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Le rêve israélien des réfugiés du Darfour

dimanche 5 août 2007 - 11h:00

Benjamin Barthe - Le Monde

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Les Israéliens l’appellent Ketziot et les Palestiniens Ansar. Les Soudanais qui y sont détenus depuis dix jours lui trouveront-ils un autre nom ? Ils sont 239 hommes, femmes et enfants à végéter dans cette prison du désert du Néguev, à l’intérieur de caravanes climatisées ceinturées de miradors et de barbelés. Après avoir fui les massacres du Darfour, ils ont d’abord trouvé refuge au Caire avant de s’infiltrer en Israël avec l’aide de passeurs bédouins.

Arrêtés par les soldats israéliens qui patrouillent le long de la frontière, ils attendent désormais dans la fournaise de Ketziot que le gouvernement d’Ehoud Olmert décide de leur sort. "C’est la première fois de notre histoire que l’Etat emprisonne des enfants qui n’ont commis aucun crime, tempête Sigal Rozen, membre de Hotline for Migrant Workers, une organisation de défense des droits des immigrés en Israël. Le gouvernement est tellement avide de décourager les Soudanais de se rendre en Israël qu’il bafoue les droits de l’homme les plus élémentaires."

Sur les 2 500 clandestins d’origine africaine qui se trouvent actuellement en Israël, 1 300 sont des Soudanais arrivés pour la plupart ces trois derniers mois, avec un tiers de natifs du Darfour. Renvoi en Egypte, octroi de l’asile dans un pays tiers ou bien intégration en Israël : depuis le mois d’avril, le premier ministre israélien tergiverse, tandis que les Soudanais courent le pays à la recherche d’un toit et d’un travail.

Cette situation chaotique est dénoncée par un nombre croissant de citoyens, indignés du fait que l’Etat juif n’ait pas immédiatement tendu la main aux rescapés de ce qu’ils considèrent comme un "génocide". "Cet afflux est d’une ampleur inédite, c’est pourquoi nous avons mis du temps à réagir, explique Miri Eisin, la porte-parole de M. Olmert. Mais, désormais, notre position est claire. Les Soudanais du Darfour devraient être autorisés à rester en Israël. Ceux qui viennent d’autres régions et à qui le HCR (Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés) ne reconnaît pas le droit d’asile seront expulsés vers l’Egypte. Ehoud Olmert a obtenu du président égyptien Hosni Moubarak l’assurance qu’ils y seront bien traités."

Ce traitement à deux vitesses inquiète le collectif israélien pour le Darfour (israel-for-darfur. org). "En 2004, deux Soudanais avaient été renvoyés en Egypte, puis dans leur pays d’origine où ils avaient été tués, en dépit des garanties données par Le Caire, raconte Eytan Schwartz, l’un de ses responsables du collectif. Pourquoi devrait-on croire aujourd’hui le président Moubarak alors qu’au même moment les autorités de Khartoum promettent l’enfer à tous les réfugiés qui remettront le pied dans leur pays d’origine ?"

La méfiance des militants à l’égard des autorités égyptiennes est alimentée par les bavures à répétition qui ensanglantent la frontière du Sinaï. Selon la chaîne 10 israélienne, trois Soudanais qui tentaient, mercredi 1er août, de s’infiltrer en Israël ont été tabassés à mort par des soldats égyptiens, sous les yeux de leurs homologues israéliens postés juste en face.

Paradoxalement, le subit afflux de réfugiés en Israël trouve son origine dans un évènement similaire. Le 30 décembre 2005, la police égyptienne charge une manifestation de Soudanais devant les bâtiments du HCR, au centre du Caire. Au moins 26 manifestants sont tués dans la mêlée qui s’ensuit. Pour les réfugiés, déjà en butte à de multiples vexations, la ligne rouge est franchie. D’autant que les blessés colportent des récits - invérifiés - de trafic d’organes à l’hôpital.

Ceux qui le peuvent monnayent leur passage en Israël. Une équipée de plusieurs jours dans la caillasse du Sinaï qui se conclut derrière les barreaux de l’Etat juif. "Parce que la loi israélienne les désigne comme ressortissant d’un pays "ennemi", les Soudanais peuvent être incarcérés indéfiniment, à l’inverse des réfugiés d’autres pays africains non arabes, qui sont remis en liberté dès que débute l’instruction de leur dossier", explique Sigal Rozen. Fin 2006, au prix d’une longue bataille devant la Cour suprême, l’association obtient que certains détenus soient relâchés et assignés à résidence dans des kibboutz.

Au printemps 2007, nouveau rebondissement. La nouvelle que des centaines de Soudanais ont été embauchés dans les hôtels de la station balnéaire d’Eilat, sur la mer Rouge, se répand jusqu’au Caire et les familles restées là-bas accourent aussitôt. "En l’espace de deux mois - mai et juin -, près de 550 réfugiés ont pénétré en Israël. Du jamais vu", dit Mikki Bavli, directeur du HCR en Israël. Dépassée par les événements, l’armée déverse sans prévenir des bus entiers de réfugiés sur la grand-place de Beersheva, la capitale du Néguev. Abandonnés à eux-mêmes, les nouveaux venus errent en pleine nuit dans les rues de la ville avant que la municipalité ne se décide à les entasser dans des hôtels de fortune. "C’était un chaos incroyable, soupire Elisheva Milikovski, une étudiante impliquée dans les réseaux d’aide qui se sont spontanément formés. Certains ont même dormi dans la permanence du Parti travailliste, sous le portrait d’Itzhak Rabin." Exaspéré par l’apathie du gouvernement, le maire choisit début juillet de transférer à Jérusalem ses encombrants hôtes, qui improvisent alors un campement de protestation dans un parc devant la Knesset.

A l’annonce de ce débarquement impromptu, Yonatan Glaser, un éducateur social, se rend sur place avec de la nourriture destinée aux familles. Eparpillés sur le gazon, avec quelques tentes en guise de toits, les réfugiés évoquent avec angoisse la perspective d’être bouclés à Ketziot. "Il y a un génocide à quelques centaines de kilomètres de nos frontières et la seule réaction de notre gouvernement, c’est d’ouvrir un camp de rétention, fulmine Yonatan, 45 ans. En Israël, l’Holocauste alimente en permanence de belles déclarations sur le mode du "plus jamais ça", mais ce ne sont que des mots. Nos dirigeants, qui ont été formés à l’école de Thatcher et Reagan, sont systématiquement absents des situations de crise, comme l’été dernier durant la guerre du Liban." Spontanément, ce petit-fils d’Autrichiens qui ont échappé aux camps de la mort par l’intervention d’improbables bienfaiteurs se porte volontaire pour héberger un couple de Soudanais et leurs quatre enfants.

L’homme, qui dit s’appeler Ismaïl, a fui le Soudan en 2002. Son père est mort, brûlé vif, dans l’attaque de son village par un groupe de janjawids, les cavaliers qui sèment la terreur au Darfour. Sa fille a guéri par miracle d’une balle en plein front. Réfugié pendant cinq ans au Caire, il n’a cessé d’être harcelé par la police et n’a jamais pu y travailler. Dans le foyer des Glaser, la famille retrouve un début de sérénité. Après une semaine, Ismaïl, qui parle anglais, décroche un emploi dans un restaurant à Tel-Aviv. Sa femme et ses enfants viennent de l’y rejoindre dans un modeste appartement en location. Ils débutent une nouvelle vie dans l’espoir que le gouvernement israélien n’y mettra pas un terme brutal.

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Benjamin Barthe, correspondant à Jérusalem - Le Monde, le 4 août 2007


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