L’Algérie paiera les pots cassés de l’aventurisme de Hollande
samedi 19 janvier 2013 - 07h:56
Abdel Bari Atwan
Il est possible que Hollande n’ait pas voulu directement impliquer l’Algérie dans son aventure militaire au Mali, lourde comme elle l’est de dangers, et que son principal objectif était de s’affronter aux organisations extrémistes islamiques qui ont pris le contrôle du nord du pays et de les empêcher d’avancer et de capturer la capitale du Mali. Mais l’Algérie pourrait en sortir comme le grand perdant - juste après la France - si les forces françaises ne parviennent pas à remplir leur objectif aussi rapidement que prévu.
Sous Nicolas Sarkozy, la France était sortie apparemment victorieuse de son aventure libyenne, après avoir poussé à l’intervention occidentale qui a précipité la chute du régime du colonel Mouammar Kadhafi.
Sous François Hollande, cependant, la France est en train de payer un prix très lourd pour une victoire de courte durée qui a duré à peine deux ans. Non seulement la France risque de perdre un nombre important de soldats au Mali (et dans l’opération pour libérer les otages en Algérie où elle est susceptible de participer), mais Hollande a porté atteinte à la sécurité interne comme en témoignent les mesures de sécurité renforcées dans les centres des villes, les aéroports et les gares en prévision d’attaques de représailles par des cellules d’Al-Qaïda.
Des armes françaises, venues de Libye, pour tuer des soldats français...
Il est ironique de constater que les armes modernes utilisées contre les troupes françaises par des groupes maliens et algériens proches d’Al-Qaida, comme Ansar Eddine et le front dirigé par Mokhtar Belmokhtar, sont des armes françaises fournies aux rebelles libyens par l’ex-président Sarkozy. Les combattants d’al-Zintan à Jabal Nafusah dans l’ouest de la Libye, se sont faits un plaisir d’y ajouter des armes françaises et russes saisies dans les arsenaux du défunt leader libyen.
Mensonges de Hollande
Hollande a déclaré hier que la crise actuelle dans le Sahara, où un groupe armé islamique a attaqué un centre d’exploitation gazier algérien et a pris en otages des travailleurs étrangers, était une justification supplémentaire pour la décision qu’il a prise « au nom de la France pour aider le Mali, conformément aux la Charte des Nations Unies et à la demande du président de ce pays ».
Les remarques du président français sont totalement à l’opposé des faits. La crise des otages et les conséquences tragiques qui en découlent (la mort de près de 40 d’entre eux au moment où cet article est écrit) sont le résultat direct de l’intervention militaire de la France au Mali, une intervention qui n’amènera que du chaos et de l’instabilité supplémentaires en Afrique du Nord et dans la région du Sahel, et probablement dans le continent africain tout entier, directement ou indirectement.
Les forces françaises, appuyées par l’aviation, ne vont pas au Mali pour lutter contre le terrorisme comme le prétend Hollande, mais pour protéger les intérêts de la France dans la région du Sahel, en particulier les sources d’uranium au Niger et au Mali. Il est cependant trop tôt pour prédire le prix exorbitant que la France paiera sur le plan matériel et humain, même si cette campagne militaire se termine avec un apparent succès.
Le gouvernement algérien - qui s’est retrouvé éclaboussé jusqu’aux oreilles dans cette crise en permettant à l’aviation française de passer à travers son espace aérien - s’est enfoncé dans un bourbier sanglant qui pourrait compromettre sa relative stabilité et son intégrité territoriale.
C’est un grand paradoxe qu’Alger ait fermement résisté à des pressions américaines et françaises pour prendre part à la force africaine, censée intervenir dans le conflit et protéger le régime malien de l’effondrement.
Des critiques ont commencé à se faire entendre - bien que modestement à ce jour - sur la gestion de la crise des otages par le gouvernement algérien et l’utilisation excessive de la force pour tenter de les libérer de leurs ravisseurs. Alger n’a pas consulté les autres pays concernés, et aucune autre approche n’a été envisagées pour éviter tous ces morts. Nous n’excluons pas que ces critiques se durcissent quand la bataille sera terminée, la poussière retombée et les faits dévoilés dans leur totalité.
L’Algérie fragilisée
Il est de notre conviction que le président français a voulu, en intervenant militairement au Mali, répondre aux critiques qui le dépeignent comme un individu sans consistance, sans relief, et sans volonté. Pourtant, cette initiative s’est retournée contre lui. Hollande a choisi la mauvaise guerre et il a fourni à ses détracteurs de nouvelles munitions dont ceux-ci n’osaient pas rêver.
L’allié algérien de Hollande, le Président algérien Abdelaziz Bouteflika, n’est pas mieux sorti de la crise. Il a mené le pays pendant plus de 10 ans vers plus de stabilité après une guerre civile sanglante qui a coûté la vie à 200 000 citoyens algériens. Se laisser entraîner dans cette aventure militaire française pourrait conduire à la perte de ses acquis, sans aucune compensation en retour.
* Abdel Bari Atwan est palestinien et rédacteur en chef du quotidien al-Quds al-Arabi, grand quotidien en langue arabe édité à Londres. Abdel Bari Atwan est considéré comme l’un des analystes les plus pertinents de toute la presse arabe.
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Traduction - Info-Palestine.eu - al-Mukhtar