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Un théâtre de Cisjordanie paie le prix de la liberté

vendredi 15 juin 2012 - 06h:42

Jillian Kestler-D’Amours

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L’équipe du ’Freedom Theatre’ à Jénine, dont le fondateur a été tué l’an dernier, dénonce arrestations et harcèlement.

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Nabil Al-Raee : Selon son épouse, Nabil Al-Raee est détenu au centre de détention de Jalame dans le nord d’Israël [Freedom Theatre]

Jérusalem - Micaela Miranda s’est éveillée mercredi dernier à 3 heures du matin en entendant aboyer des chiens. Quand elle arriva à sa porte d’entrée, elle vit six soldats israéliens armés sautant par-dessus la porte qui mène à sa maison à Jénine.

Quelques minutes plus tard, les soldats emmenaient son mari.

« Je l’ai juste vu disparaître dans le noir avec le commandant et trois autres soldats » dit Miranda. « La maison était pleine de soldats un peu partout. Ils sont restés à la maison pendant une heure ».

L’époux de Miranda, Nabil Al-Raee, est le directeur artistique du célèbre Théâtre de la Liberté dans le camp de réfugiés de Jénine, dans le nord de la Cisjordanie.

Selon Miranda, il est actuellement détenu au secret dans le centre de détention de Jalame dans le nord d’Israël, et son avocat n’a pas su établir la raison exacte de son arrestation.

« Nabil est un artiste. Tous ceux qui le connaissent savent qu’il n’a jamais commis de crime, sinon celui d’exprimer ce qu’il pense. Il parlait, comme une façon de résister à l’injustice » dit Miranda.

Une série d’arrestations

L’armée israélienne a confirmé l’arrestation de Al-Raee, déclarant à l’agence France-Presse la semaine dernière qu’il « avait été arrêté de nuit à Jénine parce que suspecté d’implication dans une activité illégale ». Aucun détail n’a été fourni.

Nabil Al-Raee est le dernier d’une série de personnes liées au Théâtre de la Liberté qui ont été arrêtées au cours de l’année écoulée. Parmi elles, un acteur principal âgé de 20 ans, membre du comité de direction du théâtre, et différents membres de l’équipe.

En plus, l’armée israélienne a brisé des fenêtres du théâtre et des équipements, elle a tiré à balles réelles au cours de rafles nocturnes menées dans le camp, intimidé et fouillé les domiciles d’employés du théâtre.

Les autorités israéliennes ont d’abord dit que les arrestations étaient liées à l’enquête en cours sur l’assassinat de Juliano Mer-Khamis, l’acteur et metteur en scène israélo-palestinien bien connu qui fut abattu en avril 2011 devant le Théâtre de la Liberté.

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Le directeur du Freedom Theatre, Juliano Mer-Khamis, a été abattu en avril 2011 par des tireurs non identifiés

Mer-Khamis avait co-fondé le théâtre en 2006 comme moyen d’émancipation des jeunes Palestiniens dans le camp et pour encourager l’expression créatrice comme méthode de résistance tant aux restrictions imposées par la société palestinienne traditionnelle qu’à l’occupation israélienne.

Mais selon le directeur général du Théâtre, Jonathan Stanczak, puisque les employés du Théâtre ont toujours coopéré avec les enquêteurs sur la mort de Mer-Khamis, les arrestations peuvent être vues comme faisant partie d’une campagne d’intimidation censée décourager les gens de se joindre à nous.

« Nous avons été très clairs sur le fait que nous voulons participer et contribuer à toute investigation concernant le meurtre de Juliano, mais nous nous opposons fermement aux moyens et méthodes qu’ils utilisent pour mener ces interrogatoires » déclare Stanczak.

Il explique qu’il y a trois semaines l’agence de renseignement israélienne (connue sous le nom de Shabak ou de Shin Bet, acronyme hébreu) avait convoqué environ la moitié des employés du Théâtre de la Liberté à des interrogatoires dans une base de l’armée israélienne près de Jénine. Stanczak dit que les questions posées durant ces interviews se rapportaient à l’assassinat de Mer-Khamis, aux activités du Théâtre de la Liberté et à des choses arrivées dans le camp de réfugiés de Jénine.

« Chacun s’est exécuté et a respecté les convocations pour contribuer à toute information possible y compris Nabil et Micaela. Pourquoi, puisque ces gens sont venus il y a juste trois semaines et ont répondu à toutes les questions possibles, viennent-ils maintenant à la maison de Nabil, devant sa famille, pour l’emmener de chez lui ? » demande Stanczak.

Le camp de réfugiés de Jénine

Le camp de réfugiés de Jénine est une zone de 0,42 km² dans le nord de la Cisjordanie occupée et i abrite plus de 16.000 réfugiés palestiniens immatriculés, plus de la moitié d’entre eux âgés de moins de 24 ans.

Le camp a été gravement endommagé pendant la Deuxième Intifada, quand il fut au centre d’une résistance palestinienne armée. En 2002 les heurts entre l’armée israélienne et les combattants palestiniens ont duré 10 jours et fait beaucoup de morts, 150 immeubles ont été détruits et plus de 430 familles se sont retrouvées sans abri.

Aujourd’hui, le camp est du ressort de l’Autorité Palestinienne (AP). Elle a ouvert une enquête criminelle sur la mort de Mer-Khamis immédiatement après l’assassinat en avril 2011. Les Israéliens ont entamé leurs propres investigations peu après, menées conjointement par l’armée, la police et la Shabak.

A ce jour, rien n’a changé. Le jour anniversaire de la mort de Mer-Khamis, une manifestation a eu lieu devant la Muqata, quartier général du Président palestinien Mahmoud Abbas à Ramallah, afin d’exiger que justice soit faite.

Des commémorations ont également eu lieu à Haifa et Jaffa pour rendre hommage à Mer-Khamis et au travail du Freedom Theatre, qui continue en l’absence de Mer-Khamis et a étendu ses activités, incluant non seulement le théâtre et l’école d’acteurs, mais aussi la réalisation de films, la danse et d’autres formes d’expression artistique.

Pressions de l’intérieur

Ces dernières années, les pressions exercées sur le Théâtre de la Liberté sont aussi venues de l’intérieur de la société palestinienne. Selon Stanczak, on a tenté d’incendier le théâtre en 2008, et des Palestiniens dans le camp ont lancé des menaces contre les acteurs et l’équipe, leur enjoignant de cesser ce qu’ils faisaient.

« Nous sommes à un endroit où des idées créatives et des perspectives nouvelles sont générées. Bien sûr, il y a des gens dans la société qui sont contre » dit Stanczak.

Par exemple, une pièce jouée en 2009 par le Théâtre de la Liberté était adaptée du classique de George Orwell « La Ferme des Animaux » et évoquait les limites imposées au sein de la société palestinienne ainsi que la corruption des dirigeants de l’AP. Comme elle a été bien reçue et jouée devant de nombreux publics, elle a aussi été fortement critiquée.

« Cela prouve que nous touchons réellement. Quand un discours critique se met à émerger dans la société, c’est une très bonne chose. Nous sommes heureux que des gens questionnent ce que nous faisons ». - ajoute Jonathan Stanczak.

Le Théâtre de la Liberté a également mis en scène des adaptations d’ « Alice aux Pays des merveilles » et de « En attendant Godot », et ses acteurs ont tourné en Cisjordanie, en Egypte, aux Etats-Unis et dans plusieurs villes d’Europe.

Pour Micaela Miranda, qui n’a aucun contact avec son époux pas plus que d’informations sur les motifs de son arrestation, la situation pour elle et sa petite fille est pénible, et les témoignages de soutien qu’elle reçoit rappellent l’impact qu’a le Théâtre de la Liberté.

« C’est le seul côté positif de la chose, savoir qu’il y a un tas de gens qui soutiennent Nabil et son travail » dit-elle, ajoutant : « Nous sommes ici pour donner le pouvoir à la société [palestinienne] autour de son identité, et c’est exactement ce contre quoi Israël travaille. C’est une menace ».

*Jillian Kestler-D’Amours : journaliste canadienne basée à Jérusalem depuis mai 2010 et réalisatrice du documentaire « Sumoud » sur le combat d’un village bédouin du Negev.

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1 juin 2012 - aljazeera.com - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.aljazeera.com/indepth/fe...
Traduction : Info-Palestine.net - Marie Meert


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