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S. Abulhawa : L’imagination n’a pas de substitut : réflexions au PalFest à Gaza

lundi 10 juin 2013 - 06h:32

Susan Abulhawa – E.I

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Le Festival de la Littérature de la Palestine, affectueusement appelé PalFest, est une sorte de miracle. Cela ne devrait pas surprendre, parce que la Palestine a toujours été une terre de miracles. Dans ces moments que nous vivons, je crois que nous ferions bien de nous en souvenir.

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Bien que Gaza ne soit qu’à une heure de voiture de Jérusalem, ces deux villes antiques sont aussi éloignées que le sont la Terre et la Lune.
(Ryan Rodrick Beiler)



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PalFest 2009

J’ai eu la chance de participer au PalFest de cette année, et je suis rentrée après six jours incroyables, ayant vécu, pensé et ressenti autant dans un laps de temps si court. Même si j’ai blogué chaque jour de ce voyage, il y a tellement plus à dévoiler que cela pourrait devenir décousu.

J’étais dans la partie Gaza du PalFest. Il ne pouvait pas en être autrement – de la séparation, je veux dire – parce que même si Gaza n’est qu’à une heure de voiture de Jérusalem, ces deux villes antiques sont aussi éloignées que le sont la Terre et la Lune.

Tel est l’épouvantable génie d’Israël. Cette façon de coloniser la terre, séparer les Palestiniens les uns des autres, et de nous entasser à l’intérieur de cantons isolés pour ériger entre nous nos propres barrières psychologiques.

Telle est l’espérance d’Israël, détruire une identité palestinienne.

Jusqu’à l’établissement d’Israël il y a à peine six décennies, les routes étaient façonnées sur des milliers d’années par des voyageurs qui se déplaçaient entre Damas, Beyrouth, Jérusalem, Haifa, Bagdad, Gaza, Le Caire, Marrakech, Alger, Addis-Abeba. Aujourd’hui, sous la domination israélienne, et pour la première fois dans l’histoire de cette région, les gens originaires de Cisjordanie, incluant Jérusalem, et de Gaza ont l’interdiction de quitter l’enclave désignée sur leur carte d’identité et par la couleur codée de leur plaque d’immatriculation.

Draconien

Pendant ce temps, les chrétiens et les musulmans palestiniens natifs de Cisjordanie et de Gaza sont interdits d’accès à leurs lieux saints dans Jérusalem. Tel a été le « processus de paix » d’Israël.

Les restrictions draconiennes d’Israël aux mouvements des Palestiniens signifient qu’un festival de littérature traditionnelle, où les consommateurs de culture affluent vers un lieu centralisé, devient impossible, étant donné que la plupart des natifs de la région ne peuvent parcourir plus de quelques miles sans se heurter à une série de mesures israéliennes destinées à ghettoïser les Palestiniens, notamment un mur de béton de vingt pieds, des checkpoints, des colonies pour juifs seulement, des routes pour Israéliens seulement, des clôtures électriques, des chars d’assaut, des miradors avec des snippers, des soldats, ou des colons juifs de Brooklyn armés jusqu’aux dents.

Ainsi, au lieu d’un endroit unique où la plupart des Palestiniens intéressés pourraient aller pour participer, c’est le PalFefst qui va vers les Palestiniens. Il s’agit d’un festival littéraire de haut niveau qui attire des écrivains et des penseurs du monde entier, les met dans un autocar qui va les déplacer d’une ville palestinienne à l’autre, brisant un système pour un isolement et une ignorance imposées, parrainé par l’État. Avec aplomb, par son style, la littérature, la chanson, la poésie, l’amour et le défi, PalFest fraye de nouveaux chemins à travers le pays, où nous pouvons tous, une fois encore, aller les uns vers les autres, comme nous l’avions toujours fait, même si maintenant, ce n’est que dans notre imagination et dans nos cœurs.

L’avenir de la lutte

Et ce n’est pas peu de chose. Pas une petite chose du tout. Parce que c’est dans l’imagination et le cœur que les choses commencent, notamment la libération. C’est un point sur lequel j’ai essayé de mettre l’accent lorsque j’étais à Gaza. Il nous faut imaginer la libération alors que nous combattons pour elle. Bien que cela semble évident, je trouve que c’est plus difficile qu’il n’y paraît.

Il y a eu un soir où 25 à 30 jeunes militants, de diverses tendances politiques et idéologiques – Fatah, Hamas, Front populaire, islamistes, marxistes, indépendants – s’étaient rassemblées pour débattre de leurs divergences et de l’avenir de notre lutte dans Gaza. Ce fut un échange profondément intelligent, fervent et régulier.

J’avoue avoir été un peu surprise, pas parce que nous étions à Gaza où les divergences politiques peuvent avoir des conséquences difficiles, mais parce que les idées et les analyses bien forgées que j’ai entendu si éloquemment exprimer l’étaient de participants qui avaient la moitié de mon âge. C’était impressionnant à observer.

Il y a eu un moment, cependant, où l’idée d’une structure unificatrice a surgi dans la conversation. C’était hypothétique. Mais je leur ai demandé de l’imaginer et de me dire quelles seraient son attitude et ses positions – quelles seraient sa finalité et sa stratégie ; ce que serait la libération à travers une telle optique.

Quelqu’un a dit qu’il était vain d’imaginer ce qui avait peu de chance d’arriver, et que nous devions revenir aux débats sur les questions à trancher. Même dans ce groupe de personnes à l’esprit ouvert, il était difficile d’imaginer ce qui n’était pas probable en l’instant.

Audace

Je ne l’ai pas dit alors, mais je le dis maintenant, que quelqu’un en Égypte a eu l’audace d’imaginer que le peuple dans la rue renverserait son pharaon. Quelqu’un en Afrique du Sud a dû imaginer d’abord que 400 ans de suprématie blanche se désintégreraient et que le racisme officiel de l’apartheid tomberait à genoux.

Plus près de nous, un groupe d’hommes européens a jadis imaginé qu’il pourrait lancer un mouvement qui pourrait s’offrir un pays entier, déplacer une population indigène antique entière, prendre sa place et revendiquer tout ce que les Palestiniens avaient construit au cours des millénaires, comme étant l’histoire juive de ces étrangers qui arrivent quotidiennement sur les rives de Palestine.

L’engagement, l’intelligence, la compréhension, la résistance, les armes, la lutte ne sont pas des substituts à l’imagination, laquelle est finalement le principal, si non le seul, facteur limitatif dans tout projet.

Il y a eu quelques nouvelles prises de conscience dans ces discussions, parce que l’imagination parfois repousse et démonte des limites que nous n’avions même cru avoir atteintes. Un exemple en est venu dans le débat sur les liens étroits importants avec nos « alliés naturels » d’Afrique et d’Amérique du Sud. Ceci s’est avéré un sujet important permanent durant mon voyage.

Les Israéliens doivent s’excuser

En substance, l’idée était que nous examinions ce qui semble être un discours eurocentrique avec les autres, même si une solidarité sincère nous arrive des autres parties du monde. Une autre facette de cette discussion a été pour une solidarité réciproque avec les luttes de même nature dans le monde, parce que nous renforçons nos pouvoirs quand nous renforçons ceux des autres, et parce qu’il y une sorte de libération qui peut venir seulement en jouant un rôle dans la libération des autres.

Il a été question, aussi, de posséder notre propre récit et de le reprendre à ceux qui se permettent d’en parler à notre place et en notre nom. Certains sujets, comme la Nakba, sont les nôtres pour débattre, argumenter et aborder nos désaccords, pleurer, éprouver et raconter. Les récentes retombées de la partie d’Al Jazeera Stream sur la Nakba en est un exemple que j’ai cité, où notre blessure la plus profonde a été faite de la compétence des Israéliens sur le jour où nous nous rassemblons tous pour pleurer et nous souvenir.

J’ai suggéré que nous ne devions pas créer des rapprochements avec tout Israélien qui refuse de reconnaître, et de s’en excuser, la réalité la plus fondamentale de l’existence d’Israël, à savoir qu’il s’est nécessairement créé sur notre disparition.

Hospitalité épique

Les débats à PalFest n’avaient pas de fin, couvrant l’existentiel, le personnel, le politique, le social et l’économique. Toujours, ils se sont tenus dans le cadre d’une hospitalité arabe épique, où les mères se sont disputées pour cuisiner des plats pour des dizaines d’étrangers et où des familles, partout, nous ont accueillis avec une chaleur si humble et si belle.

Bien que les sujets dont je parle ici, dont la plupart ont été débattus dans des ateliers et des conférences auxquels j’ai participé, puissent sembler disparates, ils n’en sont pas moins, en réalité, reliés par un point commun, celui d’une autonomisation, de nature organique provenant d’une introspection et d’un réexamen de nos réalités. Une autonomisation qui est venue d’imaginer ce qui ne semble pas immédiatement possible ; de revendiquer et de posséder notre propre récit et de refuser d’œuvrer avec ceux qui ne peuvent pas reconnaître notre humanité ; de former et de renforcer les liens avec nos frères et sœurs à travers le monde, qui sont eux-mêmes victimes du vol, du racisme et de l’exploitation colonialistes.

Gaza elle-même est une métaphore pour une telle autonomisation. Dans ce bout terre, violée, polluée, surpeuplée, où les enfants s’endorment trop souvent avec une berceuse de bombes, de vitres brisées, d’immeubles s’écroulant, de sirènes, de cris et de coups de feu, j’ai découvert une Gaza qui s’oriente vers des mesures extraordinaires pour passer des livres en contrebande, une Gaza est demanderesse de culture, de connaissances et de croissance spirituelle.

C’était une Gaza de militants de factions combattantes qui se réunissent ensemble autour d’un thé et d’un café et en fraternité ; d’hommes forts qui s’attaquent au patriarcat ; et d’un flot sans fin de jeunes bénévoles qui passent leurs jours dans des centres pour enfants pour aider à alléger le fardeau dans les secteurs les plus vulnérables de leur société.

C’était une Gaza de couples jeunes, si manifestement épris, marchant ensemble sur la plage, planifiant leurs mariage et rêvant d’une famille.

C’était une Gaza de rires et de blagues stupides, et d’une normalité banale dans les circonstances les plus anormales d’un mini-État prison.

C’était une Gaza de défi, et un réseau souterrain d’artères, cependant problématique, qui contournent les tentatives d’un oppresseur pour imposer des restrictions caloriques massives.

J’ai écrit sur Gaza sur mon blog, un soir, après une belle soirée sur la plage avec de nouveaux amis, où nous pouvions voir, sans jamais les atteindre, les contours de Majdal, une ville palestinienne qu’Israël nous a volée. C’était génial pour nourrir l’imagination, pour que je puisse voir clairement la Palestine qui prospèrera un jour quand le sionisme s’effondrera, comme il va sûrement le faire un jour.

L’histoire le promet. C’était une Palestine pareille à elle-même – une nation inclusive de nombreuses religions et ethnies. Un peuple fier de traditions antiques et modernes. Un peuple de culture et d’institutions fiables. Qui s’étend sur le monde avec une solidarité délibérée et fondée.

C’est le monde que j’imagine. Je l’ai vu clairement, assise sur le sable le long de la Méditerranée durant le PalFest, ce miracle d’un festival qui supprime avec tant d’élégance les barrières qu’Israël érige pour séparer les Palestiniens les uns des autres et du reste du monde.



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Susan Abulhawa est l’auteur de "Les Matins de Jénine" (éditions Buchet-Chastel, 2008) et la fondatrice de "Playgrounds for Palestine".

De Susan Abulhawa :

- Solidarité et Réalpolitique : Ma réponse à Jeff Halper - The Palestine Chronicle
- Les larmes de Gaza - The Dissident Voice
- Le nouvel antisémitisme ? Je ne crois pas ! - Uruknet
- Palestine/Israël : Un Etat unique, avec liberté et justice pour tous - avec Ramzy Baroud
- Israël a-t-il réellement le droit d’exister ? - The Palestine Chronicle
- Le vice-président d’Obama, un bon choix pour Israël ? - Washington Times
- Le Salon du livre efface l’histoire palestinienne - Libération

7 juin 2013 - The Electronic Intifada - traduction : Info-Palestine/JPP


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