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Les agriculteurs de Jayyus à la merci de l’occupant

mercredi 8 avril 2009 - 06h:36

Ida Audeh

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Le mur construit par Israël sur la terre palestinienne depuis 2003 a un effet dévastateur pour les 4 000 habitants de Jayyus, un village au nord-est de Qalqilya, en Cisjordanie.

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Des agriculteurs palestiniens plantent des arbres lors d’une manifestation contre le mur israélien, le 30 mars 2009. (Khaleel Reash/MaanImages)

"Aucun soldat israélien ni Premier ministre ne nous changeront dans notre opposition à l’occupation et au mur. Il ne pourra y avoir de paix aussi longtemps qu’il y aura un mur et qu’il y aura une occupation. C’est la conviction des gens de Jayyus... Si moi, je ne me débarrasse pas du mur, ce sera mon fils."


Le mur construit par Israël sur la terre palestinienne depuis 2003 a un effet dévastateur pour les 4 000 habitants de Jayyus, un village au nord-est de Qalqilya, en Cisjordanie. Le mur à Jayyus sépare les agriculteurs de 75% de leurs terres agricoles. C’est une catastrophe majeure pour ceux qui cultivent des fruits et légumes, produits saisonniers qui exigent une attention constante. Telles que les portes d’accès sont placées [portes qui restent fermées pratiquement 24 h sur 24], aller sur leurs terres arables n’est possible qu’en fonction de ceux qui détiennent les clés des portes.

Près de six ans après qu’Israël ait commencé à ériger son mur et près de cinq ans après que la Cour international de Justice ait rendu son avis, en juillet 2004, jugeant que le tracé du mur à l’intérieur du territoire occupé était illégal, la communauté de Jayyus se bat pour survivre.

Je suis allée à Jayyus, mi-mars, pour rencontrer Mazooz Qaddumi ; il travaille à la mairie du village au bureau des réclamations des citoyens et je lui ai demandé de m’exposer quelques-uns des problèmes rencontrés par les habitants.

Tout un système arbitraire d’autorisations

« Le système d’autorisations est en place depuis 5 ans, » m’explique Qaddumi, se référant à l’obligation pour les propriétaires de terrains de déposer une demande d’autorisation auprès des autorités israéliennes, et de l’obtenir, pour pouvoir passer la porte qui donne accès à leurs terrains. « Au début, nous avions voulu traverser avec nos cartes d’identité. »

Il ajoute, « Les Israéliens ont attendu jusqu’à la saison de la récolte des goyaves, alors ils nous ont inondés de leurs autorisations. Tout le monde à Jayyus en a obtenu une, les vivants comme les morts, les jeunes comme les vieux. Nous ne savions quoi faire ; si on ne distribuait pas les autorisations, les goyaves seraient perdues. Et si on les distribuait, nous donnions une légitimité au mur. Les autorisations sont restées à la mairie pendant deux semaines, pendant ce temps, le maire a contacté différents responsables de l’Autorité palestinienne et, finalement, on nous a dit de remettre les autorisations.

« Les Israéliens actuellement donnent des autorisations à qui ils veulent. Il y a deux jours, j’ai présenté 44 demandes et j’ai obtenu une approbation pour 6. Elles peuvent être données à l’épouse d’un agriculteur, ou à sa fille, mais pas à la personne de la famille qui en a le plus besoin. Ou ils la donnent à un père handicapé mais pas à son fils qui fait le travail. Et aussi, la durée des autorisations varie. Elle peut être d’une semaine, un mois ou une année. Si je présente une demande pour quelqu’un qui en possède déjà une, ils disent que son autorisation est toujours valable (et ils interrogent, pourquoi faites-vous une demande ?). Certains obtiennent une autorisation qui leur permet de travailler, mais si elle expire avant la récolte, ils n’ont aucune garantie d’en obtenir une autre pour faire leur récolte. »

Qaddumi explique qu’au moment des demandes d’autorisations, « Il y a un Israélien avec une carte et un ordinateur qui regarde où se trouve votre terre, si elle est de ce côté-ci du mur ou de l’autre côté. C’est sa spécialité. C’est lui qui décide si j’ai le droit de pénétrer sur ma propriété ou non. »

Il ajoute, «  Depuis le 15 février, nous n’avons reçu que 6 autorisations sur 125 demandes. Nous avons envoyé une liste de demandes le 21 janvier mais nous n’avons toujours pas de réponse. 25% des agriculteurs de Jayyus ne peuvent obtenir d’autorisation pour aller sur leurs champs. Les Israéliens disent que nous aurons des autorisations quand nous arrêterons de leur lancer des pierres. »

L’octroi d’autorisations par les forces d’occupation n’est pas seulement offensant pour la raison évidente que cela rend les Palestiniens tributaires de la permission de l’ennemi occupant pour pouvoir travailler sur leur propre terre. C’est aussi inacceptable parce que cela donne aux autorités d’occupation la possibilité de contrôler la vie des habitants de multiples façons.

Nous sommes rejoints par le Dr Abdul Haleem Khalid, également propriétaire terrien qui attend aussi une autorisation pour accéder à ses terres.

Le Dr Khalid explique, «  Mon frère Majid travaille à Bethléhem et c’est ce qui est indiqué sur sa carte d’identité comme lieu de résidence. Avec comme conséquence que les Israéliens ont décidé qu’il n’avait pas de véritables rapports avec la terre d’ici, et il n’a pas eu d’autorisation. Plusieurs propriétaires de Jayyus sont confrontés à ce même problème. »

Et d’ajouter, « Ils vont même jusqu’à se mêler des questions d’héritages. Ils rapprochent votre propriété avec le nombre de vos héritiers, et ils insistent pour que vous fassiez une demande pour chaque parcelle séparément. Alors ils décident que chaque partie est trop petite pour justifier une autorisation et vos demandes sont rejetées. Mais vous n’êtes pas autorisés à faire une demande pour l’ensemble de la propriété. »

La volonté d’étouffer une population

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Une incursion de l’occupant dans le village de Jayyus.

Qaddumi décrit les nombreux problèmes posés par les portes qui sont utilisées pour étouffer toujours plus les villageois. A l’époque où les Israéliens accordaient systématiquement les autorisations, quand le mur venait d’être monté, ils laissaient les portes ouvertes en permanence. Petit à petit, ils ont commencé à diminuer les horaires d’ouverture, et maintenant elles ne sont ouvertes que trois fois par jour, pendant une heure. Les personnes peuvent traverser à pied, mais sans matériel. De même, les Israéliens ne se croient pas obligés de respecter les heures d’ouverture même s’ils les ont annoncées ; une famille de Bédouins qui vit de l’autre côté du mur dit qu’elle a retiré un fils et une fille de l’école parce que les ouvertures de la porte empêchaient les enfants d’arriver à temps à l’école.

Comme dans beaucoup de domaines où les forces d’occupation israéliennes se sont impliquées, elles agissent ici en toute impunité. Elles sont la loi. Et les lois sont conçues pour s’emparer de la terre des Palestiniens et de leurs ressources en eau. La nature inextricable des lois révèle l’ingéniosité israélienne dans la cruauté, et elle vise presque certainement à s’assurer que les gens d’ici n’oublient jamais, pas un seul instant, qu’ils sont un peuple occupé et vaincu.

Qaddumi cite un exemple, « Quand vous passez une porte, vous êtes soumis à une fouille au corps. Une machine fait la fouille, comme celles qui sont dans les aéroports et au pont (Pont Allenby - frontière avec la Jordanie - ndt). Si elle détecte du métal, elle se met à sonner et il vous faut repartir par la même porte que vous venez de passer, et si la porte s’est refermée, alors vous n’avez pas de chance. »

En raison de cet accès à la terre aussi limité et imprévisible, des dispositions ont été prises avec l’Autorité palestinienne et celles de l’occupation israélienne pour laisser passer les matériaux de construction aux portes de sorte que les agriculteurs puissent se construire de petits abris et se mettre à l’abri des pluies d’hiver et de la chaleur de l’été, et qu’ils puissent parvenir plus longtemps jusqu’à leurs terrains. Quand ces abris furent terminés, les propriétaires ont été prévenus qu’ils avaient été construits sans permis et qu’ils devaient être démolis. On leur a donné trois mois pour quitter les lieux.

« Nous avons un avocat à Jérusalem qui travaille sur ce dossier ; nous n’arrivons pas à obtenir une autorisation pour aller au tribunal de Jérusalem. Nous pensons que les abris qui sont menacés de destruction sont ceux qui se trouvent sur le tracé du mur prévu quand celui-ci sera déplacé » me dit Qaddumi en se référant à l’arrêt de la Haute Cour de Justice israélienne de février 2009 qui modifie le tracé du mur. La décision rend aux habitants environ 10% de leurs terres et un puits ; trois puits restent de l’autre côté du mur. L’eau est très chère, et la plupart des habitants n’ont pas l’argent pour s’assurer leur nourriture, à plus forte raison l’eau.

Et il ajoute, « Il y a des hangars où les fermiers gardent leurs vaches et leurs chèvres. Les Israéliens ont envoyé des avis de démolition. Le prétexte est que depuis ces hangars, les gamins leur lancent des pierres et cela constitue une menace à la sécurité des soldats quand ils passent par là. Alors, les familles ont pris des avocats palestiniens en Israël. »

Les agriculteurs ne peuvent plus gagner leur vie

« Quand les agriculteurs ne peuvent accéder à leurs terres, ils doivent embaucher des gens pour faire leurs récoltes. Quelquefois, nous pouvons avoir des Palestiniens d’Israël et des sympathisants pour travailler dans les champs et cueillir les olives. Ils s’y rendent depuis le côté israélien. Nous avons un coordinateur qui travaille avec B’Tselem (groupe israélien pour les droits de l’homme) et il arrive à leur obtenir des autorisations. Ils ont besoin d’une autorisation pour venir jusqu’à nous, car ici c’est considéré comme une zone militaire fermée.

« Quand un agriculteur s’en va vendre ses produits dans (les secteurs de Cisjordanie sous le théorique contrôle de l’Autorité palestinienne), un soldat israélien l’arrête à un check-point et lui dit de décharger toutes les caisses dans son camion pour pouvoir faire la fouille. »

Les conditions difficiles imposées par les Israéliens ont fait qu’il est devenu impossible pour les agriculteurs de gagner leur vie. Mais les gens restent prêts à tout pour maintenir leurs terres productives ; si la terre reste 5 ans sans être cultivée, la loi israélienne dit qu’elle peut être saisie. Et les fermiers de Jayyus savent que l’Etat convoite leurs terres pour étendre la colonie toute proche.

«  L’agriculture n’est même plus rentable. Un agriculteur ne gagne pas deux dollars par jour, et encore, il doit se battre pour se rendre sur sa terre. Et ensuite, il vend ses produits pour une bouchée de pain. Nous avons un jeune qui a perdu trois serres avec les pluies. Qui va l’indemniser pour cela ? Pendant 60 jours, il a semé, soigné ses produits pour les faire pousser. Et après, il n’a pas eu l’autorisation et tous ses efforts ont été réduits à néant. Je peux lui donner une lettre de la municipalité pour qu’il saisisse les autorités supérieures et exposer sa situation, mais c’est tout ce que je peux faire. De là, sa lettre va remonter la hiérarchie, et elle finira dans un tiroir. »

Quand l’Autorisation palestinienne a appris à 18 agriculteurs qu’ils avaient droit à une indemnité pour leurs pertes, ils ont fait le voyage jusqu’à Qalqilya, pour ne toucher que 300 shekels [54 ?] - une part infime de leurs pertes réelles et compensant à peine le temps et les frais engagés pour aller les toucher.

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Cueillettes à Jayyus malgré la menace de l’occupant.

Il ne peut y avoir de paix aussi longtemps qu’il y aura un mur et une occupation.

A l’instar du village de Bil’in (à l’ouest de Ramallah) Jayyus organise des manifestations non violentes chaque semaine contre le mur. Et comme à Bil’in, les habitants subissent la violence des mêmes attaques de l’armée israélienne.

« Les Israéliens nous tombent dessus tout le temps, en pleine nuit. Nous n’arrivons pas à dormir. Les vendredis, il y a 10 à 12 jeeps de l’armée qui arrivent. Ils utilisent des lacrymogènes contre les habitants et les gaz envahissent les zones habitées. Cela provoque des fausses couches et nous avons déposé des plaintes devant les autorités adéquates.

«  Du 17 au 18 février, ils ont imposé un couvre-feu sur le village et y ont pénétré en pleine nuit, arrêtant 11 personnes. Ils ont fouillé maison par maison et détruits des biens. Ils ont pris les passeports, les disques durs des ordinateurs et de l’argent. Ils ont transformé cette école, ici même, en centre de détention, pareil à Guantanamo. Ils ont fait des interrogatoires. Ils ont amené 120 hommes et les ont répartis, 10 par salle de classe. »

Le Dr Khalid a raconté ce qu’il a vécu avec sa famille : « Ils m’ont mis, avec mon épouse et mes gosses, dans la cuisine et ont fouillé notre maison. Ils ont laissé des traînées de boue sur les tapis et ils sont passés dans le cabinet de mon fils, ne laissant rien en place. Ils m’ont fait, avec mes 5 enfants, descendre au rez-de-chaussée pour pouvoir fouiller l’étage. Pendant une demi-heure, ils m’ont maintenu dehors, les pieds nus, à deux heures du matin. Ils essaient de nous détruire psychologiquement.

« Parce que les villageois continuent de manifester contre le mur, ils ont fait le constat que leur jeunesse était sensible aux tentatives des autorités d’occupation pour les faire entrer dans la collaboration. Beaucoup de jeunes hommes [16 à 20 ans] ont été arrêtés et frappés et se sont vus déclarer que le prix de leur autorisation est de donner les noms des organisateurs des manifestations hebdomadaires. »

Qaddumi me dit avoir rencontrer Mohammad Khaled, 22 ans, qui a été « invité » à devenir un collaborateur en échange de l’assurance d’avoir une autorisation. Il explique :

« Le 18 février à 1 h 30 du matin, ils m’ont pris à mon domicile pour m’emmener à l’école et de là, ils m’ont transféré à Huwara, au centre militaire. Ils m’ont interrogé et accusé de lancer des pierres et des cocktails Molotov. Je leur ai dit que je n’avais rien fait de tel, et j’ai refusé de signer des aveux. Quand je suis rentré chez moi, j’ai vu qu’ils m’avaient pris mon autorisation. [Elle était valable encore un an]. Alors je suis allé au DCO [bureau de coordination du district] où on m’a dit, vous voulez votre autorisation ?, alors c’est à une condition : vous devez coopérer avec nous. Ils ont voulu les noms des jeunes qui lançaient des pierres. J’ai refusé. Ils m’ont dit : c’est la seule façon pour vous d’avoir une autorisation ; j’ai répondu : je ne veux pas d’autorisation. Hier, on m’a simplement dit d’aller directement à la porte (du mur) et de tenter ma chance. Je n’ai fait que la navette. »

Qaddumi ajoute, « Certains jeunes hommes avec moi, disent avoir été menacés et avoir signé des aveux alors qu’ils n’avaient rien fait. Ils ont été emprisonnés pendant trois mois et condamnés à une amende de 1 000 shekels (180 ?). Ils sont effrayés avec leurs chiens. Un jeune de 16 ans a été précipité dans une voiture et condamné à une amende. Comment son père pourra-t-il trouver une somme de 1 000 shekels ? Il n’a pas de travail.

« Le DCO ne peut rien faire. J’ai déposé une requête mais ils m’ont dit qu’ils ne savaient pas ce qu’elle était devenue. Cela fait un mois maintenant. Nous avons 2 dunums (de terre, soit 2 000 m2) de tomates, et elles sont mûres aujourd’hui. Si j’envoie des ouvriers, ils me coûteront 70 shekels. Or les tomates sont maintenant très bon marché, de sorte que quoi qu’on fasse, on a une perte. »

Malgré un rapport des forces écrasant, le village tout entier semble déterminé à résister, à tout prix. Qaddumi m’explique, « Aucun soldat israélien ni Premier ministre ne nous changeront dans notre opposition à l’occupation et au mur. Il ne pourra y avoir de paix aussi longtemps qu’il y aura un mur et qu’il y aura une occupation. C’est la conviction des gens de Jayyus, et je le dis en tant que coordinateur de la résistance populaire contre le mur. Si moi, je ne me débarrasse pas du mur, ce sera mon fils. »


* Ida Audeh est palestinienne, de Cisjordanie, et elle vit à Boulder, Colorado. Ses chroniques et articles ont été publiés par The Rocky Mountain News, The Daily Camera, The Electronic Intifada, Countercurrents et Counterpunch. Elle peut être jointe à l’adresse : idaaudeh@yahoo.com.

Du même auteur :

- Israël cible les familles palestiniennes
- Déportés hors de notre propre terre

Jayyus, Cisjordanie occupée - 6 avril 2009. The Electronic Intifada - Traduction : JPP


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