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“Nous sommes toujours en 1967”

dimanche 3 juin 2007 - 07h:02

Tom Segev - Le Courrier international

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L’historien israélien, auteur d’un ouvrage majeur sur la guerre des Six-Jours*, explique pourquoi la paix n’est pas pour demain.

En étudiant les archives, avez-vous fait des découvertes d’importance sur cette période clé ?

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Tom Segev

Mon ouvrage se fonde sur des documents jusqu’alors inaccessibles, comptes rendus de rencontres ministérielles, mémos internes, etc. Autant de sources qui, pour la plupart, ne sont toujours pas disponibles dans les archives officielles - et ce bien qu’Israël ait une politique assez ouverte en matière d’archives. Il arrive que des responsables israéliens emportent chez eux des documents secrets et ne les restituent jamais. La qualité d’un historien israélien se mesure donc souvent à sa capacité à retrouver les veuves de ces acteurs politiques ! J’ai eu moi-même de la chance à cet égard, car beaucoup d’informations que vous pouvez lire dans cet ouvrage n’ont jamais été publiées. Je me suis également adressé à des Israéliens expatriés depuis de nombreuses années, pour la plupart aux Etats-Unis, et leur ai demandé de chercher les lettres qu’ils avaient reçues de leurs amis et de leurs proches qui se sont installés en Israël en 1967-1968. J’ai réussi à en rassembler près de 500, et ce sont des sources fondamentales.

Vous insistez sur la responsabilité des travaillistes dans la colonisation, puis dans l’essor de l’extrême droite religieuse. L’arrivée d’un personnage comme le rabbin Levinger [extrême droite religieuse] étonne dans l’Israël de la fin des années 1960...

C’est vrai. C’est comme si 1967 marquait la fin du sionisme travailliste et l’avènement d’une nouvelle ère nationale et religieuse. La décennie qui suit, jusqu’à l’arrivée de Begin au poste de Premier ministre, en 1977, guerre du Kippour comprise, fut une ère de déclin pour le mouvement travailliste.

Quelle conséquence eut la guerre des Six-Jours dans la société israélienne ?

La guerre a marqué la victoire des sabras [Juifs nés en Israël] sur les “vieux juifs” [rescapés de l’Holocauste] - celle de Yitzhak Rabin sur Levi Eshkol, si vous voulez. Mais la guerre a aussi sonné la fin de la fracture générationnelle : pour un temps, du moins, tout le monde a ressenti une sorte d’unité israélo-juive. C’est le sens de l’image de ces soldats nés en Israël pleurant devant le mur des Lamentations.

Dans quelle mesure le conflit de 1967 a-t-il contribué à l’affirmation progressive des mizrahim [Juifs orientaux] dans la société israélienne ?

Il faut souligner avant tout que les améliorations économiques qui suivirent la guerre ont bénéficié aux mizrahim. De plus, l’ajout de population palestinienne les a fait progresser dans la hiérarchie sociale : avec les Palestiniens, ils n’étaient plus à l’échelon le plus bas de la société. Leur héros politique, Begin, avait intégré le gouvernement, et c’était en quelque sorte leur victoire. Beaucoup de Juifs orientaux se sont identifiés au nouveau patriotisme religieux et ainsi, pour la première fois, ont eu le sentiment de faire partie intégrante de la vie nationale israélienne.

Certains observateurs estimaient que les Six-Jours avaient eu une conséquence positive : celle de forcer Israéliens et Palestiniens à se regarder et à préparer la reconnaissance mutuelle officielle de 1993.
C’est une idée qui pouvait être valable en 1993. Malheureusement, depuis 1967, nous n’avons pas progressé d’un pouce vers la paix avec les Palestiniens. Nous n’avons absolument rien gagné à occuper la Cisjordanie et Gaza. A mon avis, nous sommes toujours en 1967 : même problème, mêmes débats. C’est pourquoi je considère 1967 comme “l’année la plus longue” de notre histoire. J’appartiens à une génération qui croyait à la paix. Rétrospectivement, je trouve que nous (dans ce “nous”, j’inclus le mouvement pacifiste) ne méritons pas tellement d’éloges. La différence entre nous et la nouvelle génération d’Israéliens, c’est que les jeunes ne croient plus à la paix. C’est une génération plus pragmatique et moins idéaliste, qui croit en la gestion du conflit - tout comme moi d’ailleurs. La paix n’est sans doute pas un objectif accessible dans un futur raisonnable, mais peut-être la prochaine génération saura-t-elle rendre la vie plus supportable.

La société israélienne est-elle prête à une large évacuation de la Cisjordanie ?

Non, je ne le pense pas.


* 1967, six jours qui ont changé le monde, Denoël, 2007.



Du même auteur :

Il redevient lui-même

Lire aussi :

- Israël ne veut pas la paix
- Quarante ans d’ambiguïté

Tom Segev - Le Courrier international, le 31 mai 2007


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