16 septembre 2017 - CONNECTEZ-VOUS sur notre nouveau site : CHRONIQUE DE PALESTINE

Israël cible les familles palestiniennes

vendredi 14 septembre 2007 - 04h:20

Ida Audeh - Countercurrents

Imprimer Imprimer la page

Bookmark and Share


La pratique israélienne de refuser des autorisations de regroupement familial et l’entrée dans le pays aux détenteurs de passeports étrangers (dont beaucoup sont d’origine palestinienne) fait partie d’une campagne visant à vider les territoires occupés (dont Jérusalem Est) des Palestiniens et à contrôler ceux qu’ils sont obligés de garder. La pratique vise les familles palestiniennes sous occupation : elle sépare les familles, dénie aux communautés palestiniennes l’accès à aux talents étrangers et expatriés, prive les territoires occupés gravement touchés économiquement de devises étrangères et isole encore un peu plus les Palestiniens sous occupation.

La campagne « Campaign for the Right of Entry/Re-Entry to the Palestinian Occupied Territories » (www.righttoenter.ps ) estime que plus de 150.000 demandes de regroupement familial ont été soumises aux autorités de l’occupation israélienne entre 1973 et 1982 mais seuls 1.000 permis ont été accordés chaque année. Entre 1983 et 2000, le nombre annuel de demandes acceptées a fluctué entre 1.000 et 3.000. Depuis la deuxième Intifada qui a commencé en septembre 2000, Israël n’a pas traité les demandes de réunification d’environ 120.000 familles.

Multipliez ce chiffre par 4 ou par 5 (une estimation modérée, la plupart des familles palestiniennes sont beaucoup plus importantes) et le nombre de personnes affectées par le refus israélien de donner des droits de résidence aux Palestiniens détendeurs de passeports étrangers, ce chiffre devient important. Appliqué aux habitants palestiniens de Jérusalem Est, la politique est clairement désignée à faire partir autant de Palestiniens autochtones que possible et ce, dans le but de maintenir une majorité juive dans la ville. Les citoyens arabes israéliens sont de la même manière visés par une législation qui viole leurs droits. En mai 2002, la Knesset israélienne a promulgué la décision gouvernementale #1813, qui gelait toutes les demandes de réunification des conjoints palestiniens de citoyens israéliens ou de résidents permanents. La loi de 2003 sur la Nationalité et l’Entrée en Israël (Ordre Temporaire 2003) dénie en réalité aux citoyens israéliens le droit d’épouser des Palestiniens et de vivre avec leurs conjoints en Israël.

Ces lois violent les Droits Humains et la Convention Internationale sur les Droits Civils et Politiques car ils violent le droit fondamental à la vie privée et à la vie de famille des citoyens palestiniens d’Israël sur la base de l’ethnicité de leurs conjoints.

Le déni de résidence légale signifie que les détendeurs de passeports étrangers doivent quitter le pays à l’expiration de leur visa puis entrer à nouveau dans l’espoir d’obtenir un autre visa touristique, de nouveau valable 3 mois. Ces visas ont été habituellement accordés, mais en mars 2006, les israéliens ont commencé à les supprimer. Des milliers de personnes dont les familles, commerces et emplois (bref, leurs vies) étaient concentrés dans les territoires occupés, ont été refoulés aux frontières.

Le résultat de cela ? Les familles vivent dans une incertitude chronique. Non seulement elles ne peuvent plus faire des projets sur le long terme, mais elles ne sont même plus sures qu’elles auront le droit de vivre ensemble pendant plus d’un mois (ou deux, mais pas plus de trois) à la fois.

Anita, une suissesse mariée à un résident palestinien, a quitté cet été les territoires occupés afin de rendre visite à sa mère âgée en Europe, mère qu’elle n’avait pas vue depuis des années. Elle est partie tout en sachant qu’elle risquait de ne pas pouvoir rejoindre son mari à son retour. Pourquoi une personne devrait-elle avoir à choisir entre rendre visite à un parent âgé ou vivre avec son conjoint dans leur propre maison ? Sam, un homme d’affaires américain a épousé une résidente de Cisjordanie où il vit depuis environ10 ans. Ses deux jeunes filles sont terrifiés qu’il risque de ne pas pouvoir y revenir chaque fois qu’il quitte la région (comme il est obligé de le faire périodiquement afin d’éviter d’être accusé de résidence illégale). Enaya, une grand’mère palestinienne détentrice d’un passeport américain, mariée à une résident palestinien, a vu son entrée refusée après avoir vécu avec son mari pendant 30 ans avec un visa de touriste qu’elle renouvelait chaque 3 mois. Après une séparation de 9 mois, elle a finalement obtenu le droit de revenir avec un visa de 3 mois. Mais même ceux qui arrivent à obtenir un visa ne sont pas surs qu’ils seront aussi chanceux la fois suivante.

A l’été 2006, mon mari et moi sommes arrivés par avion à l’aéroport Ben Gurion après avoir rendu visite à sa mère en Jordanie. A cette époque, nous vivions depuis 18 mois à Ramallah. A la présentation de nos passeports au guichet de contrôle, nous avons été emmenés à toute vitesse dans une section séparée derrière une cloison et loin des touristes qui arrivaient. Peu de temps après on a fait entrer mon mari pour l’interroger puis on nous a dit que nous devions retourner en Jordanie. L’officiel qui nous a dit cela, un Israélien avec un accent newyorkais, semblait un peu embarrassé. Il voyait bien par nos passeports que les racines de mon mari dans la région dataient d’avant l’établissement de l’état qu’il servait. J’aimerais penser qu’il avait l’élégance d’avoir honte du pouvoir qu’il avait, parce que juif, à refuser à un autre américain l’entrée dans son lieu de naissance géographique, même pour une visite, et d’être doublement honteux en sachant que si nous avions été juifs et non contaminés par la liaison palestinienne, nous aurions été accueilli avec enthousiasme indépendamment du nombre de fois nous où étions déjà venus avec des visas de touristes.

Mon argument disant que nous avions besoin de rentrer chez nous, même brièvement, afin de fermer notre appartement et trouver pour notre chat un nouveau foyer (j’ai mentionné mon chat plutôt que ma mère âgée, en raisonnant qu’un occidental serait sans doute plus facilement touché par un chat que par une mère palestinienne) n’a fait qu’empirer les choses ; En tant que touriste, m’a-t-on dit, il n’y avait aucune raison pour que j’aie une maison ou un chat.

Nous avons appris plus tard que l’ambassade américaine en Jordanie recevait 24 plaintes chaque jour de citoyens américains (la plupart, mais pas tous, d’origine palestinienne), citoyens qui avaient été refoulés du pont (Allenby) Les citoyens américains forment le groupe le plus important de détenteurs de passeports étrangers à qui Israël a refusé l’entrée, mais les autres citoyens étrangers ne sont pas non plus à l’abri. (Pour vous faire une idée du traitement vicieux que subissent beaucoup d’étrangers aux mains des autorités frontalières israéliennes, vous pouvez lire des cas (en anglais) sur : http://www.righttoenter.ps/Cases.php )

Moins de 3 mois plus tard, j’ai de nouveau essayé d’entrer dans les territoires en passant par le pont Allenby, accompagnée cette fois-ci par ma mère qui vit seule et qui a des problèmes de santé chronique qui sont tout à fait apparents même au premier regard. J’ai supposé qu’en la regardant simplement, tout officiel israélien rencontré, poussé par la loi humanitaire et par une petite décence humaine, me laisserait entrer dans le pays pour m’occuper d’elle. Je m’étais trompée. Une fois encore, on m’a répondu que je ne pouvais pas entrer dans les territoires. Pendant que j’attendais que mes documents me soient retournés, j’ai remarqué qu’une famille attendait également. L’homme était un résident palestinien mais pas sa femme ; leurs enfants étaient âgés d’environ 2 et 3 ans. Un officiel israélien s’est approché d’eux et je pouvais comprendre par la façon énergique avec laquelle l’homme parlait et par le silence accablé de sa femme, qu’elle aussi avait vu son entrée dans le pays refusée. Plutôt que séparer les enfants de leur mère, ils sont repartis tous les quatre en Jordanie.

Le refus d’entrée en territoire occupé par Israël et son refus d’accorder une résidence permanente aux conjoints de résidents palestiniens (Israël insiste que ce n’est pas une politique malgré le fait que depuis mars 2006 ils n’ont fait que de mettre ce refus en vigueur de plus en plus régulièrement) est une violation de la loi humanitaire internationale et de la Quatrième Convention de Genève de 1949 qu’Israël, en tant que puissance occupante, est obligée de respecter. Les états tiers ont l’obligation d’exiger qu’Israël respecte la loi puisque cela peut se faire facilement ; quand ces pays tiers ignorent les violations d’Israël, ils violent eux-mêmes leur propre obligation qui est de ne pas approuver des actes illégaux et délibérément nuisibles des autres états membres. (Quelqu’un devrait faire remarquer cela à nos ?courageux’ membres du Congrès).

Les institutions universitaires sont également touchées directement par cette politique. Un communiqué de presse de l’Université de Birzeit émis le 6 janvier 2006, note que 50% du personnel détenteur de passeports étrangers a dû partir ce qui a pour effet pour la plupart des départements touchés, d’abandonner des cours proposés ou de perdre des spécialistes qu’ils ne peuvent pas remplacer.

Un des départements risque de perdre jusqu’à 70% de son personnel. Les programmes tels que le programme culturel et de langue arabe ont été financés par les cours des étudiants étrangers et quand les étudiants étrangers n’ont plus le droit d’entrer dans la région pour étudier à l’université de Birzeit, la perte du financement signifie la perte des fonds d’urgence qui aidait l’université à couvrir ses dépenses. A cause du problème croissant des refus d’entrée, les candidatures pour le programme ont baissé de 50%.

Des courriels récents que j’ai reçus de la Campagne montrent que l’université continue à se battre avec ces restrictions israéliennes. Je pense aux personnes que je connais ou que j’ai rencontrées qui ont été refoulées aux frontières (dans la cinquantaine comme moi et Walid, le citoyen brésilien d’origine palestinienne dans les 70 ans qui vivait dans les territoires occupés depuis 10 ans et qui a été renvoyé en Jordanie dans le même bus que le mien, et d’autres avec des familles, des professeurs au lycée Quaker de Ramallah où j’ai fini mes études, le personnel de Birzeit...) et je sais que personne sain d’esprit ne peut croire que nous représentions une menace à la sécurité d’Israël. La seule explication à cette pratique incohérente qui est mise en ?uvre juste suffisamment pour déstabiliser les gens est que cela fait partie d’une stratégie israélienne permanente pour resserrer la corde autour du cou des Palestiniens.

Depuis Oslo, Israël a accéléré la mise en place de la politique qu’elle a suivi même avant la création de l’état d’Israël : saisir autant de terres que possible avec aussi peu de Palestiniens autochtones que possible. Pour établir un état juif dans un endroit du monde qui n’a plus de majorité juive depuis les temps bibliques, les milices sionistes ont effacé de la carte plus de 40 villes et villages palestiniens et ont transformé 700.000 Palestiniens en réfugiés.
Durant les 40 années depuis la guerre de 1967, Israël a installé illégalement dans les territoires occupés des colonisateurs israéliens dans des colonies réservés aux juifs, elle a établi plus de 400 check-points, elle a construit une monstrueuse barrière de séparation avec des routes pour les patrouilles et des tours de garde qui sépare hermétiquement les villes palestiniennes les unes des autres, elle est en train de construire un réseau de routes séparées afin de relier les colonies en Cisjordanie à Israël et ce, afin de s’assurer qu’elles n’entreront jamais en contact avec des Palestiniens (le même type de ségrégation qu’un activiste sud-africain anti-apartheid avait désigné comme « obscène » et dépassant tout ce qu’il avait pu connaître sous l’apartheid), et elle a scellé des districts géographiques pendant des mois sans fin, empêchant les déplacements de personnes et de marchandises avec un effet prévisible dévastateur sur l’économie palestinienne.

Un des problèmes les plus épineux pour Israël a toujours été la présence d’une population autochtone non juive (auquel on se réfère en des termes racistes comme étant un « problème démographique), habitants à l’intérieur des frontières (non déclarées) ainsi que dans les territoires qu’elle occupe. A travers une combinaison de lois et de politiques destinées à rendre les territoires occupés invivables, Israël a enfermé tous les grands centres de la population palestinienne dans des prisons à ciel ouvert et coupées les unes des autres.

Un cas pertinent (et malheureusement il y a en beaucoup d’autres) : Qalqilya, désignée à une époque comme étant le panier à pain de la Cisjordanie, est depuis 2003 totalement encerclée par un mur, avec un seul portail pour entrer sur la route menant à et partant de la ville.

Qalqilya avait une population de 43.000 habitants mais en 2006, plusieurs milliers d’habitants étaient déjà partis. Il est plus que probable qu’ils étaient partis chercher du travail : le mur a eu cet effet sur beaucoup de communautés. Mais qui peut mesurer la pression psychologique que l’on subit en vivant dans une ville où un mur de béton monstrueux plus haut que l’ancien mur de Berlin, bloque la vue sur le soleil couchant ?

A la fin, la politique d’Israël échouera. Un état qui se défini étroitement en termes de religion à laquelle n’adhère qu’une minorité de ses habitants (et dans un futur pas si lointain, les juifs seront une minorité dans la Palestine mandatée) ne peut pas contrôler indéfiniment une population majoritaire ni étouffer ses demandes pour une vie digne avec des droits politiques, civils et humains. Il ne peut pas non plus espérer survivre dans la région tant que sa politique restera expansionniste et basée sur l’exclusion. Mais tant que la communauté internationale n’exigera pas qu’Israël respecte la loi internationale et qu’elle abandonne sa politique cruelle, Israël continuera à cibler les familles palestiniennes, une forme silencieuse de nettoyage ethnique moins dramatique que les autres formes qu’elle a mis en place depuis le début mais tout aussi mortelle pour la vie nationale palestinienne.

* Ida Audeh est une Palestinienne qui a grandi en Cisjordanie et qui travaille actuellement en tant qu’éditrice technique à Boulder. CO. Elle est l’auteur d’une série en 4 parties : « Vivre dans l’Ombre du Mur », publiée le 16 novembre 2003 sur ?Electronic Intifada’, « Cueillir les Olives et Enlever les Barrages de Routes comme Acte de Résistance » : une interview avec Ghassan Andoni, CounterPunch, 28 octobre 2002 ; « Histoires de Siège : témoignages de Jénine, Bethlehem et Naplouse » Journal of Palestine Studies, No 124 (Eté 2002).

De la même auteure :

- Déportés hors de notre propre terre

11 septembre 2007 - Countercurrents.org - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.countercurrents.org/aude...
Traduction : Ana Cléja


Les articles publiés ne reflètent pas obligatoirement les opinions du groupe de publication, qui dénie toute responsabilité dans leurs contenus, lesquels n'engagent que leurs auteurs ou leurs traducteurs. Nous sommes attentifs à toute proposition d'ajouts ou de corrections.
Le contenu de ce site peut être librement diffusé aux seules conditions suivantes, impératives : mentionner clairement l'origine des articles, le nom du site www.info-palestine.net, ainsi que celui des traducteurs.