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Des jeunes reviennent dans le village palestinien volé à leurs familles

mercredi 10 avril 2013 - 06h:58

Jillian Kestler-D’Armours - The Electronic Intifada

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« Ils n’ont pas juste détruit nos maisons ici, mais aussi notre culture. Ils ont détruit les gens eux-mêmes. Revenir sur notre terre, c’est comme revenir à notre identité ».

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Amir Ashkar, deuxième à gauche, et Walaa Sbait, deuxième à droite, sont parmi les deux douzaines de jeunes palestiniens qui sont retournés à Iqrit.
(Photo Jillian Kestler-D’Armours – The EI)




Un chemin de terre escarpé et rocailleux monte au village d’Iqrit. Surplombant les collines vallonnées du nord de la Galilée et du Liban, Iqrit est exceptionnellement actif ces jours-ci, alors que deux douzaines de jeunes Palestiniens sont récemment revenus au village que leurs familles ont été forcées de fuir en 1948.

« C’est une priorité pour moi d’être à Iqrit. Depuis que j’ai cinq ans, j’entends, "Iqrit, Iqrit, Iqrit". C’était devenu une partie de moi-même » explique Amir Ashkar, 18 ans, assis près d’un poêle à bois, dans la petite salle où le groupe, des jeunes hommes pour la plupart, cuisine et dort.

« Une injustice a été commise contre moi et je considère que j’agis contre l’injustice », ajoute Ashkar. Iqrit est un village chrétien palestinien situé au sommet d’une colline en Galilée, à quelque 25 kilomètres au nord d’Acre, dans ce qui est aujourd’hui Israël. Le village a été nettoyé ethniquement en 1948, peu après la création de l’État israélien, et ses habitants n’ont jamais été autorisés à revenir dans leurs maisons.

Du village d’origine, il ne reste aujourd’hui que le cimetière et l’église, tandis que les pierres avec lesquelles les maisons ont été construites autrefois sont éparpillées parmi les hautes herbes.

En août dernier, un groupe de jeunes Palestiniens de la troisième génération, déplacés internes, est revenu à Iqrit. Vivant dans deux petites pièces, bâties en un prolongement de l’église, les jeunes hommes dorment par roulement dans le village. Ils y maintiennent une présence constante.

Walaa Sbait, 26 ans, se souvient avoir entendu des récits racontant comment ses grands-parents marchaient à travers les champs d’Iqrit et récoltaient les légumes et d’autres plantes. «  Nous avons grandi dans l’amour de ce lieu. Nous avons été élevés sur cette phrase : revenir à Iqrit », déclare à The Electronic Intifada.

Il dit que de voir que la nouvelle génération d’enfants d’Iqrit n’était pas attachée au village, comme eux l’étaient, cela a poussé le groupe à revenir. «  Nous avons dit, "Nous devons faire quelque chose" », explique encore Sbait. « Cet endroit, nous avons été élevés dans l’amour de lui. Nous voulons conserver son héritage et garder son combat vivant. »

A l’origine, 490 habitants palestiniens vivaient à Iqrit dans quelque 70 maisons. Les terres du village couvraient environ 25 000 dunums (un dunum équivaut à 1000 m²) et on y comptait une école primaire, deux pressoirs à olives, deux greniers et des dizaines de systèmes de collecte d’eau de pluie.

Le 31 octobre 1948, le Bataillon 92 de l’armée israélienne est arrivé à Iqrit, et il a ordonné aux habitants de libérer leurs maisons parce que l’armée avait besoin de procéder à des exercices d’entraînement militaires.

Il a été révélé plus tard que cette demande initiale qui ordonnait l’évacuation d’Iqrit pour seulement 14 jours était en réalité destinée à masquer un plan délibéré pour expulser les villageois de leurs foyers. Neuf mois plus tard, les terres d’Iqrit étaient déclarées « zone militaire interdite  », l’armée arrachait ceux des villageois qui étaient restés et refusait l’accès des civils dans la zone.

Une décision ignorée

Quelque 750 000 Palestiniens – les trois quarts de leur population – ont fui ou ont été expulsés de leurs maisons durant la Nakba (catastrophe) palestinienne en 1948. Plus tard, plus de 500 villages palestiniens ont été vidés de leur population, puis détruits par les forces israéliennes pour empêcher le retour des réfugiés.

La Haute Cour israélienne a statué en 1951 que les habitants d’Iqrit avaient le droit de rentrer dans leurs maisons étant donné qu’ils avaient été expulsés de force sous un prétexte fallacieux. L’armée israélienne cependant a ignoré la décision et par la suite, elle a détruit le village. Deux ans plus tard, le gouvernement israélien a désigné toutes les terres d’Iqrit comme terres propriétés de l’État, sous le contrôle de l’Administration foncière israélienne.

Des décennies plus tard, en 1993, le comité Libai, nommé par le Premier ministre de l’époque, Yitzak Rabin, a conclu lui aussi que les habitants d’Iqrit avaient un droit au retour dans leurs maisons. Pourtant, aucun retour officiel n’a jamais été réalisé.

Face à cette carence dans l’application, les habitants d’Iqrit sont retournés dans leur village à deux reprises : la première fois entre 1971 et 1977, et la seconde entre 1995 et 1999.

« Cette année, nous devons porter notre cause sur la place publique et parmi les décideurs » a dit Nemi Ashkar, le père d’Amir. « Notre but est d’approcher les ministres concernés et le cabinet du Premier ministre afin qu’ils traitent avec nous. Nous croyons que notre cause est une cause juste. »

Et d’ajouter que de mettre en œuvre eux-mêmes leur retour – comme le fait actuellement le groupe de jeunes – est une étape importante dans le combat global à Iqrit. « Si nous voulons réaliser notre rêve et rentrer, nous devons le faire sur le terrain » a-t-il déclaré.

Alors que la plupart des Palestiniens ont été déplacés de leurs foyers en 1948, quelque 150 000 Palestiniens sont restés dans de l’État nouvellement formé, dont 40 000 qui sont des déplacés à l’intérieur de l’État. Ces citoyens palestiniens d’Israël sont restés sous l’administration de la loi militaire israélienne, avec des mouvements restreints, jusqu’en 1966.

« Nous ne sommes pas tombés du ciel »

Israël a également instauré un tas de restrictions administratives et juridiques pour les citoyens palestiniens. La loi sur le Bien des Absents de 1950, par exemple, a été utilisée pour s’approprier les constructions palestiniennes et les transférer à l’État, et par la suite, dans de nombreux cas, à des familles juives. En vertu de cette loi, les Palestiniens déplacés internes ont aussi été appelés les « absents présents », ainsi ils se trouvaient dans l’incapacité de réclamer leurs biens.

« Nous, les quelque 250 000 déplacés internes, partie de la minorité arabe palestinienne, citoyens de l’État, nous ne sommes pas tombés du ciel  » déclare le Comité national pour les droits des Palestiniens déplacés internes en Israël, dans un manifeste de 1999.

«  Nous ne sommes pas des immigrants, mais des natifs dans notre terre. Le gouvernement israélien n’est pas autorisé – sur le plan éthique, moral, juridique et politique – à nous maintenir comme déplacés dans notre patrie, loin de nos villes et villages d’origine. Le droit et les principes internationaux protègent notre droit naturel au retour ».

Selon Umar Ighbarieh, qui dirige des visites dans les villages palestiniens détruits, de l’organisation Zochrot - un groupe israélien qui se consacre à faire monter la prise de conscience de la Nakba -, Iqrit constitue un exemple important pour les autres Palestiniens déplacés internes qui rêvent aussi de revenir dans leurs maisons.

« En Israël, les gens conservent encore l’opportunité d’avoir cette sorte résistance, cette sorte de combat, afin de rentrer dans leurs (maisons). Il faut du courage. Il faut une direction. Il faut élaborer un plan sur la façon de retourner et être prêts pour son prix (à payer) » dit Ighbarieh.

« Un sentiment d’aliénation »

Dans un sondage de décembre 2012, Badil, le Centre de ressources pour le droit à la résidence et le droit des réfugiés palestiniens, basé à Bethléhem, a enquêté sur les questions de perception de soi-même et d’identité chez les jeunes Palestiniens de Cisjordanie, de la bande de Gaza, du Liban, de Syrie, de Jordanie et de l’intérieur d’Israël.

Le sondage révèle que pour la plupart des jeunes, l’identité palestinienne passe avant la citoyenneté ou la résidence, et qu’ils tiennent à l’élaboration d’un cadre où tous les Palestiniens – pas seulement ceux de Cisjordanie et de Gaza - sont représentés et participent à la prise de décision (« Un peuple uni : une identité palestinienne déterritorialisée » Badil, décembre 2012 -PDF)

« Après 65 ans de vécu dans des environnements politiques, économiques et sociaux différents, il y a quelque chose qui encore les relie tous les uns aux autres : une expérience palestinienne, un destin palestinien partagé, une identité palestinienne  » dit le Dr Manar Makhoul, agent de Badil pour le plaidoyer et la mise en réseau.

« Un sentiment d’aliénation et de déplacement, tel est le dénominateur commun entre tous les groupes palestiniens, même les Palestiniens de l’intérieur d’Israël. Ils sont aliénés même alors qu’ils sont présents dans leur propre patrie ».

Pour Amir Ashkar, le plus important à propos du retour à Iqrit, ce sont les liens qu’il a construits avec les autres membres de la communauté, et avec le village lui-même.

« Nous sommes devenus une famille » dit Ashkar. « Ils n’ont pas juste détruit nos maisons ici, mais aussi notre culture. Ils ont détruit les gens eux-mêmes. Revenir sur notre terre, c’est comme revenir à notre identité ».


Liens :
- Association de la communauté d’Iqrit
- Diaporama sur Iqrit


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Iqrit, novembre 1948.
Wikipédia




*Jillian Kestler-D’Amours : journaliste canadienne basée à Jérusalem depuis mai 2010 et réalisatrice du documentaire « Sumoud » sur le combat d’un village bédouin du Negev.

Son site : http://jkdamours.com/

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8 avril 2013 - The Electronic Intifada - traduction : Info-Palestine/JPP


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