Ascension et déclin du discours révolutionnaire arabe
samedi 22 août 2015 - 07h:08
Ramzy Baroud
Il est étrange de constater combien le débat sur le ainsi-nommé « printemps arabe » a changé au cours des dernières années. Alors qu’il était question de liberté, justice, démocratie et droits de l’hommel, tout a sombré dans une querelle politique entre différents camps antagonistes.
- Manifestation à Sana, Yémen - Photo : AP/Hani Mohammed
Les peuples qui se sont révoltés dans divers pays arabes sont maintenant marginalisés dans ce débat et ne sont utilisés que comme des numéros - répartis entre tueurs et victimes - dans une guerre apparemment sans fin.
Mais comment les choses ont-elles pu tourner si mal ?
Il fut un temps où tout était plus simple, facile à comprendre et à expliquer : les peuples, longtemps opprimés, se révoltaient contre leurs oppresseurs (les régimes arabes) et leurs bienfaiteurs (les puissances occidentales).
Il était impossible d’imposer des changements par des moyens pacifiques - les sociétés civiles arabes n’existaient pas ou elles étaient étroitement contrôlées - et les masses arabes ont envahi les rues, chaque nation menant un combat qui était le sien, mais unies autour d’un ensemble d’exigences de base.
En fait, dans les premiers mois de 2011, les Arabes se sont brièvement unis. Un sens de la nation est apparu, issu du sang et de la poussière des révolutions, les masses arabes voulant, au moins symboliquement, définir qui elles étaient en tant que nations, puis leur identité en tant qu’Arabes à un niveau plus large.
Tout a commencé avec « Al-Shaab yurid isqat al-nitham » (le peuple veut le renversement du régime !) Cela était clair. Haïr les régimes autoritaires et oppressifs - qui ont étouffé les libertés et privé les peuples de leurs richesses et ressources naturelles - était l’unique priorité, souvent réduite à l’appel de « Irhall », qui signifie « Dégage ».
« Irhal » faisait plus que donner un sentiment de pouvoir. Imaginez des millions de gens pauvres, dressés sur les principales places de leurs villes, certains dans des vêtements en lambeaux, d’autres affamés, fatigués, vacillant entre l’espoir et le désespoir, mais criant en coeur d’une voix de tonnerre : « Irhal ! ». Et les dictateurs ont commencé à partir, l’un après l’autre.
Enhardis par cette capacité à imposer un vrai changement, le récit des révolutions arabes a évolué et mûri. Les symboles de l’unité arabe - qui tentent d’unifier un objectif commun arabe - ont commencé à prendre forme, et en Tunisie, au Caire et à Sanaa, les mêmes drapeaux ont été brandis et des exigences proches ont été formulées.
Les symboles de l’unité entre chrétiens et musulmans ont également commencé à apparaître, malgré les tentatives des régimes en place de semer les graines de la discorde. Cela a été le plus évident en Egypte, mais d’autres sociétés ont également réfléchi sur leur unité, contestant le tribalisme, le régionalisme, le sectarisme, et tous les « ismes » de discorde qui ont paralysé les nations arabes depuis des générations.
Avec le temps, d’autres récits se sont également imposés, exposant des doléances et de profondes injustices allant des droits des femmes à l’accès à l’éducation et à la répartition équitable des richesses.
Le stade ultime de ce récit populaire et révolutionnaire arabe a été mis en relief dans le slogan égyptien : « khubz, hurriyah, adala igtimayiah » (Pain, Liberté, Justice sociale).
Grâce à cette phase du « printemps arabe », les débats télévisés, les articles de presse et les discussions dans les médias sociaux s’efforçaient de correspondre aux récits imposés par le collectif arabe, qui avait suffisamment longtemps crié et protesté pour imposer ses revendications à tout un chacun. Les médias en ont pris note, et leur propre vocabulaire a évolué du « changement de régime » vers des références générales à la « liberté », la « démocratie » et enfin le « développement » - devenant autant de mots-clés à travers les médias nationaux et pan-arabes.
Les choses étaient donc assez simples, sinon un peu trop confiantes. L’hypothèse générale était que, une fois la place Tahrir en Égypte nettoyée des traces de la révolution et la Libye nettoyée de sa machinerie de guerre (notons au passage que grâce à l’OTAN, un soulèvement régional en Libye s’est transformé en une guerre des plus meurtrières), le compte à rebours pour une démocratie durable et un développement économique serait entamé.
Bien sûr, l’Histoire n’est pas influencée par des voeux pieux ou même de bonnes intentions. Il faudrait bien plus qu’un chant, peu importe sa force, ou un slogan, peu importe sa puissance expressive, pour renverser le cercle vicieux de la corruption, de la pauvreté et des régimes autoritaires qui ont occupé l’intégralité de l’histoire moderne.
Dans presque tous les scénarios qui ont suivi la révolte arabe, la responsabilité de guider ces pays pour retrouver une stabilité politique et économique a été remise aux soit-disant élites qui avaient régné, ou coexisté pour leur plus grand bénéfice avec les dictateurs qui avaient été, disait-on, renversés.
C’était un spectacle intéressant et étrange de voir l’élan révolutionnaire dans chaque pays arabe brutalement s’arrêter, ou changer de direction. L’Egypte était un excellent exemple de ces contradictions. Ce n’était pas que ces révolutions manquaient de ferveur ou de passion, mais leurs protagonistes imaginaient naïvement que les élites dirigeantes sauraient de leur propre chef concevoir un système économique équitable et transparent.
La fragilité dans la transition qui caractérise chaque expérience révolutionnaire arabe a permis aux anciens régimes et à leurs bienfaiteurs de reprendre l’initiative et d’inverser les gains, même symboliques, des masses arabes. Le Premier ministre britannique David Cameron a été le premier chef d’Etat étranger à visiter l’Egypte après la révolution du 25 janvier (dix jours à peine après le renversement de Hosni Moubarak), en même temps que se joignaient à lui les représentants des principaux marchands et entreprises d’armes. Il était venu offrir son matériel mortifère aux dirigeants militaires de l’Egypte, ce qui était la dernière chose dont l’Egypte avait besoin à ce moment-là.
Il est également tout à fait logique de tomber sur les récents titres de presse tels que « Kerry cherche à resserrer les liens avec l’Egypte malgré les tensions sur les droits de l’homme », comme Bloomberg l’a rapporté lors de la visite du secrétaire d’Etat américain John Kerry au Caire le 2 août, pour offrir lui aussi des avions de chasse et d’autres armes.
Le « printemps arabe » n’a pour l’instant atteint aucun de ses objectifs, car ni le pain n’est disponible en abondance, ni la liberté et la justice sociale à portée de main. Il a, cependant, fait réagir les castes dirigeantes arabes, leurs armées et leurs régimes, devenus plus conscients que jamais de leurs propres vulnérabilités.
La peur paralyse à présent la plupart des pays arabes qui autrefois se considéraient comme invincibles et pensaient leurs peuples à jamais dociles. Cette prise de conscience a mené à des conflits et des réalignements politiques qui ont intégré chaque révolte populaire arabe dans un conflit à l’échelle de la région ou dans une guerre qui traverse les frontières, inspirant des groupes extrémistes et invitant à encore plus d’interventions et de guerres occidentales.
Le monde arabe et le Moyen-Orient en général, n’ont pas connu un tel bouleversement géopolitique depuis le début du 20e siècle, lorsque les territoires ottomans ont été répartis entre les anciennes puissances coloniales européennes qui s’acheminaient vers la seconde guerre mondiale. Le résultat de ce bouleversement est susceptible d’être équivalent à ces expériences passées, sinon plus, en raison de la participation populaire à ces conflits.
Mais l’un des changements les plus marquants dans les priorités du « Printemps arabe » est le complet renversement de son récit. De candide, unificateur, partisan d’un renforcement du pouvoir populaire, il s’est transformé en un récit complexe, trompeur, poussant à la division, paralysant et élitiste, où les peuples n’ont plus guère leur place.
La langue est un outil essentiel, si l’on veut comprendre les priorités politiques de toute phase historique située dans le temps et l’espace. La langue qui a cours au Moyen-Orient est celle qui parle d’un conflit entre rivaux régionaux, manipulant les sectes, les tribus et les religions pour atteindre des objectifs politiques. Quant aux peuples, ils sont de plus en plus repoussés aux marges, autorisés à se montrer brièvement lors de cérémonies d’État pour agiter des drapeaux qui depuis longtemps ont cessé d’avoir un véritable sens national, ou brandir des images de dirigeants - souriants, triomphants, et comme toujours brutaux.
* Ramzy Baroud est titulaire d’un doctorat à l’université d’Exeter, et journaliste international directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest.fr. Son site personnel : http://www.ramzybaroud.net
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11 août 2015 - The Palestine Chronicle - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.palestinechronicle.com/s...
Traduction : Info-Palestine.eu - Lotfallah