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D’une frappe de missile à une aire de jeu : la volonté de Gaza

samedi 11 juin 2011 - 07h:28

Ramzy Baroud

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Un « commandant du Hamas » m’a conduit dans une camionnette grise et déglinguée au nord de Gaza et, très théâtral, il parlait dans son talkie-walkie tandis que je m’asseyais sur le siège passager.

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Gaza rime avec résilience - Photo : zoriah.net

La fourgonnette était vraiment dépouillée, sauf des pièces de base pour la faire avancer sur ​​les routes bosselées d’un camp de réfugiés surpeuplé.

Iyad n’était pas ici pour me montrer un camp d’entraînement pour combattants, ni même pour me faire évaluer les dommages qui s’était abattus sur la pauvre bande de Gaza pendant la guerre dévastatrice d’Israël, l’opération Cast lead qui a massacré et blessé des milliers de personnes l’hiver 2008-2009. Les cicatrices des dommages subis lors de l’attaque qui avait duré trois semaines sont encore visibles sur tout le territoire. Iyad était là pour me montrer son dernier projet personnel : une aire de jeux pour les enfants réfugiés.

À première vue, le « terrain de jeu » ne semble pas impressionnant du tout. Tout ce que je remarquais était un petit lopin de terre coincé entre deux bâtiments de béton plutôt laids.

« Alors, qu’en penses-tu ? » m’a demandé Iyad, avec un sourire très fier. Sa tentative de se laisser pousser la barbe n’avait pas était vraiment un succès, lui donnant un air plus juvénile et plutôt échevelé.

« C’est impressionnant », lui répondis-je, essayant toujours de saisir ce qu’il avait réalisé.

J’appris finalement que la réalisation, c’était la création d’un espace au milieu des débris. À un moment donné, avant décembre 2008, lorsqu’un missile israélien a décidé de venir exploser ici, toute une famille vivait à cet endroit. La maison s’était écroulée, et ses habitants se sont transformés en simples petites affiches de deuil où leurs visages ornent les murs des maisons dans le voisinage.

Iyad et quelques-uns des « Shabab Al-Masjid » - les jeunes de la mosquée - ont presque tout déblayé, en utilisant seulement leurs mains nues et d’autres moyens des plus réduits. Le siège a rendu pratiquement impossible l’utilisation d’une technologie moderne pour retirer les innombrables tonnes de béton dispersées dans Gaza à la suite de la guerre. Le ciment reste un bien précieux dans une région qui a besoin de matériaux de construction en plus de tant d’autres ressources. Mais les gens d’ici ne se découragent pas.

« Et ici il y aura un terrain de foot », a poursuivi Iyad, qui semblait ne pas disposer du moindre budget pour quoi que ce soit, sauf de la volonté des « Shabab ».

Comme on pouvait s’y attendre, Iyad habite dans un camp de réfugiés. Ce qui semblait être une grande fissure dans une grande partie de sa maison était en fait une marque laissée par un missile israélien qui en a soufflé la majeure partie. Toute la famille de Iyad - ses frères, leurs épouses et environ une vingtaine d’enfants - étaient en train de regarder la télévision dans une pièce qui a miraculeusement réussi à rester debout alors que la maison implosait. Les voisins se sont précipités à la recherche de morts et de survivants, et ils ont trouvé tout le monde sain et sauf.

Iyad en sourit encore de soulagement.

Lorsque les drones ont commencé à tourner au-dessus de sa tête, Iyad comprit que les Israéliens l’avaient localisé. Alors il s’est mit à fuir.

« Je ne voulais pas qu’ils sachent où j’habitais, j’ai donc commencé à fuir sans une idée claire de la direction où j’allais », me raconte Iyad, qui rappelle aussi qu’il s’était toujours préparé à un tel moment. « Je n’ai pas peur de la mort. La vie et la mort sont dans la main de Dieu, pas dans celle d’un pilote israélien, mais j’étais inquiet pour ma famille. »

Et c’est alors que la maison de Iyad a été détruite.

Depuis lors, la maison a été reconstruite, mais de manière désordonnée. De nouvelles extensions à la maison s’appuient sur des fissures profondes. Rien ne garantit que les fondations soient sûres, ni même que la maison soit tout à fait habitable. Mais sans se soucier de la guerre, de la mort, des drones armés et des fondations fragiles, les enfants sont remplis de vie.

Trois des garçons dans la maison de Iyad portent le même nom. C’est le nom du frère de Iyad qui a été tué par un sniper (tireur embusqué) israélien alors qu’il manifestait contre l’occupation durant le première soulèvement palestinien (Première Intifada) en 1987. C’est cet événement qui a changé la vie d’Iyad pour toujours. En un instant, le petit garçon est devenu un homme, comme on s’attend à ce que le devienne tout « frère d’un martyr. »

La nièce d’Iyad - une jolie fillette dans une robe à carreaux - a été invitée à nous faire écouter son nashid, une chanson qu’elle a appris dans la rue. Elle le fait avec un enthousiasme qu’on ne peut décrire. La chanson parle de paradis et de martyrs et du « droit au retour », des enfants face aux missiles avec leurs poitrines nues. La foule applaudit, et la fillette se blottie à côté de moi, timide. Peut-être qu’elle n’avait pas prévu une réaction aussi passionnée de la part de son auditoire. Elle n’a que cinq ans.

Iyad, qui est en train d’étudier dans une université locale à Gaza, parle déjà d’une maîtrise et d’une carrière d’enseignant. Il reste aussi très occupé par son terrain de jeu et les défis qui l’attendent lui et les « Shabab Al-Masjid », une fois que le terrain encore inégal sera complètement aplani.

Ses neveux et nièces chantent pour les martyrs, mais ils sont également soucieux de faire leurs devoirs. Ils discutent des examens de fin d’année avec appréhension et excitation. Tous les garçons sont fans du club de foot de Barcelone et supporters d’un dénommé Lionel Messi.

« Quand je serai plus grand, je voudrais étudier l’éducation physique », me dit l’un des garçons, un adolescent d’environ 14 ans. « Je vais me spécialiser dans le football, tout comme l’a fait Messi à l’Université de Barcelone, » ajoute-t-il avec enthousiasme.

J’ai ri, comme tout le monde a ri autour de moi !

Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Mon père était un combattant de la liberté : L’histoire vraie de Gaza (Pluto Press, London), peut être acheté sur Amazon.com.

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9 juin 2011 - Communiqué par l’auteur - Traduction : Claude Zurbach


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