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Des enseignements pour le prochain soulèvement
mercredi 13 février 2013 - Mazin Qumsiyeh
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Mon livre sur la Résistance populaire en Palestine : une histoire d’espoir et d’autonomisation était destiné à permettre aux lecteurs de tirer des enseignements de nos 130 années de résistance. Pourtant, même ce livre de 300 pages n’était qu’un petit témoignage du genre d’enseignements tirés par les gens du pays, ici sur le terrain, chaque jour de notre vie.

La cinquième tentative pour augmenter VISIBLEMENT notre présence sur des terres palestiniennes menacées a été accueillie par une force toujours plus brutale dans la région de Yatta dans le sud des collines d’Hébron (voir vidéos, photos, récits ci-dessous). Je dis « visiblement » parce que naturellement, c’est ce que font les agriculteurs locaux et ils s’accrochent avec succès à beaucoup de leurs terres pour persévérer et résister, chaque jour, 24 heures par jour et ce, depuis plusieurs décennies d’occupation/colonisation israéliennes. Les Palestiniens tirent les enseignements de ces activités pour la 14e ou 15e vague de résistance (soulèvement) à venir. Parmi ces enseignements les plus courants (les autres ne sont pas débattus en public et ne sont partagés qu’entre militants), il y a les suivants :

  • 1) Nous n’avons pas besoin de beaucoup d’argent : beaucoup a été dépensé pour Bab Al-Shams pour de nombreuses tentes, la literie, la nourriture, etc. Le tout nous ayant été pris (volé) par les autorités israéliennes. Lors de la dernière tentative, une tente a été utilisée et les gens ont commencé à construire une cabane en pierres. Imaginez un instant que nous construisions tous des maisons en pierres ou que nous creusions des abris/caves à flanc de colline. Cela ne nécessiterait que peu de ressources (surtout un effort bénévole). Dans le processus de se fixer à la terre et de vivre sur cette terre. Cela va être possible maintenant que le printemps est arrivé, que notre terre est très féconde et que d’autres régions peuvent être récupérées pour être encore plus fécondes.
  • 2) Nous avons besoin de mécanismes pour informer les participants sur leurs droits et sur ce à quoi il faut s’attendre. C’est particulièrement le cas en ce qui concerne leurs droits juridiques (notamment ceux qui découlent du droit international). Si la direction palestinienne ne veut pas et/ou n’est pas en mesure d’aider aux frais de justice, alors, il nous faut trouver un mécanisme pour les assurer. Des soins médicaux doivent aussi pouvoir être donnés aux personnes blessées.
  • 3) Les responsables politiques palestiniens ont invariablement tenté de se raccrocher à une action pour faire avancer leur agenda politique personnel. C’est naturel, mais les militants doivent en avoir conscience et essayer de le gérer poliment mais fermement (bien évidemment, chacune et chacun doivent être invités à y participer mais sans s’approprier le message). En outre, une « direction » qui ne serait qu’intéressée à maintenir ses privilèges et ses positions doit être placée devant ce choix, ou elle s’amende, ou elle s’écarte.
  • 4) Nous devons apprendre de nos erreurs. Par exemple, dans le premier communiqué de presse envoyé par les organisateurs de l’initiative à Bab Al Shams, ils ont dit : « Pendant des décennies, Israël a établi des faits sur le terrain, la communauté internationale restant silencieuse face à ces violations. Le temps est venu pour nous, aujourd’hui, de changer les règles du jeu et d’établir des faits sur le terrain, sur notre propre terre ». A mon avis, cela n’a pas été une bonne déclaration. (Pour la petite histoire, j’ai été militant chargé de la communication pendant 25 ans aux États-Unis, et j’ai organisé des équipes de communication qui, par exemple, ont pu faire passer des centaines de récits dans les grands médias américains, ce qui n’est pas une tâche facile compte tenu de leurs inclinations sionistes). Mais cette région est déjà habitée et nous ne sommes certainement pas en train d’imiter les colons avec leurs « faits sur le terrain ». Nous sommes des Palestiniens qui essayons d’aider d’autres Palestiniens (d’Al-Zaiem, Al-Eizeriya/Bethany, et Eisawia) à s’accrocher à leur terre. Israël a déjà coupé des centaines d’oliviers avec leurs fruits, enlevé des personnes, confisqué leurs terres, etc. Ces faits n’ont pas paru dans les contenus de la presse. Il est décevant aussi, qu’alors que les médias se pressaient autour de l’initiative, que les organisateurs n’aient pas réussi à passer un dossier de presse comprenant au moins une carte et les informations de base sur le site (qui sont disponibles notamment sur une source palestinienne sérieuse, l’Institut de recherches appliquées de Jérusalem, voir par exemple : http://www.poica.org/editor/case_st.... Nos initiatives ultérieures ont été plus claires avec une meilleure approche et un meilleur contenu des médias.
  • 5) Nous devons intensifier l’usage des médias sociaux dans le recrutement et la formation des militants. Ceux-ci doivent suivre une formation.
  • 6) Nous devons miner la politique de contrôle israélienne. Les planificateurs israéliens, grâce aux mécanismes d’Oslo, ont développé un système pour s’assurer du contrôle des Palestiniens (les détenus dans les prisons !) en supprimant systématiquement nos droits et en nous rendant des portions infimes de ces droits seulement selon notre « comportement ». Par exemple, l’usage des autorisations pour entrer dans nos propres villes, comme Jérusalem, et la retenue à la source de nos propres ressources fiscales (du vol). Même s’il est difficile de renverser le cours d’une partie de cela (il aurait été plus facile de refuser simplement de s’y conformer au départ), il n’est pas impossible d’en modifier toute la dynamique. Quand il y a une volonté, il y a un moyen. Mais, plus important encore, il n’est pas possible de maintenir le statu quo.
  • 7) Nous devons veiller à ce que l’occupation coûte cher à l’occupant (aujourd’hui, elle rapporte des milliards de dollars). Dans ce sens, nous pouvons tirer les leçons des autres pays où leurs peuples ont pu contester et rendre impossible la poursuite de leur occupation/colonisation : l’Afrique du Sud, l’Algérie, le Vietnam, etc.

Pour en savoir plus sur les stratégies et les techniques de militantisme, voir http://qumsiyeh.org/activistmanual/ (un travail en cours, vos idées peuvent aider à étoffer ces points).

D’autres États policiers utilisent des canons à eau pour disperser les foules. Mais à ma connaissance, il n’y a que l’État apartheid d’Israël à avoir inventé les armes chimiques puantes pour les utiliser contre les agriculteurs non violents qui tentent de travailler leurs terres. Le mélange de substances nocives et d’extraits de matières fécales colle à la peau et aux vêtements et il est très difficile à ôter, même si on n’est pas assommé ou blessé par le jet à haute pression. Tel fut le sort des agriculteurs de Yatta aujourd’hui, comme le nôtre pour nous qui étions venus montrer notre solidarité (voir les photos ci-dessous). Les soldats israéliens ont en fait commencé leur attaque en enlevant simplement quatre journalistes (je suppose que c’était pour réduire la couverture de l’évènement, et pour intimider les autres journalistes présents). C’était plutôt choquant, surtout pour les nombreux Internationaux qui n’avaient jamais assisté à des actions d’une telle brutalité. Notre message collectif pour cette cinquième action directe dans le but d’aider les agriculteurs locaux à rester sur leurs terres était « C’est notre droit naturel de développer, reprendre, améliorer, utiliser, et d’habiter toute notre terre, libres et sans menaces de l’occupant ». Les trois premières tentes ont été enlevées (volées) par l’armée d’occupation, très tôt, à 6 h du matin. Nous sommes ensuite allés vers un endroit quelque peu différent et avons commencé à construire/développer sur le secteur (avec une tente, un début de cabane en simples pierres, etc.). Mais les quelque 70 soldats racistes, lourdement armés, n’auront rien de cela. Ils ont procédé à l’enlèvement de personnes et ils ont ensuite utilisé leur canon à eau puante sur les civils pacifiques. Malgré les tentatives israéliennes pour nous en empêcher, nous avons pris de nombreuses photos et vidéos.

Vendredi, il y a eu une veillée de prières en présence de plus d’une centaine de chrétiens venus de la région de Bethléhem pour sauver la terre près de Cremisan, menacée d’être saisie pour les colonies de peuplement israéliennes. Déjà, Bethléhem a perdu la plus grande partie de ses terres au profit des colonies réservées aux juifs et qui se développent. Une personne ce soir-là s’est plainte haut et fort de la présence du consul britannique (après tout, la Grande-Bretagne a contribué à aider à l’installation du sionisme sur la Palestine).

Le silence est complicité. Mais je voudrais aller plus loin, je suis d’accord avec un grand penseur qui autrefois a dit que celui qui reste neutre devant une situation d’injustice est du côté de l’oppresseur (Archevêque Desmond Tutu – ndt). Nous nous souvenons de chaque jour où nous nous déplaçons dans les régions occupées, quand nous voyons la souffrance, mais aussi la persévérance et la résistance des agriculteurs locaux qui s’accrochent à leurs terres, des enfants qui vont à l’école, des enseignants qui donnent leurs cours, des professionnels de santé qui soignent leurs malades, des artistes qui pratiquent leur art, etc. Bref, quand nous voyons les Palestiniens vivre en Palestine, dans la dignité et (pour leur grande majorité) en refusant de succomber aux diktats du régime raciste.



Photos de l’action dans le village de Cana’an :

- https://plus.google.com/photos/1008...
- http://www.maannews.net/arb/ViewDet...
- http://plus.google.com/photos/11439...

Vidéo de Reuters : http://www.youtube.com/watch?v=tTt4...

Article d’Ha’aretz : http://www.haaretz.com/news/diploma...

Interview de Mazin Qumsiyeh : http://www.thestruggle.org/mazin_qu...

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Lire aussi :

- Après Bab al-Shams, Bab al-Karamah, un nouveau village palestinien... - Al-Akhbar
- Le village de tentes Al-Manatir, détruit par les troupes d’occupation (vidéo) - Ma’an News




- Site : http://qumsiyeh.org
- Adresse courriel : mazin@qumsiyeh.org


* Chercheur en génétique et professeur aux Universités de Bethléem et de Birzeit, après avoir enseigné aux États-Unis, le docteur Mazin QUMSIYEH est président du Centre palestinien pour le rapprochement entre les peuples. Figure importante de la résistance populaire dans laquelle il prend une part active et qu’il organise, il collabore également avec de nombreux mouvements pacifistes de la société civile, et a publié plus de 1 000 articles dans des journaux, des livres et sur l’Internet. Il est l’auteur de Une Histoire populaire de la Résistance palestinienne parue aux éditions Demi-Lune (en 2013)

Du même auteur :

- Ici, face à l’immoralité - 3 février 2013
- Deux jeunes enterrés - 27 janvier 2013
- Espoir de Bethléhem - 18 décembre 2012
- 650 000 colons juifs... les Printemps arabes... et la fonte des glaces - 27 juillet 2012
- Saoud et Susya - 17 juin 2012
- La Naksa - 5 juin 2012
- « Qu’advient-il d’un rêve reporté ? » - 25 mai 2012
- Le moment du changement ! - 5 mai 2012
- La Journée de la Terre 2012 - 30 mars 2012
- « Christ au Check-point » - 15 mars 2012
- Les prisonniers politiques palestiniens - 3 mars 2012
- La biologie de la paix - 22 février 2012
- Vingt points sur Palestine/Israël - 14 janvier 2012

[...]

Une interview de Mazin Qumsiyeh :

- La répression israélienne en Palestine s’aggrave - 3 mars 2010

10 février 2013 - The Popular Resistance - traduction : Info-Palestine/JPP