Israël et « sa belle petite guerre » : Gaza et l’Egypte en ligne de mire
dimanche 28 août 2011 - 06h:42
Ramzy Baroud
L’écrivain israélien Uri Avnery a récemment écrit un article intitulé « Combien tes tentes sont divines ? » [How Godly Are Thy Tents ?], qui débutait par ces mots : « Tout d’abord, un avertissement. »
- Comme à l’accoutumé, Israël massacre... Aussi bien les enfants que les adultes et les vieillards... Assassinerait-on aujourd’hui des Palestiniens pour faire oublier la flambée du prix de l’immobilier à Tel-Aviv ? La perversité et la cruauté sionistes sont sans limites... - Photo : facebook/ICAI2
Cela faisait référence aux villes de tentes qui ont surgi un peu partout à travers le pays à l’initiative de la classe moyenne israélienne qui exige des changements et des réformes. Le style d’organisation de ces revendications n’était pas totalement différent de celui des soulèvements arabes. À la surprise générale, cette mobilisation israélienne limitée, qui allait des préoccupations sur la flambée des prix de l’immobilier aux appels à une « justice sociale », a été considérée comme la Place Tahrir israélienne du moment. Le mouvement avait encore à articuler un projet politique, et cela aurait été une évolution logique.
Quel était donc l’objet de la mise en garde d’Avnery ?
Le « mouvement de protestation sociale prend de l’ampleur », écrit Avnery. « À ce moment-là, il y aura une tentation - peut-être une tentation irrésistible - de ’réchauffer les frontières’. Pour commencer une jolie petite guerre. Un appel aux jeunes d’Israël, les mêmes jeunes qui aujourd’hui remplissent ... les tentes, pour aller défendre la patrie ».
C’était un avertissement qui énervait un peu, non seulement parce qu’il émanait d’Avnery, un vétéran féru dans la connaissance de la classe dirigeante en Israël, mais aussi parce qu’il s’est confirmé dans son intégralité quelques jours plus tard.
Et la « guerre » avait en effet commencé, à partir du 18 août. La « provocation » avait prétendument démontré sans aucun doute que la sécurité d’Israël était fortement compromise et que le petit Etat avec ses ’frontières indéfendables’ payait un prix élevé pour l’intransigeance armée de Gaza et le chaos de l’Egypte post-révolutionnaire. Des sources israéliennes ont rapporté qu’un grand nombre de militants avaient traversé le Sinaï vers la station israélienne d’Eilat sur la Mer Rouge, le jeudi (18 août), ouvrant le feu sur deux autobus transportant des soldats israéliens. L’intrusion a été organisée de façon implacable, comme l’a été la capacité de ces audacieux attaquants à tuer et à blesser des soldats et d’autres Israéliens.
Selon la version israélienne des faits, certains des assaillants ont été tués, mais d’autres ont réussi à fuir vers l’Egypte. Ce qui a poussé l’armée israélienne à les poursuivre dans une extraordinaire chasse à l’homme et fait que dans la confusion elle a abattu 3 militaires égyptiens.
Des sources israéliennes, bien qu’apparemment prises de court face à l’infiltration d’hommes armés dans une zone de haute sécurité, ont immédiatement fourni des informations précises sur les attaquants. Un consensus a été immédiat pour relier les attaquants à la bande de Gaza. Avec les bombardements massifs contre de nombreuses cibles dans Gaza, il apparait que tout le territoire sous blocus se retrouve accusé et puni.
Le résultat était des plus prévisibles, quoique tragique. L’aviation israélienne est revenue dans le ciel de Gaza, les drones tournaient sans aucune entrave, et le nombre de morts palestiniens n’a cessé d’augmenter. Les terribles et malheureuses scènes de civils massacrés, d’enfants mutilés et de bâtiments incendiés nous ont à nouveau inondés. Le chorus en soutien à Israël et la condamnation des Palestiniens à Washington n’est pas sans rappeler une histoire qui ne cesse de se répéter.
Mais avant de développer les contre-arguments, on est tenté de remettre en question les guerres présentées Israël comme étant de « légitime défense ». A quel point cette dernière « jolie petite guerre » diffère-t-elle de la terrifiante invasion israélienne du Liban en 1982 ? Quand Ariel Sharon a demandé un feu vert américain pour attaquer le Liban, Alexander Haig, à l’époque secrétaire d’Etat américain sous le président Ronald Reagan, avait insisté sur le fait qu’Israël devait disposer d’une « provocation crédible » avant de se lancer dans un telle action. Par ailleurs, le cas mis en avant pour justifier la guerre contre Gaza en 2008-09, l’opération Plomb Durci, constituait aussi cette « provocation crédible ». En fait, toutes les guerres d’Israël sont vendues au public avec un emballage soigné qui dispose en vérité de bien peu de crédibilité.
Cette fois-ci, la provocation devait être assez convaincante pour justifier de nombreuses frappes israéliennes sur l’ensemble des organisations dans Gaza, ainsi que sur l’Egypte politiquement vulnérable.
Pourquoi Israël est-il déterminé à discréditer l’Egypte, exploitant la période la plus délicate de son histoire moderne en déstabilisant la région frontalière ? Afin de faire la preuve de l’échec de l’Egypte à assurer la sécurité des frontières israéliennes, tel que cela est stipulé dans le traité de Camp David ?
Il apparait que toutes les organisations qui ont pignon sur rue dans Gaza ont nié toute responsabilité dans les attaques d’Eilat, y compris les Comités de Résistance Populaire (non affiliés au mouvement Hamas) qui ont été accusés par Israël d’être à l’origine des attaques.
En réponse à l’assassinat par Israël d’officiers égyptiens, et sous la pression de milliers de manifestants, l’Egypte a rappelé son ambassadeur d’Israël le 20 août. En Israël, le débat s’est porté sur la sécurité et la nécessité d’achever la construction d’une barrière de 200 kilomètres de long à la frontière avec l’Egypte, visant ostensiblement à bloquer les immigrés africains voulant entrer en Israël. Étrangement, l’Egypte, qui est accusée de permettre à des centaines de militants d’entrer dans Israël depuis le Sinaï, avait gardé un oeil sur la frontière malgré les effets de la révolution sur la situation sécuritaire dans tout le reste du pays. Le 7 Juillet et le 11 août, pour ne prendre que ces deux exemples, les soldats égyptiens auraient abattu deux travailleurs migrants, un érythréen et un soudanais, lesquels tentaient de traverser la frontière. Par ailleurs, beaucoup d’autres migrants ont été appréhendés au cours des derniers mois.
La capacité de l’armée égyptienne à abattre les migrants isolés, alors que son laxisme supposé permettrait l’infiltration de centaines de militants, soulève dans ce cas plus de questions qu’elle n’apporte de réponses.
Certains semblent orchestrer le chaos dans la ville de Arich et le reste de la région du Sinaï. Cela comprend la surprenante attaque en plein jour par des centaines de gens armés et rassemblés face au poste de police à Arish le 29 Juillet, et qui a eu pour résultat la mort de plusieurs officiers égyptiens.
Alors que le chaos est délibérément provoqué dans le Sinaï, la crainte était de retour à Gaza qui s’est vue promettre une autre agression militaire israélienne.
Le 9 août, les habitants de la Bande de Gaza appauvrie craignaient d’être attaqués par Israël. Les craintes ne sont pas seulement basées sur les menaces répétées venues des responsables israéliens, mais aussi sur une mystérieuse panne de télécommunication ce jour-là qui a eu pour effet de couper tous les accès Internet, les téléphones mobiles et les accès internationaux durant plusieurs heures, selon l’agence de nouvelles Ma’an News. « Mais les habitants de Gaza près de la frontière avec Israël, ont dit avoir vu des bulldozers de l’armée d’occupation qui s’activaient peu de temps avant que les communications ne soient coupées », a signalé Ma’an.
Pourquoi Israël a-t-il coupé les communication dans et hors Gaza ? La « provocation crédible » était-elle alors concoctée ? Pourquoi Israël ne parvient pas à fournir une explication raisonnable pour cette panne totale ? De plus, pourquoi cette tentative de provoquer l’Egypte et peut-être de l’entraîner vers une confrontation sur les frontières à un moment où l’Egypte tente une transition vers la démocratie ?
On estime aussi que « la nouvelle Egypte » est vue comme voulant faciliter l’unité palestinienne, une première étape pour sortir le mouvement Hamas de son isolement au niveau international.
N’est-il pas alors envisageable que la « jolie petite guerre » d’Israël soit une réponse à un changement aussi lourd d’implication dans la politique égyptienne envers le Hamas - et la Palestine en général ?
Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Mon père était un combattant de la liberté : L’histoire vraie de Gaza (Pluto Press, London), peut être acheté sur Amazon.com.
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