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Le moment du changement !

vendredi 11 mai 2012 - 10h:50

Mazin Qumsiyeh
Popular Resistance

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Imaginez, si nous pouvons obtenir que, ne serait-ce que 5 %, ou même 1 %, des Palestiniens dans le monde participent à cet effort organisé, le changement qui se produira alors pourra être monumental.

Des prisonniers politiques palestiniens illégalement détenus dans les prisons israéliennes sont en grève de la faim et certains près de mourir. Parmi la population en grève, il y a 200 prisonniers enfants, 27 membres du Conseil législatif palestinien, et 456 prisonniers de Gaza qui n’ont pas été autorisés à recevoir des visites de leurs familles depuis 2007 (1). Et pendant ce temps, la colonisation se poursuit à un rythme effréné. Ramzy Baroud et Jeff Halper soutiennent qu’Israël est en train d’en « fixer » l’issue et qu’il en est à un scénario de « phase finale » pour s’emparer du maximum de la Cisjordanie et nous laisser dans des petits cantons (2).

Pourtant, à en juger par mes recherches sur le projet sioniste qui est soigneusement planifié, de tels plans ne constituent pas des phases finales mais des jalons donnant aux sionistes le temps de consolider les acquis afin de préparer une nouvelle phase d’expansion, précisément de la façon dont Ben Gourion le décrit à son fils en 1937. Ben Gourion explique avec clarté comment le nouvel État d’Israël, quand il s’est établi sur une partie de la terre convoitée, sera une base pour une expansion et une croissance constantes à venir, avec ou sans l’accord des « Arabes » (3). J’ai examiné comment peu de choses avaient changé en l’espace de 75 années. L’Israël colonial continue de repousser ses limites et de s’étendre, avec ou sans l’accord des « Arabes » conciliants. Des Arabes conciliants, il y en avait en 1937 (sous la direction de Ragheb Al-Nashashibi), il y en a eu en 1967, et il y en a en 2012. Il y a eu aussi des Arabes intellectuels et honnêtes, tout au long de notre histoire.

La colonisation sioniste n’est pas animée par l’émotion ou l’action fortuite. Elle se fait selon les instructions données par le père fondateur du sionisme politique, Theodore Herzl, en 1897 : « Nous devons sonder et prendre possession du nouveau pays juif en utilisant tous les expédients modernes ». Les expédients modernes préconisés par Herzl incluent notamment une organisation méthodique planifiée pour éliminer le peuple autochtone (avec ou sans l’accord de certains Arabes) et créer un grand État juif. Herzl n’a pas précisé la taille de « l’espace requis » mais Ben Gourion et les gens de son époque pensaient qu’il leur était possible d’aller aussi loin que le Nil et l’Euphrate.

Les plans des colonisateurs sont remarquablement identiques et connus avec le journal de Herzl en 1897, avec la lettre de Ben Gourion à son fils en 1987, le plan Allon de 1967 et les accords d’Hébron de 1997. Il s’agit de projets d’expansion sans le consentement des Arabes ou, occasionnellement, avec l’accord de certains Arabes. Ces accords, à l’instar des traités que certains Amérindiens ont signés avec le gouvernement des États-Unis dans sa phase d’expansion, ont été et sont violés, pour la raison qu’ils ne constituent que des outils de consolidation (4). Je pense, comme ces chefs indiens et comme certains Palestiniens l’ont cru, qu’ils ont fait du mieux qu’ils pouvaient dans des circonstances difficiles. La plupart des « leaders » amérindiens n’avaient aucune idée ou compréhension de la véritable nature des notions et émotions qui motivaient les conquêtes vers l’Ouest des colonialistes blancs dans les États-Unis. Ils ne s’étaient pas plongés très avant dans les notions de destinée manifeste, de peuple élu, et dans le racisme qui caractérisait leurs oppresseurs. On peut dire que l’idéologie des Amérindiens faisait preuve de l’exact contraire de leurs colonisateurs et qu’ainsi, ils présumaient que les Blancs étaient finalement des humains, et qu’ils pouvaient traiter avec eux à égalité.

La paix pour les autochtones consiste à obtenir leur liberté, de vivre dans la dignité, et par-dessus tout, que le joug de la colonisation soient ôtés de nos cous. La paix pour les colonisateurs, c’est que leur victime cesse de s’agiter sous leurs bottes. Pour y parvenir, ils élaborent des plans ingénieux, par exemple une Force de sécurité préventive palestinienne. Tout être humain rationnel peut reconnaître cette autorité et ce déséquilibre des forces dans les infos quotidiennes. Ainsi le peuple est tenu à l’écart des décisions, que ce soit sur les « négociations », la « réconciliation nationale », sur continuer ou non aux Nations-Unies, ou sur la façon dont ils peuvent éventuellement être libérés. Désespéré et à bord d’un navire sans compas ni gouvernail, le peuple gronde et bouillonne au tréfonds et, plus tard, il explose en révolte.

Les besoins et désirs des colonisateurs et ceux des colonisés ne sont pas les mêmes. Les occupants et colonisateurs veulent plus d’opportunités pour avancer en consolidant et renforçant le statu quo, afin de leur permettre de poursuivre leur expansion. Nous, peuple occupé et colonisé, voulons faire cesser et finalement inverser le processus de l’injustice. Nous, Palestiniens voulons revenir dans nos foyers et sur nos terres, et y vivre en paix, comme nous le faisions depuis des millénaires. Nous insistons sur le retour et sur l’autodétermination. Nous répétons que le pays doit rester multiethnique, multireligieux et multiculturel. Il ne s’agit pas d’un différend frontalier ni d’une chicane à propos du contrôle israélien illégal sur les sites religieux. A l’instar du combat en Afrique du Sud sous l’apartheid, il s’agit d’un combat qui oppose deux visions très différentes de la région : l’une de racisme et d’apartheid et l’autre, de justice et d’égalité.

Les actes sporadiques d’une résistance populaire héroïque ne peuvent suffire pour atteindre la paix avec la justice. Coordination et action commune sont nécessaires. L’obstacle est le système développé par les occupants et accepté par certains du peuple occupé. Le profit personnel économique maintient le statu quo. Ce qui se fait, avec le soutien de l’Autorité palestinienne, n’est rien de moins que de rendre cette occupation la plus rentable de l’histoire (résultat de l’occupation, plusieurs milliards de dollars affluent chaque année dans les coffres israéliens). Déjà, des transactions commerciales palestiniennes et israéliennes sont en cours, par exemple dans les Zones C. C’est le « plan de paix économique » cher à Netanyahu et à d’autres. Et ceux qui pensent pouvoir perturber ce statu quo seront soumis à enquêtes et à sanctions. La plupart des Palestiniens sont d’excellents diagnosticiens et ont compris tout cela. Mais je pense que beaucoup n’ont pas commencé encore à articuler des solutions ou des idées pour s’extraire de la fange dans laquelle le processus d’Oslo (commencé en réalité avec le Programme en dix points de l’OLP en 1974) les a enlisés. Cela n’est pas facile et exige des sacrifices. Mais ces individus délirants qui pensent que parce qu’ils ont un salaire ou un poste, ils ne leur faut pas risquer de tout compromettre, ceux-là feraient bien de penser plus loin. Ils devraient réfléchir à la vie que leurs enfants ou leurs petits-enfants auront sous un système de racisme et d’oppression. Et c’est tout aussi vrai pour les Israéliens que ça l’est pour les Palestiniens.

Boycott, Désinvestissements et Sanctions (BDS) nous donne de l’espoir. Shimon Peres, l’architecte de l’arsenal d’armes de destruction massive d’Israël, et criminel de guerre, l’a autrefois expliqué : « Pour exporter, vous avez besoin de bons produits, mais vous avez besoin aussi de bonnes relations... (Si) l’image d’Israël empire, il commencera à souffrir des boycotts. Il existe déjà un boycott artistique contre nous, et les signes d’un boycott financier encore latent commencent à apparaître. » Les personnalités internationales qui ont agi contre l’apartheid en Afrique du Sud mettent en avant, de façon convaincante, pourquoi le BDS peut aider ici aussi, avec l’apartheid israélien (5). Mais BDS est seulement un outil, il ne suffit pas certainement à réaliser le changement indispensable. Il faut un programme structuré venant de personnes qui prennent en compte une articulation d’idée avec des objectifs concrets pour l’avenir. Dans mon livre Partager la Terre de Canaan (2004), je plaide précisément pour un tel programme afin de passer d’un apartheid à un État de tous ses citoyens. Ces notions ont recueilli une large approbation parmi les intellectuels et des militants de différentes sensibilités politiques et religieuses. Pour parvenir à cette vision, nous avons besoin d’une organisation.

Une organisation requiert une direction visionnaire émanant organiquement d’une population mature croissante. Nous ne devons avoir aucune réticence à pousser nos dirigeants actuels, et s’ils ne sont pas prêts à bouger, alors nous devrons nous donner une direction alternative. TOUTES les factions ont vieilli et ont des directions non novatrices, et TOUTES les factions possèdent des individualités dynamiques, dévouées et plus jeunes (mais marginalisées). De toute évidence, le statu quo est dévastateur pour nous et ne peut durer. Nous savons, de par l’histoire, que le peuple va se soulever, et EXIGER un changement.

Est-ce le moment pour que des voix diverses s’unissent pour soulever une indignation si tonitruante qu’elle ne pourra être ignorée ? Peut-on organiser des rencontres et débattre, publiquement, de la voie à suivre ? Même si beaucoup par exemple ont discuté de l’échec de la « solution à deux États » et si certains ont articulé des visions de l’avenir, nous avons besoin de plus que cela. Pouvons-nous, nous, Palestiniens des territoires de 1948, de Cisjordanie, de la bande de Gaza et en exil, pouvons-nous monter des mécanismes et des structures qui nous conduisent là où nous décidons d’aller ? Pouvons-nous convaincre le monde, et même les Israéliens, que nous sommes sérieux à propos de travailler à un avenir de paix avec la justice, et la prospérité pour chacun ? Les voix du négativisme ne doivent pas dominer à ce stade crucial. Ce débat doit être ouvert aux gens de bonne volonté de toutes les factions et chez les indépendants. Il doit être lancé par les Palestiniens, mais nous devrons plus tard y impliquer nos fidèles sympathisants du monde entier. Nous en avons les ressources : financières, intellectuelles, émotionnelles et physiques. Que ceux qui sont compétents en organisation organisent, et que ceux qui le sont en communication agissent vers les médias. Que ceux qui sont compétents dans les réseaux sociaux y travaillent, et que ceux qui le sont en musique écrivent des chants pour la révolution. Imaginez, si nous pouvons obtenir que, ne serait-ce que 5 %, ou même 1 %, des Palestiniens dans le monde participent à cet effort organisé, le changement qui se produira alors pourra être monumental.

Le monde d’aujourd’hui ne respecte que ceux qui se respectent eux-mêmes et se battent pour leurs droits propres. Nous n’avons aucune honte à avoir en tant que Palestiniens, même si sept millions d’entre nous sont des réfugiés ou des personnes déplacées. Nous avons à être fiers, au contraire, de notre histoire (6). Nous ne pouvons pas abandonner maintenant que la crise de la Palestine a pesé sur la conscience du monde et que le Printemps arabe peut changer l’ensemble de la réalité géopolitique du Moyen-Orient. Même si nous ne parvenons pas à notre but cette fois, l’esprit positif qui résultera enrichira nos vies à tous. Il libèrera la créativité et l’énergie que nous savons être en nous. Le changement peut et doit se produire parce que c’est le nôtre, et c’est un combat existentiel pour 11,5 millions de Palestiniens dans le monde, et pour nos enfants et petits-enfants, nés et à naître. Chacun d’entre nous y a un rôle à jouer et possède les aptitudes et d’autres ressources pour y contribuer. Même si nous partons doucement et à quelques-uns, il va grandir, parce que nous n’avons pas d’autre choix. Réussissons avec lui.


Notes :

[1] http://www.alhaq.org/documentation/...

[2] Ramzy Baroud - Israël invente une phase finale ;
Jeff Halper - « Nous sommes au-delà de l’apartheid » ;
mais voir aussi : Susan Abulhawa : Solidarité et Réalpolitique : Ma réponse à Jeff Halper

[3] Ben Gourion, lettre à son fils du 5 octobre 1937

[4] Les accords d’Oslo étaient un excellent outil pour Israël pour consolider son emprise et en violation des conventions de Genève et ont permis à Israël un « contrôle civil » sur 60 % de la Cisjordanie, ce qu’on appelle les Zones C. Dans la poursuite des négociations, il a été révélé combien de personnes comme Saeb Erekat étaient disposés à s’orienter vers la remise de ces zones à Israël. http://www.aljazeera.com/palestinep...

[5] Desmond Tutu, sur la nécessité de se désinvestir de l’apartheid israélien

[6] Résistance populaire en Palestine : une histoire d’espoir et d’autonomisation


Le Professeur Mazin Qumsiyeh enseigne et travaille à des recherches aux universités de Bethléhem et Beir Zeit, en Palestine occupée. Il préside le conseil d’administration du Centre palestinien pour le rapprochement entre les peuples, et coordonne le Comité populaire contre le mur et les colonies à Beit Sahour. Il est l’auteur de « Partager la Terre de Canaan : les droits humains et le combat israélo-palestinien » et de « Résistance populaire en Palestine : une histoire d’espoir et d’autonomisation ».

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Site de Mazin Qumsiyeh : http://www.qumsiyeh.org/home/

Du même auteur :

- La Journée de la Terre 2012 - 30 mars 2012
- « Christ au Check-point » - 15 mars 2012
- Les prisonniers politiques palestiniens - 3 mars 2012
- La biologie de la paix - 22 février 2012
- Vingt points sur Palestine/Israël - 14 janvier 2012
- Je suis malade de... - 3 janvier 2012
- Honoré comme Freedom Rider - 19 novembre 2011
- Défier l’apartheid par la voie des airs - 8 juillet 2011
- Mémos Palestine : l’histoire est en marche - 30 janvier 2011
- Défi aux bulldozers en Palestine - 20 juin 2010
- La répression israélienne en Palestine s’aggrave - 8 mars 2010

5 mai 2012 - Popular Resistance - traduction : Info-Palestine.net/JPP


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