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Espoir de Bethléhem

mercredi 26 décembre 2012 - 07h:00

Mazin Qumsiyeh

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« Nous sommes confiants parce que l’histoire n’est pas immuable ».

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Arrestation de Mazin à Al-Walaja.




Dans un pied de nez à la communauté internationale en cette période de fêtes, le gouvernement israélien va de l’avant avec des milliers de constructions de logements dans de nouvelles colonies juives et celles existantes, dans les régions de Bethléhem et de Jérusalem. Après avoir vécu 29 ans aux États-Unis, il n’est pas aisé de vivre dans la région de Bethléhem. La vie peut y être à certains moments, difficile, à d’autres exaltante, déprimante, amusante, et pleine d’espoir. Israël a occupé cette région en 1967, mais le paysage avait commencé à se modifier bien avant cela. En 1948, Bethléhem est devenue le foyer de milliers de réfugiés après que plus de 750 000 Palestiniens aient été chassés de leurs maisons, dans ce qui est devenu Israël. Les Palestiniens ne sont pas autorisés à rentrer chez eux, et trois camps exigus de réfugiés (Dheisheh, Azza et Aïda) se sont ajoutés aux migrants locaux venant des villages dont les terres avaient été confisquées.

Les 180 000 chrétiens et musulmans natifs de Bethléhem sont maintenant limités, pour se développer, à 13 % simplement du territoire du district. Quelque 87 % de notre terre se trouve désormais sous le contrôle d’un anneau d’installations coloniales, de zones militaires et d’infrastructures réservées à l’usage de l’occupant israélien. Depuis 2002, nous avons dû faire face aux coûts humains énormes du mur de ségrégation, en béton, massif. Le mur zigzague autour de Bethléhem, mettant les terres agricoles fertiles palestiniennes et la plupart de nos ressources en eau du « côté israélien » et, dans de nombreux cas, passe tout droit au travers de villages séculaires, séparant les familles palestiniennes les unes des autres, coupant les Palestiniens de leur emploi, des hôpitaux, des écoles, des églises, et des mosquées. Le mur et les checkpoints signifient que de nombreux enseignants et étudiants ne peuvent plus se rendre à l’université de Bethléhem et que le corps étudiant a progressivement perdu sa diversité géographique. Ce qui était le véritable chemin biblique de Nazareth à Bethléhem est bloqué par de nombreux checkpoints et des blocs de béton de trente pieds de haut.

Beaucoup de mes proches ont perdu leur travail à Jérusalem ou leurs moyens de subsistance qui dépendaient de la cité, dont nous sommes une banlieue. Il est pratiquement impossible pour les Palestiniens de Cisjordanie d’obtenir une autorisation pour entrer dans Jérusalem, ou pour les Jérusalémites de commercer avec nous. Même si on obtient l’une des rares autorisations (accordées dans un pourcentage minuscule), les checkpoints rendent le voyage incertain et souvent impossible, empêchant le maintien d’une économie décente. Le taux de chômage atteint maintenant les 35 %. Mais il y a des parties défavorisées de la société qui souffrent plus encore : les enfants et les femmes. Dans la situation démographique actuelle, 50 à 60 % des Palestiniens sont des mineurs, qui sont ceux qui souffrent le plus et les plus vulnérables. La malnutrition est fréquente. Des femmes ont à payer un prix plus élevé que les hommes, parce l’occupation est venue en plus sur une société traditionnelle dominée par les hommes (toutefois en cours de mutation).

Mais nous, à Bethléhem, nous pouvons nous féliciter de ne pas vivre à Gaza, où la situation est pire et de loin, et où en juste une semaine, en novembre, les forces israéliennes ont tué 191 Palestiniens, dont 48 enfants. Les Nations-Unies prévoient que Gaza deviendra invivable d’ici à 2020. Toute la région est comme une bombe à retardement. Le souhait d’Israël d’acquérir une géographie maximum, avec une démographie palestinienne minimum, est à la racine de la souffrance qui afflige la Terre sainte. Aujourd’hui, il y a près de sept millions de réfugiés et de déplacés palestiniens. Amnesty International a observé que le « processus de paix » avait échoué parce qu’Israël faisait fi des droits humains, notamment du droit des Palestiniens natifs à revenir dans leurs terres et foyers. Il existe maintenant un large consensus international (hors les gouvernements états-uniens et israéliens) sur le danger que représentent pour la paix et la sécurité internationales les violations continues par Israël des droits de l’homme et du droit international. Manifestement, si l’on veut aller à la paix au Moyen-Orient et au-delà, il faut commencer par rendre justice aux Palestiniens. Je suis doublement peiner en tant que chrétien américain et palestinien, parce que mes impôts ont soutenu et soutiennent ce carnage de 60 ans. Israël est le principal bénéficiaire de l’aide américaine à l’étranger, et les administrations américaines continuent de faire tout leur possible pour répondre aux influences du lobby israélien.

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Le mur israélien de séparation autour de Bethléhem.

Israël, en tant que puissance occupante, est responsable du bien-être de ceux qui sont sous son joug militaire de par les conventions de Genève applicables. Pourtant, Israël a, intentionnellement, dé-développé l’économie palestinienne. Avec la complicité de l’Union européenne et des États-Unis, l’économie de la Cisjordanie et de la bande de Gaza est devenue encore plus dépendante de l’ « aide humanitaire » occidentale. Quelque 30 % de cette aide disparaissent en Israël, et quelque 30 % autres viennent en soutien des « forces de sécurité » palestiniennes, dont le travail semble se concentrer non sur la protection des Palestiniens devant les attaques des colons, mais contre la lutte de tous les Palestiniens qui osent résister à l’occupation ou remettre en cause l’usurpation de leur terre.

Il existe un système de corruption, impliquant les gouvernements et les « autorités », dont les effets se font sentir dans la population. Il va de pair avec une stratégie de communication qui veut faire croire que les seuls choix ouverts aux Palestiniens sont ou de se faire sauter, ou de capituler, ou de négocier interminablement. Ce triste état des choses n’est pas le fruit du hasard, il a été ourdi et est activement géré pour perpétuer l’occupation et la dépendance. Sinon pourquoi Israël refuserait-il l’entrée aux universitaires qui viennent enseigner dans les universités d’ici, ou l’entrée d’équipements ne serait-ce que pour les plus mineures des industries ? Pourquoi refuserait-il à Gaza l’énergie électrique, et l’équipement pour le traitement des eaux usées d’un million et demi de personnes et qui se jettent dans la mer Méditerranée, polluant l’Europe et même Tel Aviv ?

La logique de la puissance militaire et politique conduit à ce qu’Israël construise désormais plus de colonies juives et démolissent plus de maisons et fermes palestiniennes, au mépris de ses obligations stipulées dans les accords signés et dans le droit international. L’Administration Obama et le Congrès (redevable au lobby pro-sioniste) se trouvent isolés au sein de la communauté des nations par leur soutien à ce régime d’apartheid.

Mais nous sommes confiants, parce que l’histoire n’est pas immuable. Ici, à Bethléhem, nous tirons notre force de ce que nous savons que les occupations militaires étrangères antérieures n’ont jamais duré, notamment l’occupation romaine du temps de Jésus. Nous tirons notre espoir du fait que les croisés sont partis après avoir essayé pendant 130 ans de changer ce pays et le rendre monolithique. Le sionisme est lui aussi condamné à l’échec dans sa tâche similaire. Nous tirons notre espoir des milliers de visiteurs qui viennent ici, chaque année, nous manifester leur solidarité. Nous tirons notre énergie de notre action pour la paix, avec la justice. Nous tirons notre force de la réaction positive des Églises à travers le monde au document Kairos Palestine. Nous tirons notre force de l’essor du mouvement pour les boycotts, le désinvestissement et les sanctions (à l’instar de ce qui a été mis en œuvre contre l’apartheid en Afrique du Sud).

En ce moment de célébrations de la naissance de Jésus, décidons-nous, tous, à œuvrer à la fin du racisme, de l’occupation et de l’apartheid. Insistons sur le droit des réfugiés à rentrer et à construire une société démocratique pour tous ses citoyens sur la Terre sainte. Quand nous y serons parvenus, un peuple issu de toutes les religions (juifs, chrétiens et musulmans) et de toutes les origines se partagera ce petit bout de terre dans l’harmonie et la paix.



* Chercheur en génétique et professeur aux Universités de Bethléem et de Birzeit, après avoir enseigné aux États-Unis, le docteur Mazin QUMSIYEH est président du Centre palestinien pour le rapprochement entre les peuples. Figure importante de la résistance populaire dans laquelle il prend une part active et qu’il organise, il collabore également avec de nombreux mouvements pacifistes de la société civile, et a publié plus de 1 000 articles dans des journaux, des livres et sur l’Internet. Il est l’auteur de Une Histoire populaire de la Résistance palestinienne parue aux éditions Demi-Lune (en 2013)

Du même auteur :

- 650 000 colons juifs... les Printemps arabes... et la fonte des glaces - 27 juillet 2012
- Saoud et Susya - 17 juin 2012
- La Naksa - 5 juin 2012
- « Qu’advient-il d’un rêve reporté ? » - 25 mai 2012
- Le moment du changement ! - 5 mai 2012
- La Journée de la Terre 2012 - 30 mars 2012
- « Christ au Check-point » - 15 mars 2012
- Les prisonniers politiques palestiniens - 3 mars 2012
- La biologie de la paix - 22 février 2012
- Vingt points sur Palestine/Israël - 14 janvier 2012

[...]

Une interview de Mazin Qumsiyeh :

- La répression israélienne en Palestine s’aggrave - 3 mars 2010

Bethléhem, Palestine, le 18 décembre 2012 - Peace X Peace - traduction : Info-Palestine/JPP


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