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Jeff Halper : « Alors, un Etat commun »

dimanche 26 juillet 2009 - 07h:07

Interview de Jürgen Rose

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Si la communauté internationale ne pose pas de limites à Israël, je crains qu’il ne finisse par se suicider... Un jour Israël pourrait perdre tout bon sens, d’une manière intolérable, et foncer droit dans le mur, et ce ne serait pas un bon scénario.

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Jeff Halper, fondateur du Comité israélien contre la destruction de maisons" (ICAHD)




Le "Comité israélien contre la destruction de maisons" (ICADH) est un groupe citoyen israélien à Jérusalem qui se mobilise pour les droits des Palestiniens dans les Territoires occupés. Les préoccupations principales des manifestations et des actions non violentes de ce groupe sont la dénonciation d’atteintes aux droits humains, la prévention de destructions de maisons et leur reconstruction ainsi qu’un Etat palestinien autonome et équitable. L’organisation a été fondée par Jeff Halper, ancien professeur d’anthropologie à l’Université Ben-Gourion. Son comité est financé par des dons et soutenu par la Commission européenne.

Interview de Jürgen Rose.


Pourquoi avez-vous fondé le « Comité israélien contre la destruction de maisons » - y a-t-il eu un événement à la clé ?

Oui et non. D’abord, j’ai grandi dans les années 60 - nous étions alors les « enfants-fleurs ». Et les années soixante étaient très politisées. Moi-même, j’ai toujours été de gauche, dans le mouvement contre la guerre du Vietnam ou le mouvement pour les droits civils. Et ensuite quand je suis parti pour Israël, je n’avais pas de représentations romantiques, mais j’étais conscient qu’il existait là-bas un régime d’occupation. Aussi la première chose que j’ai faite en arrivant en Israël, c’est de m’affilier au mouvement israélien pour la paix. C’est d’ailleurs là que j’ai rencontré ma femme - dès la première semaine nous nous sommes croisés dans une réunion politique. Donc j’étais politiquement actif depuis bien des années pour la paix. Le déclencheur concret pour la fondation de notre Comité fut l’élection de Benjamin Netanyahou en 1996. Celle-ci a eu lieu sur la base d’un programme clairement anti-paix et a mis un terme définitif au processus de paix israélo-palestinien. L’occupation s’est alors très brutalement renforcée : destructions de maisons, occupations militaires, refus d’Israël de se retirer malgré les accords d’Oslo. Moins d’un an plus tard, un groupe de gens « de gauche » se sont rassemblés pour résister à l’occupation, parce que celle-ci allait manifestement demeurer et qu’Israël refusait une solution biétatique. Netanyahou a donc été le facteur décisif. Nous avons décidé de mettre la destruction de maisons au coeur de nos activités. Il a fallu presque une année pour que nous puissions être témoins oculaires d’une destruction de maison, puisque cela se passe habituellement à l’aube, en silence et en toute discrétion. Et à cette occasion, je me suis décidé tout à fait spontanément à me confronter au bulldozer. C’est là qu’a commencé ma résistance physique avec l’engagement de mon corps. C’est ce qui a caractérisé ensuite notre mode d’action, à savoir toujours occuper le terrain, de concert avec les Palestiniens.

Comment avez-vous réagi quand la militante pacifiste Rachel Corrie a été écrasée par un bulldozer israélien au cours d’une telle action ?

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Rachel Corrie, militante ISM états-unienne, écrasée le 16 mars 2003 sous un bulldozer israélien, à Rafah.

Jusqu’alors je ne la connaissais pas. Elle faisait partie d’un mouvement de solidarité international et avait été à Gaza. Nous avons tous été extrêmement indignés par cet acte, d’autant plus qu’il n’y a même pas eu d’enquête. Même les Etats-Unis ont refusé d’enquêter. Depuis, nous connaissons bien la famille de Rachel et nous collaborons avec la Fondation Rachel-Corrie. C’était une personnalité très engagée et sa mort est vraiment une grande perte. Aujourd’hui elle représente un symbole très puissant.

Sa mort n’a fait que vous renforcer dans votre conviction que vous étiez et que vous êtes sur la bonne voie avec votre engagement ?

Bien sûr nous l’avons toujours su. Mais il faut se dire la chose suivante : des Palestiniens meurent sans arrêt, souvent sans même qu’on en parle et pour des motifs futiles. Parfois c’est l’un qui n’a pas entendu les indications à un poste de contrôle et qui est abattu, ou l’autre qui a résisté à la destruction de sa maison. En revanche, les Israéliens et les activistes internationaux bénéficient d’une certaine protection. Nous sommes en quelque sorte privilégiés, en particulier quand nous sommes juifs. Ils ne peuvent pas simplement nous frapper ou nous abattre. Il est vrai que la mort de Rachel Corrie nous a démontré que nous aussi sommes vulnérables, que la protection n’est pas absolue. Nous avons compris qu’il faut vraiment être déterminé et qu’il ne s’agit pas du tout d’un jeu. Il s’agit d’une affaire de vie ou de mort et chacun doit vraiment bien se demander s’il est prêt à payer le prix.

Quel est l’objectif de vos activités et comment voyez-vous les perspectives de succès ?

Je pense que notre travail est déjà très effectif. En Israël même, il est vrai qu’on nous ignore - personne ne nous connaît, personne ne vient nous parler, parce que nous ne sommes pas sionistes. Mais nous sommes israéliens et en tant que tels nous pouvons par exemple, au cas où la solution biétatique ne fonctionne pas - et elle ne fonctionnera pas parce qu’Israël lui-même l’a éliminée - proposer la solution monoétatique. Cela ne nous pose aucun problème de vivre avec les Palestiniens et d’essayer de construire une société multiculturelle. Cette seule idée nous met totalement hors-jeu en Israël. Par contre au niveau international, nous travaillons littéralement avec des milliers d’organisations sociales, religieuses et politiques. Et je pense que ces dernières années nous avons réussi à faire de notre objectif un thème central et global significatif, exactement comme cela avait été le cas de la politique anti-apartheid de l’Afrique du Sud. Du reste, nous ne collaborons pas seulement avec des organisations de la société civile mais aussi avec des gouvernements. Et peu à peu, les gens commencent à comprendre - le gouvernement des Etats-Unis également. Notre voix est entendue, nos informations sont prises en compte, nos analyses sont lues et les politiques aussi nous écoutent. Même si en Israël on ne nous écoute pas, nous essayons de mobiliser l’intérêt de la communauté internationale.

Une sorte de processus dialectique alors, de telle sorte que votre préoccupation trouve finalement le chemin d’Israël par le détour international ?

Exactement, et en fin de compte, Netanyahou, la synthèse lui tombera dessus.

Avez-vous une perspective à court terme pour le processus de paix d’une part, et quelle est votre vision à long terme d’une solution de paix durable d’autre part ?

Non, car à mon avis il faut dès le début une véritable solution de paix. Celle-ci doit être juste et praticable. Et si ce n’est pas la solution biétatique, il faut bien que ce soit celle d’un Etat commun. Et si ce n’est pas non plus celle-là, il y a encore toujours l’option d’une « Middle East Economic Confederation » (confédération économique du Moyen-Orient).

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Une confédération économique du Moyen-Orient qui devrait englober
Israël, la Palestine, la Jordanie, la Syrie et le Liban.




Sur le modèle européen ?...

...pas sous la forme de l’Union politique d’aujourd’hui, mais plutôt à la manière dont l’Europe se dessinait il y a trente ans, donc plutôt comme une communauté économique. Celle-ci devrait englober Israël, la Palestine, la Jordanie, la Syrie et le Liban. Cela restaurerait d’ailleurs l’unité historique antérieure de cette région du monde. Sans cela Israël-Palestine, ce serait trop petit pour pouvoir vraiment maîtriser les problèmes. Car ceux-ci sont régionaux, qu’il s’agisse du problème des réfugiés ou de la question de la répartition de l’eau, du développement économique ou de la sécurité internationale. Nous ne nous contentons pas de résister et de protester, bien au contraire. Nous pensons créativement, plus loin que le bout de notre nez, et nous essayons de développer des approches pour une résolution constructive des problèmes. Ainsi, il nous paraît tout à fait imaginable que la communauté internationale dise à Israël et à la Palestine qu’il faudra dix ans pour trouver une solution politique, parce qu’il faut d’abord construire la confiance et créer des structures solides. Ce qui est déterminant, c’est sans doute la garantie qu’en fin de parcours il y a une solution pacifique. Les Palestiniens ne peuvent être laissés seuls avec le sentiment que le résultat reste ouvert et que, comme après Oslo, ils pourraient rester les mains vides. Il faut donc un certain laps de temps et un objectif sans équivoque. Et ce n’est qu’alors, quand une solution politique aura finalement été trouvée, qu’on pourra réellement entamer la réconciliation - il ne faut pas mettre la charrue avant les b ?ufs. Bien sûr nous collaborons amicalement avec des groupes palestiniens pour faire cesser l’occupation, et cela crée de nombreuses amitiés, mais nous veillons à ce que la distance soit maintenue. Nous ne voulons pas vraiment normaliser notre relation avant qu’une paix équitable ne soit atteinte.

Votre travail pratique de militant pacifiste se base sur une approche théorique que vous avez formulée en tant que professeur et scientifique et que vous appelez « reframing » (recadrage). Comment devons-nous nous représenter ce « remaniement stratégique » ?

Avant toute chose il faut expliquer pourquoi la communauté internationale devrait s’intéresser au conflit israélo-palestinien, qui n’est après tout qu’un conflit parmi des milliers d’autres. Il nous faut pour cela une accroche, comme par exemple la question des droits de l’homme. Les juifs y sont très réceptifs en raison de leurs traditions. Aussi le conflit israélo-palestinien est-il bien thématisable dans cette perspective. Notre « recadrage » dans ce contexte repose sur trois points : premièrement le conflit est de nature politique et peut donc être résolu si - en s’appuyant sur les droits humains - les deux populations sont protégées et leurs besoins satisfaits. En revanche la mystification du conflit comme « choc des civilisations » rend toute solution impossible. Deuxièmement il existe un régime d’occupation qui représente une politique de contrôle non défensif de l’ensemble du territoire entre la Méditerranée et la vallée du Jourdain. Et troisièmement Israël est le plus fort et en tant que tel il est responsable de sa politique et de ses actions.

Et comment se pose votre approche de « recadrage » par rapport à l’Allemagne ?

En Allemagne les gens, en particulier les jeunes, se sentent de plus en plus obligés de veiller au respect des droits humains. La politique étrangère allemande, par contre, balance entre la culpabilité pour l’holocauste et la poursuite de ses intérêts en tant que puissance mondiale ressuscitée. Ce qui manque à mes yeux, c’est la traduction des leçons de l’holocauste - en particulier la priorité absolue des droits de l’homme et du droit international - dans la politique étrangère allemande. C’est d’une importance décisive, car aussi longtemps que l’Allemagne confond le soutien à la politique d’occupation avec l’expiation pour l’Holocauste, elle crée un obstacle dans le processus de résolution du conflit moyen-oriental. L’Allemagne est devenue un acteur responsable dans la politique internationale et a fourni une aide importante à Israël dès le début, même si elle a parfois poussé l’aide trop loin, en livrant des sous-marins nucléaires. L’acte de repentir et de réconciliation le plus sincère et le plus significatif consisterait à aider Israël à se libérer d’un conflit funeste qui entrave de plus en plus sa sécurité et à conclure la paix avec les Palestiniens. Mais cela exige que l’Allemagne aborde, de façon résolue mais constructive, les violations par Israël des droits humains des Palestiniens. Car Israël doit encore entamer son processus de réconciliation, en assumant la responsabilité de l’effroyable destruction de la société palestinienne et de l’occupation permanente, au cours de laquelle 24 000 maisons de personnes innocentes ont été rasées. Tout à l’opposé, Israël tente de manière démagogique d’instaurer un Etat juif dans toute la Palestine, et ce faisant il commet constamment des crimes de nettoyage ethnique, d’occupation, de guerre et de répression, pour lesquels un jour nous devrons nous-mêmes rechercher le pardon.

Si l’Allemagne a vraiment une relation particulière à Israël, en raison de son propre passé, elle est singulièrement disposée pour détourner Israël de son idéologie démagogique et de l’occupation. Ou bien l’Allemagne prend cette responsabilité à l’égard d’Israël, ou bien elle commet une trahison vis à vis de ses obligations résultant de l’Holocauste, si elle continue à soutenir la politique d’occupation israélienne au détriment en particulier des juifs israéliens.

Israël lui-même doit tirer un trait sous l’Holocauste. Entre les mains de politiciens cyniques qui l’utilisent pour justifier la propre politique répressive d’Israël et pour étouffer dans l’ ?uf toute critique, l’héritage de l’Holocauste lui-même risque d’être minimisé, profané et détourné. Comme le formulait Avraham Burg, ancien Président de la Knesset et de l’Agence Juive dans son dernier livre : « L’Holocauste est passé : nous devons nous élever hors de ses cendres ».

Que voulez-vous dire quand vous demandez qu’un trait soit tiré sous l’Holocauste ?

Ce que cela veut dire, tirer un trait final ? Je veux dire que nous devons développer une relation tout à fait normale entre nous. Cela ne veut pas dire que nous devions oublier ce qui s’est passé.

Normalisation, cela signifierait-il donc que l’Allemagne devrait traiter Israël comme un Etat tout à fait normal, comme tout autre Etat dans le monde ?

Aider Israël à obtenir un statut dans lequel il entretient des relations normales avec les Etats arabes, les Palestiniens et tous les autres. Nous, en Israël, devons comprendre que nous devons faire partie de la communauté internationale. Et l’Allemagne doit dire à Israël qu’il doit le comprendre et ne pas être le tyran et celui qui est toujours hors-jeu et exige un traitement particulier. Car cela ne suscite que haine et ressentiment chez tous les autres. Cela, l’Allemagne peut le dire à Israël : regardez, nous avons tout fait pour reconnaître et solder notre dette, à présent la dernière chose que nous puissions faire, c’est vous aider à faire la paix avec les Palestiniens. Et ensuite, quand vous aurez des relations normales avec les Palestiniens et le monde arabe, alors vous pourrez aussi entretenir des relations normales avec nous les Allemands et avec tous les autres. Et alors cela sera vraiment un trait final : maintenant nous sommes amis, maintenant l’Allemagne et Israël peuvent établir toutes les relations possibles et en ce sens il n’existe plus de relation spéciale.

Finalement reste-t-il encore de la place pour une relation particulière entre l’Allemagne et Israël ?

Je ne le crois pas. Naturellement l’Holocauste reste une partie de notre histoire. Mais ce dernier ne concerne pas seulement les juifs. La normalisation comme élément du processus de réconciliation veut dire aussi : laisser ce qui est arrivé comme étant arrivé et ne pas sans cesse le jeter à la figure de l’autre. Sans cela on finit par régresser. La jeune génération y est particulièrement hostile. Se réconcilier ne veut pas dire oublier, mais normaliser.

Tournons-nous vers la politique actuelle d’Israël. Comment jugez-vous la volonté et la capacité du gouvernement israélien actuel de parvenir à une solution de paix durable respectivement avec les Palestiniens et les arabes ?

Il n’y a pas le moindre intérêt au sein du gouvernement Netanyahou pour conclure la paix avec les Palestiniens. Israël est un Etat militaire. En réalité, l’armée détermine depuis toujours la politique, et les dirigeants militaires sont devenus des politiciens. Et ils vivent dans l’idée de pouvoir vaincre les Palestiniens - ou « les Arabes », puisqu’en Israël on ne se sert pas du mot « Palestiniens ». C’est dans ce but que l’Holocauste est instrumentalisé, que les relations avec les USA et la communauté juive très influente d’Europe sont utilisées. Israël dispose de ces ressources et de ses forces de combat si puissantes. Il exerce ainsi un contrôle sur l’ensemble du pays et ce, à tout jamais. C’est pourquoi Israël peut faire traîner le processus de paix jusqu’à la Saint-Glinglin, en isolant les Palestiniens et en concluant des accords de paix séparés avec chaque pays arabe. Le calcul est le suivant : si nous pouvons vaincre, pourquoi nous préoccuper d’un compromis de paix ? Pour nous, en tant qu’organisation pacifiste, il s’ensuit que nous devons aller vers le monde et dire clairement que ce conflit possède une signification globale et qu’il est de l’intérêt de la communauté internationale de s’en préoccuper. Le résultat devrait être que les Etats exercent une pression sur Israël afin qu’il conclue une paix véritable avec les Palestiniens. Mais cela ne peut se faire en Israël même, il faut que ce soit imposé du dehors. Israël n’y sera jamais disposé volontairement, il faut qu’il y soit poussé et contraint. C’est seulement en exerçant ces pressions qu’on pourra aider Israël, autrement, le conflit perdurera éternellement.

Comment décririez-vous les protagonistes du gouvernement de coalition actuel, Netanyahou, Lieberman et Barak ?

Tous les partis politiques israéliens d’Israël partagent la même idéologie. Leur doctrine fondamentale est que les Arabes sont nos ennemis héréditaires. Ce n’est pas Netanyahou mais Barak qui le proclame presque chaque jour : « Il n’y a pas de solution politique, les Arabes ne font rien d’autre qu’essayer de nous jeter à la mer, il n’existe pas de partenaire pour la paix, on ne peut faire confiance aux Arabes » - toutes ces paroles, la population israélienne les a intériorisées et c’est de cette manière qu’on réussit à contrôler l’ensemble du pays. En revanche, le peuple israélien veut absolument la paix. Le peuple israélien est contre l’occupation et la politique de colonies de peuplement. Mais les militaires, que représente Barak, et la droite, que représente Netanyahou, croient devoir contrôler tout le pays pour une durée illimitée. Que ce soit pour des motifs nationaux - c’est « notre » pays - ou de sécurité. Comment dès lors produit-on le soutien à l’occupation, si la population en réalité n’en veut pas ? Eh bien, cela se fait en lui expliquant qu’elle est encerclée par des ennemis et qu’elle ne peut donc renoncer au contrôle. Car même si l’ennemi disait qu’il est disposé à la paix, on ne pourrait et on ne devrait pas lui faire confiance, puisque la seule chose qui l’intéresse est de tendre un guet-apens à Israël. Cette propagande a rendu complètement impuissante la population israélienne, car si tous les partis politiques ont ces arguments, qui donc doit-elle élire ? En fait, Israël a cinq partis Likoud : le vrai de Netanyahou, celui de Lieberman, le Kadima de Sharon, puis le Shaz religieux et enfin le parti travailliste.

C’est pour cela qu’il n’a pas été difficile de conclure la coalition actuelle ?

Oui, il s’agit de facto d’un gouvernement d’unité nationale, dont les participants sont heureux ensemble. Mais cela ne laisse aucune alternative de choix au public israélien, puisqu’aucun des partis ne se lève pour dire : « Nous pouvons conclure la paix, il y a une solution politique, les arabes ne sont pas nos ennemis, etc... ».

Comment décririez-vous les rapports entre la population israélienne et les Palestiniens ? Quels sont les sentiments et les représentations, compte tenu du sionisme politique auquel vous faites allusion ? Existe-t-il quelque chose comme un racisme sublime ?

C’est bien plus grave encore. Les Israéliens n’utilisent pas le concept de « Palestiniens », et les « Arabes » sont tout simplement un non-sujet. Ici, c’est comme si vous demandiez en Allemagne : «  Comment décririez-vous les montagnards de Birmanie ? ». Pour la société israélienne, les Arabes sont tout aussi lointains. Nous ne pensons pas à eux et nous ne voulons rien savoir d’eux - c’est vraiment un non-sujet. Et c’est ce qui rend les choses si difficiles. Si les Israéliens haïssaient simplement les Arabes, OK, ce serait au moins une émotion. Mais quand ils ne s’occupent de personne, quand personne ne pense à eux, personne ne les craint, personne ne les aime, quand ils sont vraiment à l’arrière-plan, alors il devient impossible d’intervenir.

Pensez-vous vraiment que les Arabes sont traités comme des êtres non humains ?

Non, ils sont tout simplement invisibles, totalement insignifiants. Vous savez, nous avons une plaisanterie dans le mouvement pour la paix, qui dit que les Arabes, les Palestiniens et la Cisjordanie sont tout aussi proches d’Israël que la Thaïlande. Mais en fait ils sont encore plus loin d’Israël que la Thaïlande, parce que beaucoup d’Israéliens peuvent prendre l’avion pour la Thaïlande, alors que personne ne voyage jamais en Cisjordanie ou dans les pays arabes, parce que ça n’intéresse pas le moins du monde les Israéliens. Les Arabes représentent un peu des neutres complets. Et cela empêche tout engagement. Ils sont tout simplement totalement insignifiants. Et on ne peut obliger personne à s’intéresser à eux. C’est pour cette raison que l’ICADH s’adresse à l’étranger.

Pour conclure tournons-nous vers les militaires israéliens, qu’on désigne toujours comme « Forces de [auto] Défense » - ou faudrait-il dire plus exactement « forces d’occupation » voire «  forces d’agression » ?

Tout le conflit tourne autour du choix des mots. La langue est donc extrêmement importante. Par exemple, nous n’utilisons jamais la notion d’occupation. Nous ne parlons jamais de « Palestiniens ». Au lieu de «  Cisjordanie », nous nommons ce territoire « Judée et Samarie ». Nous ne nous servons jamais du mot «  colonie » - nous parlons de « communautés ». Nous ne disons jamais non plus « colon ». Deux générations d’Israéliens ou plus sont habituées à entendre parler des « communautés juives de Judée et de Samarie qui sont attaquées par des Arabes », sans contexte politique, sans qu’il soit question d’occupation.

Sur le même modèle on dit de Gaza : « Ces criminels tirent des roquettes sur nous ». Quand les choses sont présentées ainsi, alors l’armée est bien évidemment une armée de défense. Car tout ce que fait Israël est de la défense. Et cela paraît plausible aux Israéliens. Si Israël qualifiait ses forces de combat « d’armée d’occupation », ce serait la fin de l’argument de la défense, et il cesserait d’être la victime. Et c’est le point crucial. Etre victime, en effet, c’est un rôle très puissant, car une victime ne peut jamais être tenue pour responsable de ce qu’elle fait. Alors quand on réussit à combiner force militaire écrasante et statut de force d’occupation sans devoir en porter aucune responsabilité, c’est formidable. Pendant sa dernière invasion, Israël a détruit Gaza et causé aux infrastructures des dommages évalués à un milliard et demi de $US. Après quoi il y a eu une conférence internationale de donateurs à Charm-el-Cheik. L’Arabie Saoudite y a promis un milliard de $US d’aide, les USA, 900 millions, l’Allemagne a sans doute aussi participé - mais quelqu’un a-t-il exigé d’Israël qu’il contribue ne serait-ce que pour un ? ? Non, Israël est resté tout à fait en dehors, car Israël est la victime. Bon, il y a bien sûr aussi les autres victimes, à savoir les Palestiniens, c’est bien triste, mais personne n’a seulement eu l’idée d’imputer la responsabilité à Israël. Et c’est sur ce point qu’Israël l’emporte.

Notre désir est précisément de changer cela, c’est ce que nous nommons « recadrage ». Cela signifie provoquer un changement tel qu’Israël soit perçu comme la force supérieure, la puissance d’occupation dotée d’une armée forte, et qui n’est aucunement la victime, mais qui agit pro-activement. Et si nous réussissons à modifier la manière dont Israël est perçu, on pourra aussi demander des comptes à Israël. Et c’est exactement ce que j’attends de l’Allemagne. Nous ne voulons pas être anti-israéliens, nous ne voulons pas diaboliser Israël, je ne veux pas que l’Allemagne soit l’ennemi d’Israël, mais je veux que l’Allemagne rende Israël responsable de ses actes, tout comme l’Allemagne doit porter la responsabilité internationale de ses activités. C’est ce que signifie « normalisation » et c’est bien ainsi. Car si la communauté internationale ne pose pas de limites à Israël, je crains qu’il ne finisse par se suicider, puisque personne ne l’arrêtera. Personne ne dit à Israël : « C’est totalement inacceptable », par exemple en ce qui concerne Gaza. Un jour, le pays pourrait se retrouver isolé, au lieu d’être ramené dans le droit chemin. Un jour Israël pourrait perdre tout bon sens, d’une manière intolérable, et foncer droit dans le mur, et ce ne serait pas un bon scénario.

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Jeff Halper, arrêté par les soldats israéliens.

Pensez-vous que la paix a la moindre chance, aussi longtemps qu’Israël est la force militaire la plus puissante dans la région et représente la troisième puissance nucléaire du monde, avec environ 500 ogives nucléaires. Ne serait-il pas sensé d’entamer des négociations sur le contrôle de l’armement et le désarmement ?

Il me semble vraiment difficile de lancer un tel processus avant qu’il existe une solution de paix politique. En Israël c’est certainement hors sujet. Israël argue qu’il a besoin de sa puissance militaire parce qu’il est entouré d’ennemis - par exemple l’Iran. Dans le sillage d’une solution de paix politique il faudrait évidemment travailler à une démilitarisation, mais ce ne peut se faire au début.

Je suis justement en train d’écrire un livre sur ce que j’appelle le « système global de la pacification », et Israël y joue un rôle important. Ainsi Israël est notamment le cinquième exportateur mondial d’armement. Il exporte plus d’armes que la Chine ou la Grande-Bretagne. C’est donc un pays d’une puissance écrasante, et le problème est qu’il ne fait pas du tout bon usage de ces armes. Par exemple, en Afrique de l’Ouest avec l’industrie diamantaire, les diamants sanglants. En Colombie et aussi en Birmanie, Israël intervient, en Chine également, et de manière néfaste en ce qui concerne le commerce des armes. Cela représente une forme particulière de politique sécuritaire, dans la mesure où Israël utilise sa puissance dans le secteur de l’armement pour obtenir l’appui d’autres pays. Cela ne constitue vraiment pas un apport bénéfique au système sécuritaire global.

Et que signifie le fait qu’Israël possède le monopole de l’armement nucléaire dans la région ?

C’est toujours le cas, mais l’Iran y travaille, le Pakistan a déjà des armes nucléaires, l’Egypte est sur la voie. Néanmoins les armes nucléaires représentent un problème global. Il s’agit d’un conflit mondial, pas simplement d’un conflit local. Et c’est pourquoi ce problème doit se résoudre dans le cadre d’une paix globale.

Permettez-moi de vous poser une question qui vous tiendra peut-être plus à coeur, en tant que membre du mouvement pour la paix. Il y a maintenant des dizaines de pilotes de l’armée de l’air, jusqu’à un général de brigade, qui ont refusé de mener des attaques aériennes dans les territoires occupés, et en outre des centaines de soldats et de soldates qui refusent de servir. Quel rôle jouent selon vous ces déserteurs et objecteurs de conscience dans les rangs des forces de combat israéliennes ?

Tous mes enfants sont objecteurs de conscience, chacun d’eux a refusé de servir dans les forces de combat. Mes deux fils ont été incarcérés. Le sujet est très important, pas tant en Israël même, parce que le pourcentage de refuzniks est infime. En général les jeunes gens veulent faire leur service. Ils veulent servir dans toutes ces unités où il se passe quelque chose. En Israël, les objecteurs ne sont pas si importants. Leur véritable signification réside dans le fait qu’ils maintiennent vivante l’humanité d’Israël. Si nous entamons le processus de réconciliation, nous aurons besoin de ces jeunes gens qui se sentent vraiment un devoir de paix et qui ont payé le prix fort pour cela. Cela aura une grande importance dans le futur. Mais aujourd’hui, étant donné la prédominance des positions guerrières et militantes en Israël, ils ne sont pas encore tellement importants. Hors d’Israël cette problématique est beaucoup plus influente.

N’empêche que le droit au refus du service militaire représente un droit humain fondamental, ce pourquoi il est quand même reconnu en Israël même, n’est-il pas vrai ?

En effet, car conformément au droit international le droit au refus du service militaire doit être ancré dans la constitution de tout état. Il s’agit donc d’un droit humain, mais pas en Israël. Bien au contraire, ces dernières semaines en Israël quelques activistes du mouvement « New Profile » ont été arrêtés, un mouvement qui encourage les jeunes gens à refuser le service militaire, ou les aide à quitter les forces de combat. Ces faits illustrent le militarisme régnant en Israël. Cela montre à nouveau que les changements sont impossibles, qu’il est sans issue de pousser Israël à une attitude normale vis-à-vis des droits de l’homme aussi longtemps que dure le conflit israélo-palestinien.

Pour conclure : comment jugez-vous le traitement actuel de Mordechaï Vanunu, qui a révélé au monde, il y a déjà trente ans, l’existence de l’armement nucléaire israélien ?

Oh, c’est horrible. Je connais Mordechaï, il est assigné à résidence. Je ne comprends pas pourquoi Israël ne le laisse pas partir. Je présume qu’il s’agit d’une simple vengeance, car après toutes ses années de prison il ne peut plus connaître aucun secret nucléaire. Là aussi se reflète la bassesse et la cruauté d’un régime d’occupation, qui dépassent largement la satisfaction d’un besoin de sécurité normal.


Site web de l’ICAHD : http://www.icahd.org/eng/

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15 juillet 2009 - Article : Dann eben ein gemeinsamer Staat, source : Generaldelegation Palaestinas - Traduction de l’allemand : Marie Meert


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