionnaires libyens, tunisiens et égyptiens en 2011 - reste en un sens toujours la même, plus déterminée que jamais à gagner sa liberté, l’égalité et la démocratie. Et ses bourreaux sont encore et toujours déboussolés, usant du même langage fait de manipulation politique et d’actions militaires brutales.
Les néoconservateurs studieux du Foreign Policy Initiative et d’ailleurs doivent éprouver un « shock and awe » * intellectuel, même s’ils persistent à vouloir contrôler les richesses et le destin des Arabes. Mais les sociétés arabes se sont soulevées, unies dans leur appel pour la liberté. Et cet appel est trop puissant pour être étouffé.
Note :
* « Shock and Awe », ou « Choc et Effroi » fait ici référence aux discours bellicistes tenus sous l’Administration Bush lors des bombardements et de l’invasion de l’Irak en 2003. L’idée sous-jacente est que frapper son ennemi avec une force démentielle et hors de toute proportion met celui-ci dans un état de choc et de terreur proche de la paralysie collective. Les Israéliens ont de tout temps appliqué ce concept... [N.d.T]
Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Mon père était un combattant de la liberté : L’histoire vraie de Gaza (Pluto Press, London), peut être acheté sur Amazon.com.
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