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Les révoltes arabes, passées et présentes

jeudi 24 novembre 2011 - 06h:39

Joseph Massad - Al Jazeera

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Les Arabes se révoltent historiquement tous les dix ans contre les régnants, et l’Occident a soutenu la plupart des contre-révolutions.

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Le chemin d’Arafat vers Oslo commence dans les années soixante-dix avec les importants financements venant des pays du Golfe.
(EPA)




Les défis populaires actuels aux dictatures arabes soutenues par l’Occident sont loin d’être un phénomène nouveau dans l’histoire arabe contemporaine. Nous avons connu de telles insurrections contre le colonialisme européen dans la région depuis qu’il apparu en Algérie en 1830 et en Égypte en 1882. Les révoltes en Syrie dans les années mille-neuf-cent-vingt contre le joug français et surtout en Palestine de 1936 à 1939 contre le joug colonial britannique et le colonialisme sioniste de peuplement ont été massives, comparées au reste du monde. En fait, la révolte palestinienne en inspire bien d’autres dans le monde colonisé et continue d’influencer les Arabes pendant le restant du siècle et au-delà. La résistance anticoloniale, qui s’est opposée aussi aux régimes arabes mis en place par le colonialisme, s’est étendue à la Jordanie, l’Égypte, au Bahreïn, à l’Irak, aux Yémen du Nord et du Sud, à l’Oman, au Maroc et au Soudan. La révolte anticoloniale de masse en Algérie apportera finalement au pays, en 1962, son indépendance du colonialisme français. Avec la libération de l’Algérie, c’est l’une des deux colonies d’implantation européennes dans le monde arabe qui s’incline, il n’en reste alors qu’une seule : la Palestine. Sur le front territorial colonial, une grande partie du Golfe arabique reste occupée par les Britanniques jusque dans les années soixante et le début des années soixante-dix, et elle attend sa libération.

Après la guerre de 1967

Au milieu de la mélancolie qui domine et frappe le monde arabe après la défaite de 1967 suite aux invasions israéliennes simultanées de trois pays arabes et à l’occupation de leurs territoires et de la totalité de la Palestine, le défi lancé par la guérilla révolutionnaire palestinienne à la puissance coloniale d’Israël à la bataille de Karamah en mars 1968 permet à des dizaines de millions d’Arabes de renouer avec l’espoir et de relancer l’inquiétude des dictatures arabes néocoloniales (nonobstant la forte exagération du rôle d’Arafat durant la bataille). La révolution palestinienne est une source d’inspiration pour beaucoup, et elle coïncide également avec les efforts révolutionnaires non seulement dans le tiers monde en général mais aussi dans les pays arabes, efforts qui en retour vont inspirer les Palestiniens.

Les meilleures nouvelles révolutionnaires anticoloniales dans le monde arabe après la défaite de juin 1967 vont venir de la péninsule Arabique. C’est en novembre 1967 que les révolutionnaires du Yémen du Sud infligent une défaite honteuse aux Britanniques et libèrent leur pays du joug de la Grande-Bretagne coloniale, laquelle gouverne à Aden depuis 1838. Les Yéménites du Sud fondent bientôt la République démocratique populaire du Yémen, qui durera 22 ans, avant d’être dissoute définitivement par le Yémen du Nord et ses alliés saoudiens.

Dans l’Oman voisin, le combat en cours pour libérer le pays entre dans une nouvelle phase de guérilla sous la direction du Front populaire pour la libération d’Oman et du Golfe arabique (le PFLOAG), qui est unifié en septembre 1968 dans le cadre de l’unification plus large d’un certain nombre de groupes de guérilla omanais qui combattent le sultan Said bin Taymour, soutenu par les Britanniques. Le PFLOAG libère le territoire du Dhofar (sud du sultanat d’Oman) d’où il continue de lancer des attaques pour libérer le reste du pays. En effet, les mouvements de libération nationale sont actifs dans tout le Golfe, et il n’en va pas moins au Bahreïn où une lutte de libération nationale est en cours, avec des mouvements de travailleurs, d’étudiants et de femmes militantes unis contre la domination coloniale britannique et ses valets locaux.

La répression

Mais l’alliance américano-britannico-israélo-saoudienne est déterminée à écraser tous les groupes révolutionnaires qu’elle peut écraser, et à récupérer ceux qui lui résistent. Son effort se déploie d’abord dans le Golfe. Bahreïn, qui fut le foyer des travailleurs et de troubles anticoloniaux pendant des décennies, poursuit son combat contre la domination britannique et la famille régnante du Bahreïn alliée au colonialisme britannique. Mais comme les Britanniques ont été chassés hors du Yémen du Sud et que la menace contre leur client omanais se confirme, ils déplacent leur commandement militaire au Bahreïn, une étape suivie d’investissements de capitaux britanniques massifs dans le pays (de même qu’à Dubaï). Ces développements entraînent, comme on pouvait s’y attendre, plus de répressions contre le peuple bahreïnien et leur mouvement de libération nationale. En effet, c’est dans ce contexte que le Shah d’Iran affiche ses revendications territoriales sur le Bahreïn et menace de l’annexer à l’Iran comme sa « quatorzième province ». Ses ambitions territoriales ne sont tempérées par ses alliés occidentaux et les Nations-Unies qu’en 1970, une fois que le Shah aura renoncé à ses prétentions en échange de massifs investissements de capitaux iraniens dans les petits pays arabes émergeants du Golfe, notamment aux Émirats arabes unis. L’Occident est reconnaissant au Shah pour sa magnanimité, et il va continuer de le récompenser, diplomatiquement et politiquement.

Sur le front jordanien, l’armée du roi Hussein met un coup d’arrêt aux triomphes des guérilleros palestiniens et les écrase lors d’une agression de grande envergure, en septembre 1970. Les guérilleros de l’OLP sont finalement tous expulsés du pays en juillet 1971. Cependant, ils conservent une base solide au Liban, d’où ils peuvent continuer leurs actions contre Israël et les dictatures arabes.

Au Soudan, le parti communiste continue de se renforcer à la fin des années soixante et jusqu’à l’arrivée au pouvoir en 1969 de Ja’far al-Numeiry qui, au début, ne parvient pas à marginaliser totalement les communistes et doit attendre d’avoir renforcé son régime, en 1971, pour y réussir. Leur tentative de coup d’État contre son régime autoritaire échoue. Aussitôt, dans une rafle il arrête des milliers de communistes et fait exécuter tous les principaux dirigeants du parti, liquidant le plus grand parti communiste du monde arabe. La dictature de Numeiry dure jusqu’en 1985, où l’échec alors de l’opposition démocratique permet au candidat Omar al-Bashir, soutenu par les Saoudiens, de prendre le pouvoir en 1989 et de continuer sur la lancée de Numeiry.

Seul, le PFLOAG continue de progresser au début des années soixante-dix, obligeant l’alliance USA-Royaume-Uni-Arabie saoudite à un effort très important pour le vaincre. Le Shah d’Iran et le roi jordanien sont mis à contribution dans cet effort. Ils dépêchent des contingents militaires à Oman et, encouragés par les conseillers britanniques, réussissent finalement à battre les guérilleros et à préserver le trône du sultan Qabus, fils du sultan Said qui avait renversé son père lors d’une révolution de palais, en 1970, organisée par les Britanniques. Après la défaite ultime des révolutionnaires omanais en 1976, l’OLP reste le seul groupe révolutionnaire survivant à l’agression, aux côtés d’un Yémen du Sud pauvre et faible qui finit lui-même par être englouti par le Yémen du Nord soutenu par les Saoudiens.

La récupération

L’argent des Saoudiens, et d’autres, dans le Golfe afflue dans les coffres de l’OLP pour s’assurer que le révolutionnarisme palestinien, en partie défait en Jordanie, ne retournera jamais plus ses fusils contre un autre régime arabe. Et effectivement, l’argent du Golfe transforme l’OLP en un groupe de libération financé par les régimes les plus réactionnaires du tiers monde. Le chemin d’Arafat vers Oslo commence après la guerre de 1973 et le financement massif qu’alors il reçoit de toutes les dictatures arabes riches en pétrole, de Kadhafi à Saddam Hussein en passant par toutes les monarchies du Golfe. C’est cette récupération de l’OLP qui va pousser les régimes arabes à la reconnaître en 1974, comme seul représentant légitime du peuple palestinien, et c’est la principale raison qui les amène à appuyer sa reconnaissance à l’ONU, la même année. En effet, l’alliance réactionnaire d’Arafat avec les dictateurs arabes est telle que des services de renseignements de l’OLP se mettent à partager leurs informations sur les dissidents arabes avec les dictatures arabes, notamment le service de renseignements de l’OLP dirigé par Abu Za’im qui livre le dissident saoudien Nasir Sa’id en décembre 1979 aux Renseignements saoudiens, sur requête de l’ambassadeur saoudien au Liban. On n’entendra plus parler de Said et on pense qu’il a été exécuté par les autorités saoudiennes. Sur le front diplomatique et de la solidarité, en 1976, le Front Polisario proclame l’indépendance du Sahara occidental, mais Arafat refuse de reconnaître cet État par égard à son alliance avec le roi Hassan II.

Les nouveaux soulèvements

Les groupes révolutionnaires palestiniens sont les seuls à ne pas être totalement récupérés, et bien qu’ils soient devenus suffisamment cooptés aux yeux des régimes arabes, pour les USA et les autres puissances impériales, c’est du peuple palestinien lui-même qui se révolte en 1987 contre son occupant israélien que va venir le nouveau défi.

C’est cette deuxième révolte majeure palestinienne en un demi-siècle, que beaucoup voient maintenant comme la source d’inspiration des soulèvements en cours dans le monde arabe, qu’il va leur falloir écraser. Les Israéliens font tout ce qu’ils peuvent pour cela, mais ils échouent. L’OLP en prend rapidement la direction de peur qu’une nouvelle direction palestinienne ne supplante sa propre autorité dans la représentation des Palestiniens. L’OLP reprenant l’Intifada, les efforts des Israéliens et des Américains vont récupérer finalement l’OLP tout en neutralisant ses capacités à contrecarrer la politique US et israélienne dans la région. C’est dans ce contexte que sont signés les Accords d’Oslo et que l’OLP, de menace pour les dictatures arabes, pour leur commanditaire impérial américain et pour l’occupation israélienne, elle devient un agent des trois, sous le couvert d’Autorité palestinienne (AP), une autorité qui aide au renforcement de l’occupation israélienne et à une alliance impie avec les dictatures du Golfe et les États-Unis. Dès lors, les armes de l’OLP/AP ne sont plus dirigées que contre le peuple palestinien.

L’alliance des Américains, Britanniques, Saoudiens et Israéliens dans la région relève aujourd’hui des mêmes stratégies qu’à la fin des années soixante et début des années soixante-dix, et garde la stratégie qu’ils ont adoptée avec l’OLP au début des années quatre-vingt-dix. Ils écrasent tous les soulèvements qu’ils peuvent écraser, et ceux qui leur résistent, ils les récupèrent. Leurs actions pour coopter totalement les insurrections tunisienne et égyptienne ont fait de grandes avancées au cours des derniers mois, même s’ils n’ont pas réussi à réduire les populations au silence ou à les démobiliser. D’un autre côté, le soulèvement au Bahreïn était le premier qu’il leur fallait écraser avec celui des Yéménites qui continuaient la lutte sans répit. En Libye et en Syrie, ils ont totalement détourné les orientations du soulèvement et en ont pris la direction. Même si les Syriens, comme les Libyens avant eux, continuent leur courageux soulèvement contre leur régime brutal, exigeant la démocratie et la justice sociale, leur quête est d’ores et déjà vouée à l’échec, à moins qu’ils soient en capacité de déloger l’axe US-GB-Arabie saoudite-Qatar qui a totalement récupéré leur lutte - ce qui est très peu probable.

Les Palestiniens

Ceci nous ramène à la scène palestinienne. Le soulèvement palestinien, ou Intifada, de 1987 est la première révolte civile massive non armée depuis des décennies. C’est à la suite de l’effondrement de l’Union soviétique et de la première invasion américaine dans le Golfe que les États-Unis décident de récupérer le soulèvement palestinien en accordant des avantages politiques et financiers à la classe de bureaucrates de l’OLP, lesquels vont saboter le combat palestinien. Ainsi à Oslo, en 1993, Arafat va neutraliser le soulèvement et se faire inviter à dîner à la table des dirigeants américains et israéliens pendant que son peuple reste sous occupation.

Mais si les Palestiniens ont bien été une source de préoccupation pour les régimes arabes après 1968 dans la crainte de les voir aider d’autres révoltes arabes contre leurs dictatures, aujourd’hui, c’est l’Autorité palestinienne qui s’inquiète des soulèvements arabes qui peuvent influencer les Palestiniens de Cisjordanie à se révolter contre elle alors qu’elle poursuit sa collaboration intensive sur la sécurité avec l’occupant israélien et son mécène américain. En effet, si les Israéliens ont échoué à la fin des années soixante-dix dans leurs tentatives de créer un organisme politique de collaborateurs palestiniens par le biais de leurs tristement célèbres Ligues du village, l’AP est devenue, non pas une nouvelle « Ligue urbaine » comme bien des Palestiniens l’ont surnommée, mais une véritable Ligue nationale de collaborateurs au service de l’occupation israélienne. La récente candidature de l’AP pour un État et sa reconnaissance aux Nations-Unies et à l’UNESCO est une tentative de réponse à l’actuelle stagnation de son « processus de paix » inexistant et de ses négociations entêtées avec les Israéliens, avant que les Palestiniens se révoltent contre elle, surtout compte tenu des avantages qui se restreignent pour ceux qui ont profité de l’arrangement d’Oslo.

L’AP avait en effet le choix entre deux directions, face à l’effondrement du soi-disant « processus de paix » : ou s’auto-dissoudre et cesser de jouer le rôle d’exécutant de l’occupation ; ou poursuivre sa collaboration en se retranchant davantage derrière des reconnaissances par les institutions internationales pour préserver son pouvoir et les avantages pour ses membres. Elle a choisi la seconde option sous le couvert de soutenir l’indépendance nationale palestinienne. Comment elle va réussir en restant dans son retranchement avec les candidatures, cela reste à voir, mais qu’elle réussite ou qu’elle échoue, ce sera de toute façon désastreux pour le peuple palestinien qui n’obtiendra aucune indépendance du colonialisme israélien aussi longtemps que l’AP tiendra la barre.

Comme je l’ai déjà soutenu, le désaccord Israël/USA/Autorité palestinienne repose sur les conditions et la dimension territoriale des bantoustans déconnectés qui seront accordés à l’AP, et sur la nature et l’importance du pouvoir répressif et de l’armement qu’auront ses forces de police pour les utiliser contre le peuple palestinien, tout en s’assurant que de telles armes ne puissent être jamais utilisées contre Israël. Si Israël fait montre d’une certaine souplesse sur ces questions, c’est que les bantoustans déconnectés les uns des autres vont très vite être reconnus comme l’« État palestinien souverain » et que pas un seul colon juif illégal n’aura à abandonner la terre volée aux Palestiniens et à retourner à Brooklyn, pour ne citer qu’une seule origine de tous ces colons juifs colonisateurs. C’est cet arrangement que l’AP tente de vendre à Israël et aux États-Unis. Sans lui, l’AP craint que les Cisjordaniens ne se révoltent contre elle, ce qui serait mauvais pour Israël et les USA. Jusqu’à présent, ni les USA, ni Israël n’ont acheté.

La lutte continue

S’agissant du contexte arabe plus large, ceux qui considèrent ce qui s’est passé dans le monde arabe pendant l’année écoulée comme un « réveil » arabe ne sont pas seulement des ignorants de l’histoire du siècle dernier, ils développent aussi des arguments orientalistes, représentant les Arabes comme un peuple au repos qui a supporté les dictatures pendant des décennies et qui finalement émerge de sa torpeur. Partout dans le monde arabe, les Arabes se sont révoltés contre la tyrannie, coloniale et locale, chaque décennie depuis la Première Guerre mondiale. Ce sont les puissances coloniales européennes et leurs héritiers, les Américains qui, à chaque étape, se sont mis en travers du chemin et se sont alliés avec les dictatures locales et leurs familles (et dans de nombreux cas, ont choisi de tels dictateurs pour les mettre sur le trône).

Le parrainage US/UE des contre-révolutions en cours dans le monde arabe aujourd’hui est une continuation d’une tradition impériale de longue date, mais il prolonge aussi la résistance arabe à l’impérialisme et à la tyrannie intérieure. Les insurrections qui ont commencé en Tunisie en décembre 2010 continuent en dépit de revers importants pour tous. Cela ne veut pas dire que les choses n’ont pas changé et qu’elles ne sont pas en train de changer de façon significative, cela veut dire néanmoins que beaucoup de ces changements sont réversibles et que la contre-révolution a en déjà inversé une part importante, et qu’elle travaille dur pour en inverser davantage encore. La vigilance est un impératif pour ceux qui se battent pour un changement démocratique et la justice sociale, surtout en ces temps de bouleversements et de mobilisation impériale intense. Certaines batailles peuvent être perdues, mais la guerre des peuples arabes contre l’impérialisme et pour la démocratie continue dans tout le monde arabe.

* Joseph Massad est professeur associé de politique arabe et d’histoire intellectuelle à l’Université de Columbia. Son dernier livre s’intitule : The Persistence of the Palestinian Question ; Essays on Zionism and the Palestinians - Version française : La persistance de la question palestinienne.

Du même auteur :

- C’est Israël, le danger... pas l’Iran ! - 14 novembre 2011
- Les droits d’Israël - 10 mai 2011
- Le sectarisme et ses mécontentements - 13 janvier 2011
- Résister à la Nakba - 22 mai 2010
- Oslo et la fin de l’indépendance palestinienne - 1er février 2010
- Le soulèvement du Ghetto de Gaza - 6 janvier 2009
- Renverser la démocratie - 7 juillet 2007
- Le droit d’Israël d’être raciste - 18 mars 2007

New York, le 18 novembre 2011 - Al Jazeera - traduction : JPP


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