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Israël militarise son système éducatif

samedi 30 juin 2012 - 08h:01

Jillian Kestler-DAmours

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Les manuels scolaires avec des thèmes nationalistes portent de plus en plus préjudice au système éducatif, disent les analystes.

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Le gouvernement sioniste encourage activement une plus grande militarisation de la société israélienne - Photo : AFP

Les filles israéliennes doivent-elles être empêchées de se mettre en couple avec des Palestiniens ?

Ce fut une des questions posées dans un nouveau guide pour la préparation aux examens en éducation civique dans les université israéliennes, et rédigé par une entreprise privée et approuvé par le ministère de l’éducation.

Une des réponses proposées était que les filles israéliennes devraient rester à l’écart des Palestiniens, parce que « les jeunes arabes constituent une menace pour la vie des jeunes filles juives » et que « les relations entre les jeunes hommes arabes et les jeunes femmes juives représentent une menace pour la majorité juive dans le pays ».

Bien que le guide en question ait été condamné pour encourager les stéréotypes racistes et l’incitation à la haine, de nombreux militants soutiennent qu’il n’est pas un phénomène isolé. En effet, ils affirment qu’il révèle un problème beaucoup plus profond et enraciné : l’ultra-nationalisme qui traverse le système éducatif israélien, et son impact négatif sur la jeunesse israélienne.

« Les manuels scolaires israéliens correspondent à toutes les catégories du discours raciste, à la fois verbal et visuel », a déclaré Nurit Peled-Elhanan, un professeur israélien spécialisé dans l’éducation à l’Université hébraïque de Jérusalem, et auteur de La Palestine dans les manuels scolaires israéliens : idéologie et propagande dans l’éducation.

Depuis les représentations stéréotypées et négatives des Palestiniens dans les manuels scolaires - à condition même qu’il y ait la moindre allusion à leur existence - jusqu’aux cartes erronées représentant les frontières d’Israël, en passant par la censure stricte sur ce que les citoyens palestiniens d’Israël sont autorisés à enseigner et apprendre, Peled-Elhanan explique que la quasi-totalité des sujets dans les programmes israéliens d’enseignement sont imprégnés d’un nationalisme exacerbé.

« On va revenir à ce qui caractérisait la recherche et l’éducation des années 1950 : un très bas niveau, un discours nationaliste, non-scientifique de présentation du monde, de nous, et de la situation politique dans la région, » ajoute Peled-Elhanan.

« Le but est d’éduquer les enfants de façon à en faire de bons soldats. Vous ne pouvez pas être un bon soldat si vous n’avez pas cette image d’un ennemi qui est un peu trouble ; il faut en savoir très peu sur ces gens, excepté qu’ils sont des ’problèmes’ et des ’menaces’. »

Militarisation de l’éducation

Les programmes gérés conjointement par le ministère israélien de l’éducation et l’armée israélienne existent en Israël depuis des années. Un nouveau programme, nommé Derekh Erekh [« chemin des valeurs »], a été présenté à la mi-juin et est destiné à inculquer le sens du devoir et de l’allégeance à l’État et à renforcer les liens entre les écoles israéliennes et l’armée.

« Les enseignants sont des appelés tout au long de leur vie », a déclaré le ministre de l’éducation Gideon Saar, membre du Likoud du Premier ministre Benjamin Netanyahu, alors qu’il présentait le programme. Il devrait être mis en ?uvre dans des milliers d’écoles à travers le pays et il s’est vu allouer un budget annuel de 300 000 NIS (76 854 dollars US).

« Mes les attentes du système [éducatif] ne sont pas seulement dans le domaine de l’apprentissage, mais aussi dans celui des valeurs », aurait dit Sarre. « Encourager le service dans l’armée israélienne n’est pas une faveur que nous faisons à l’armée, mais une question de morale. »

En 2010, un directeur d’école secondaire dans le district de Tel-Aviv a dit avoir reçu des menaces de mort après avoir décidé de ne pas participer à un programme du même genre qui fait venir des colonels de l’armée israélienne dans les écoles pour encourager les étudiants à rejoindre l’armée et à signer pour un entraînement de combat.

Selon Sahar Vardi, un membre de New Profile, une organisation féministe qui encourage la démilitarisation de la société israélienne, la surabondance de symboles et de cérémonies militaires dans les écoles israélienne et dans la société rend naturelle la participation militaire chez les jeunes.

« [L’armée] doit être considérée comme quelque chose de violent et quelque chose qui, si elle est nécessaire, devrait être le dernier recours, mais la façon dont elle est vue en Israël en fait quelque chose de très naturel, c’est dans la vie de tous les jours », a déclaré Vardi , qui a refusé de faire son service militaire obligatoire en 2008.

« [Le système d’éducation enseigne aux jeunes que] ce que l’armée fait est bien, que la violence comme forme de résolution de problèmes est légitime. Ce n’est pas seulement légitime, mais aussi promu par la société », dit-elle.

En 2010, l’institut pour la recherche de la paix dans le Moyen-Orient (PRIME - Peace Research Institute in the Middle East) a publié un manuel intitulé Apprendre les uns des autres le récit historique. Rédigé par un groupe d’universitaires et d’historiens israéliens et palestiniens, le livre comprend les récits israéliens et palestiniens de divers événements historiques, et a laissé un espace vide ouvert sur ​​chaque page pour que les élèves y écrivent leurs réflexions.

Le livre aborde des sujets tels que la Déclaration Balfour, la fondation d’Israël en 1948, et les deux Intifadas palestiniennes. Il a été utilisé dans un lycée israélien et deux lycées palestiniens avant d’être semble-t-il interdit par les deux ministères de l’éducation, israélien et palestinien [dans les Territoires Occupés].

Visites financées par l’État, de colonies

En plus de renforcer les liens avec l’armée, Sarre a annoncé l’an dernier qu’il voulait développer un programme montrant aux élèves « les racines historiques de l’Etat d’Israël dans la terre d’Israël ».

Ce programme comprend des visites dans des colonies israéliennes, y compris Shiloh, dans le nord de la Cisjordanie, près de Naplouse, le Tombeau des Patriarches au c ?ur de Hébron, et le parc archéologique la cité de David dans Silwan, un quartier palestinien de Jérusalem-Est.

« Il est bon de venir dans les colonies. Il est bon de les voir florissantes », a déclaré Sarre lors d’une visite à la colonie de Shiloh en 2011. « Nous ne devrions pas faire croire aux Arabes qu’un jour il n’y aura plus de Juifs ici. Juifs seront toujours là, et toute autre illusion apportera des obstacles sur le chemin de la paix. »

Plus de 250 enseignants israéliens ont envoyé une lettre à Sarre en février de cette année, annonçant leur refus de participer aux visites à Hébron proposées par le ministre du Patrimoine et destinées à renforcer les valeurs « juives et sionistes » chez les élèves.

« Nous savons que notre vocation d’éducateurs est de présenter aux élèves la vérité, du mieux que nous le pouvons. Une vérité partielle et partisane n’est pas de vérité du tout. Pour cette raison, nous ne sommes pas d’accord pour être des agents d’une telle politique, et nous ne nous mentirons pas à nous-mêmes, » dit la lettre des enseignants.

« Nous vous demandons de cesser d’utiliser le système d’éducation cyniquement pour des buts politiques extrémistes, et si nous sommes appelés à accompagner ces visites, nous refuserons. »

Un porte-parole du ministère israélien de l’éducation a refusé à plusieurs reprises de faire des commentaires sur ces visites.

Aujourd’hui, plus de 500 colons juifs israéliens vivent au c ?ur d’Hébron, placés sous la protection des soldats et de policiers israéliens. En raison de la présence des colons, la population palestinienne d’Hébron - qui est d’environ 200 000 personnes, la plus grande population urbaine en Cisjordanie - est soumise à des restrictions sévères sur la liberté de circulation, a perdu l’accès à ses principaux centres commerciaux et économiques, et est fréquemment victime de violences et d’arrestations.

« Le genre de visite d’Hébron [que les élèves vont] voir [sur les circuits ministériels] est une vue très étroite d’Hébron. Ce n’est pas un Hébron qui représente la ville. Ce n’est pas un Hébron qui représente les gens qui y vivent », a déclaré Yehuda Shaul, de l’organisation israélienne Breaking the Silence, un groupe de militaires vétérans israéliens qui ont servi dans les Territoires Palestiniens Occupés et qui cherchent à éduquer le public israélien sur les réalités de l’occupation.

Shaul dit que lorsque les visites du « patrimoine d’Hébron » ont été annoncées, Breaking the Silence a approché les écoles participantes et a offert d’envoyer les élèves sur leur propre tournée alternative d’Hébron. Lorsque la nature politique des visites du ministère a été révélée, les anciens soldats ont exhorté les écoles à boycotter complètement le programme.

« Hébron est le seul endroit où notre passé vient à la rencontre de notre présent repoussant », a déclaré Shaul. « Je ne peux pas imaginer un meilleur endroit que Hébron pour ouvrir une vraie discussion sur l’identité de notre pays et sur qui nous sommes et ce que nous devrions faire, sur quelles sont les valeurs qui devraient nous unir dans la société, mais ce n’est pas ce que [Sarre, le ministre de l’Éducation] vise à faire. »

« Ce n’est même plus de l’endoctrinement, c’est bien pire que cela : c’est d’utiliser des enfants comme soldats, c’est utiliser des enfants pour renforcer la présence des colons israéliens dans la ville. »

Selon une étude 2011 réalisée par l’institut de recherche allemand Friedrich-Ebert-Stiftung, la jeunesse israélienne affiche des vues de plus en plus nationalistes, et accorde plus d’importance au caractère exclusivement juif de l’État qu’au respect des valeurs démocratiques ou libérales.

Quelques 1600 jeunes, âgés de 15 à 18 et de 21 à 22 ans, ont été interrogés dans cette enquête et ils se déclarent très majoritairement de droite. Environ 70 pour cent des juifs israéliens adolescents entre 15 et 18 ans ont déclaré que, dans les cas où la sécurité nationale et la démocratie étaient en désaccord, la sécurité devait primer avant tout.

Les jeunes juifs religieux en particulier, a révélé l’étude, ont un « manque de confiance dans les institutions qui sont chargées de maintenir les principes démocratiques » et seraient prêts « à user de méthodes telles que la résistance civile (y compris la résistance civile violente), à ​​préférer un leadership fort au-dessus de la primauté du droit, pour soutenir le déni des droits politiques des citoyens arabes d’Israël, et ils sous-estiment l’importance de la démocratie et de la paix comme objectifs nationaux ».

Dans un sondage réalisé en 2010 par l’institut de recherche israélien Mochot Maagar, 50 pour cent des adolescents israéliens juifs entre 15 et 18 ans pensaient que les citoyens palestiniens d’Israël ne devraient pas avoir les mêmes droits que leurs homologues juifs.

Quelque 56 pour cent des personnes interrogées disaient que les Palestiniens devraient être empêchés de candidater pour le parlement israélien, la Knesset, et 50 pour cent de ceux qui se sont présentés en tant que religieux ont déclaré qu’ils approuvaient le slogan « Mort aux Arabes ».

Selon Peled-Elhanan, ces attitudes peuvent être attribuées à un système éducatif qui place le nationalisme au-dessus des véritables études et d’un réel échange libre d’idées.

« Ils ne se soucient pas du droit international. Ils ne se soucient pas de décisions internationales. Ils ne se soucient pas de la justice internationale ou des droits de l’homme ou de toutes ces choses parce qu’ils apprennent à ne pas les respecter, » explique Peled-Elhanan.

Elle dit aussi que corriger le système éducatif israélien « de l’intérieur » était impossible, puisque la plupart des Israéliens n’ont conscience de rien.

« Ce sera très difficile de le démanteler, » a-t-elle déclaré à Al Jazeera. « Le grand changement ne peut venir que lorsque les États-Unis arrêteront de verser de l’argent et des armes ici et quand il y aura un réel et important boycott. Sinon, les autorités ne comprendront pas le message. »

*Jillian Kestler-D’Amours : journaliste canadienne basée à Jérusalem depuis mai 2010 et réalisatrice du documentaire « Sumoud » sur le combat d’un village bédouin du Negev.

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29 juin 2012 - Al-Jazeera - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.aljazeera.com/indepth/fe...
Traduction : Info-Palestine.net - Naguib


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