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Déportés hors de notre propre terre

vendredi 8 décembre 2006 - 15h:37

Ida Audeh

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" Nous avions quitté la Cisjordanie quelques jours plus tôt, notre visa d’un mois arrivant à expiration. Depuis que nous vivions à Ramallah, en janvier 2005, nous sortions des Territoires occupés juste avant l’expiration de nos visas et nous revenions pour obtenir un nouveau visa à la frontière."

Dans la nuit de dimanche, 30 juillet, mon mari et moi sommes devenus des déportés.

Après la victoire du Hamas au Conseil législatif palestinien, nous avions entendu parler de titulaires de passeports US qui se voyaient refuser le droit de revenir après être sortis aux fins de renouveler leur visa. Nous étions donc nerveux en partant mais nous pensions pouvoir revenir, ne serait-ce qu’avec un visa d’un mois.

Nous sommes arrivés à Tel Aviv et nous nous tenons au guichet du contrôle des passeports ; la femme dans sa cabine a rapidement fait appel à des renforts. Ce n’était pas complètement inattendu : toutes les fois que nous avons présenté nos passeports à l’aéroport ou au Pont, les Israéliens ont examiné attentivement le passeport de Walid dès qu’ils voyaient que son lieu de naissance était la Palestine, commençant alors à s’exciter, comme si rien ne pouvait avoir existé avant leur Etat idiot. On nous a conduits dans un coin éloigné du vaste hall, un peu à l’abri des regards. Là, nous avons retrouvé quelques autres personnes qui paraissaient être des Palestiniens et un couple d’Ethiopiens qui avait l’air fatigué, la femme tenait un enfant endormi. Nous nous sommes assis et avons attendu.
Walid, seul, a été appelé et s’est absenté un long moment. Je me suis finalement levée et j’ai commencé à écouter derrière la porte, et c’est alors que j’ai réalisé que nous avions un problème.

Walid et le fonctionnaire israélien sont sortis de la pièce. Assommé, Walid me dit que finalement nous n’étions pas autorisés à rentrer ; il a essayé d’expliquer que dans trois mois, nous comptions quitter la région pour de bon et que nous ne chercherions plus alors à revenir, et comme ça ne marchait pas, il a alors essayé d’obtenir un visa d’une semaine qui nous aurait permis au moins de récupérer des affaires et de prendre nos dispositions. Le fonctionnaire a répondu que bien qu’en désaccord avec cette politique, il ne pouvait pas nous satisfaire. Walid lui a proposé de faire preuve de discrétion, mais l’autre répondait qu’il ne savait pas être discret. J’ai commencé à discuter avec lui, lui disant qu’il nous fallait boucler l’appartement et récupérer notre chat. (En me préparant sans trop le craindre au pire scénario pour le voyage, j’avais pensé que déclarer à un Israélien que j’avais besoin de m’occuper de ma vieille mère avait peu de chance de l’émouvoir, mais que lui parler d’un chat qu’il fallait placer dans un foyer pourrait bien toucher la corde sensible. J’avais raisonné comme beaucoup d’occidentaux, les Israéliens s’émouvraient de la détresse d’un chat sans foyer plus facilement que de celle d’une vieille mère de 72 ans laissée brusquement à elle-même.)

Ma tactique s’est retournée contre moi. Le fonctionnaire israélien m’a rétorqué qu’en tant que touriste, je n’avais pas à posséder un appartement, ni un chat. Discuter devenait inutile. Là où nous étions, il y avait trois Américains - à la façon dont il parlait on suppose que notre Israélien avait les deux nationalités - l’un d’eux était sans doute né à Brooklyn mais en raison de sa religion il se sentait le droit de dire aux deux autres qu’ils devaient partir, et à Walid qu’il n’avait pas le droit de rester là où il était né, à moi que je ne pouvais pas me rendre dans ma ville natale où j’avais toutes mes racines.

J’ai été autorisée à téléphoner et ainsi j’ai pu appeler l’ambassade américaine. L’homme que j’ai eu s’est proposé d’appeler un contact au ministère de l’Intérieur, tout en admettant que cela ne changerait probablement rien. Il m’a lu une certaine loi israélienne qui ne concernait pas notre situation. Il m’a rappelée comme promis pour me dire que son contact ne pouvait rien faire et que je devais appeler l’ambassade en Jordanie et le consulat à Jérusalem-Est, où on traitait des cas comme le mien.

Nous somme retournés attendre au même endroit et nous avons été rejoints par un autre Palestinien qui se faisait expulser et par un garde, bavard, Uzi Tal. C’était le garde qui nous avait expliqué que nous allions être déportés - jusqu’à ce moment, le mot « déporté » n’avait pas été prononcé. Uzi prit sur lui de nous apprendre que nous ne pourrions pas revenir avant 5 ou 10 ans. Ma tête s’est vidée d’un coup.

J’ai appelé ma mère pour l’informer de ce qui nous arrivait, sa voix était à peine audible. Elle était au moins aussi déçue que nous.

Le vol pour la Jordanie décollait juste après minuit et était pratiquement plein, principalement de jeunes Israéliens qui paraissaient être des touristes. Ce dimanche était le jour où le gouvernement israélien perpétrait le massacre à Cana au Liban, mais ici, ces Israéliens avaient envie de s’amuser, voyageaient dans un pays arabe sans se soucier apparemment de ce qui se passait dans le monde, et certainement, sans le moindre sentiment national de culpabilité pour les dégâts catastrophiques qu’ils causaient au Liban, ni la saignée continuelle dans la Bande de Gaza.

Walid et moi sommes arrivés à Amman trop hébétés pour parler. Nous avons pris un hôtel et nous nous sommes endormis à 3 h du matin. Quelques heures plus tard, en me réveillant, ma première pensée fut : nous sommes sur le pavé. Ma belle-mère nous recueillera, bien sûr, mais pour la première fois de ma vie, je réfléchissais à ce que serait l’avenir, où il faudra aller la prochaine fois, et je n’en savais rien. Je n’avais aucune indication.

Presque 6 semaines ont passé depuis cette nuit exécrable. Le jour qui a suivi notre déportation, ma mère s’est mise en tête de restaurer une de mes vieilles cartes d’identité, périmée depuis les années 1980, et chaque jour, elle me promet qu’elle sera bientôt prête. Nous attendons. Chaque matin, j’ai comme une légère prémonition, espérant que ce sera le jour où notre chance tournera. Et chaque jour, je suis déçue. Les après-midi et les soirées, arrive la déprime ; je me sens prise au piège et complètement impuissante, à la merci d’Israéliens anonymes et indifférents (et peut-être d’intermédiaires palestiniens) qui décident de mon sort. Peut-être que le mot décider est trop fort, sans doute laissent-ils glisser, tout simplement. Depuis tout ce temps où je suis dans l’incertitude, je n’ai pas beaucoup d’énergie. Je vis mais sans bien savoir où je vais ni pourquoi. J’attends.

Nous vivons avec l’espoir que pour mon retour, ce n’est juste qu’une question de temps. Plus tard, pensons-nous, les Israéliens vont bien céder et me donner ma hawiya (carte d’identité) et avec ça en main, obtenir un passeport palestinien, ça devrait être du gâteau. Et alors, j’engagerai une action pour que mon mari me rejoigne. Tous les deux, avec force, nous sentons que je dois retourner en Palestine à la première occasion qui se présentera, ne serait-ce que pour exercer mon droit au retour et mon droit à être chez moi, au moment de mon choix, pas selon la volonté d’une quelconque politique israélienne conçue pour contrôler les populations indigènes et les punir d’avoir élu le Hamas. Mais nous avons conscience aussi que les chances de Walid de rentrer dans un avenir bref, sont moins de 50/50, et qu’il y a une bonne chance pour que nous soyons séparés. Nous n’avons pas encore pu penser clairement à la façon de gérer tout cela.


Ida Audeh est Palestinienne, elle travaille comme rédactrice en chef pour une Compagnie Nord-américaine ; elle a vécu avec son époux à Ramallah jusqu’à ce que les Israéliens, en juillet, décident que c’était inacceptable.

Amman, Jordanie - Live from Palestine 10 septembre 2006 -
http://electronicintifada.net/v2/ar...
Trad. : JPP


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