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Renverser la démocratie

samedi 7 juillet 2007 - 10h:12

Joseph Massad

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Le Hamas, qui a été plus que patient malgré des mois de provocations criminelles venant des putschistes, notamment l’assassinat de ses dirigeants, l’emprisonnement et la torture des militants de base, ne pouvait que se défendre.

Les ennemis du peuple palestinien l’ont attaqué de toutes parts : il y a d’abord, Israël qui mène son inquisition contre Azmi Bishara et ce faisant contre la résistance palestinienne face au fondement raciste de l’Etat juif à l’intérieur de la ligne verte ; suivent Hariri Inc et ses alliés du 14 mars s’efforçant de prouver la puissance de l’armée libanaise aux dépens des vies palestiniennes à Nahr al-Bared.

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En voyage en France pour des entretiens avec le président français récemment élu, Nicolas Sarkozy, Mahmoud Abbas participe à une conférence de presse au cours de laquelle il lance un appel pour une force internationale à Gaza afin que l’Autorité palestinienne puisse tenir de nouvelles élections et prendre d’autres mesures afin d’isoler le gouvernement du Hamas, 29 June 2007. (Omar Rashidi/MaanImages/POOL/PPO)

Il y a aussi le siège permanent que constitue l’occupation militaire israélienne des territoires palestiniens appuyée par son sponsor américain et enfin, en une dernière attaque, les collaborateurs palestiniens qui travaillent avec l’ennemi, c’est-à-dire la direction du Fatah cautionnée par les Etats-Unis.

En fait, la subversion de la démocratie au Moyen-Orient a été la clé de voûte de la politique étatsunisienne dans la région depuis que la CIA a appuyé, en 1949, le coup d’Etat mené par Hosni al-Zaim renversant la démocratie en Syrie. Après cela, la liste est longue : soutien américain au Shah lors du coup d’Etat de 1953 contre le gouvernement Mossadegh, destruction de l’expérience parlementaire libérale en Jordanie par l’organisation de la révolution de Palais en 1957, appui, en 1963, au coup d’état du Baath en Irak contre le populaire Abdul-Karim Qassim, etc.

Les Etats-Unis ne se sont pas contentés de renverser des gouvernements libéraux et démocratiques dans la région. Ils ont activement appuyé, sinon préparé et cautionné, leur remplacement par des régimes dictatoriaux ; ils en ont formé et équipé les dirigeants, lesquels ont institué des régimes extrêmement répressifs et tyranniques. Il n’y a donc rien de nouveau en ce qu’ils subvertissent la démocratie palestinienne et imposent une classe de collaborateurs corrompus au peuple palestinien.

Dans ce contexte, les grosses têtes occidentales et leurs homologues palestiniens et arabes « séculiers » (comprenez pro-Américains) énoncent des fantaisies orientalistes sur le caractère « exceptionnel » de la situation palestinienne.

Ces spécialistes semblent avoir oublié l’histoire de la collaboration parmi les opprimés à travers leurs tragédies et sous domination. Cela va des Judenrats et des Kapos, au Thieu du Vietnam, en passant par l’UNITA en Angola, Buthelezi en Afrique du Sud, le RENAMO au Mozambique, les Contras au Nicaragua et l’armée sud libanaise sous Saad Haddad et Antoine Lahd.

La situation palestinienne est en fait la règle et non l’exception. La seule exception au Moyen Orient par rapport à la politique mondiale tient à l’intérêt disproportionné que manifeste l’impérialisme pour le pétrole et à l’appui international sans précédent dont bénéficie sa colonisation par les colons juifs, deux éléments intrinsèquement liés. Ce n’est pas le monde arabe qui fait exception, mais la stratégie étatsunisienne dans la région et le caractère anachronique de sa colonisation juive.

La réticence des experts occidentaux et de leurs serviteurs arabes à apprendre cette leçon découle de leur réticence devant toute analyse s’opposant à leur domination impérialiste.

Dans le cas de la Palestine, le soutien étatsunien du Pinochet palestinien est présenté , dans la tradition de la propagande étatsunisienne, comme le soutien de la démocratie tandis que le fait pour le gouvernement démocratique palestinien de se défendre contre cette subversion et ce banditisme constitue un coup d’Etat contre la démocratie.

Sigmund Freud appelle cela de la « projection », processus en vertu duquel notre inconscient attribue tous nos sentiments (et nos actions) sur l’autre à l’autre lui-même envers nous. Selon Freud, ce processus est inconscient. Dans le cas qui nous concerne, les putschistes palestiniens (ou Lahdistes comme on les appelle à présent dans le monde arabe) et leur sponsor américain, projettent tous leurs crimes sur le Hamas en une stratégie consciente qui fait partie intégrante de leur stratégie globale visant la destruction de la démocratie palestinienne.

Commençons par quelques précédents historiques. C’est en septembre 1948, que pour la première fois un gouvernement palestinien légitime instauré a Gaza s’est vu empêché d’étendre son autorité aux autres parties de la Palestine. A l’époque, ce fut le roi Abdullah Ier de Jordanie qui s’opposa au gouvernement général de Palestine (APG) (Hukumat ’Umum Filastin) ; celui-ci se mettait en travers de son plan visant l’annexion de la Palestine centrale à son royaume.

En fait, l’APG a été reconnu par la Ligue arabe (qui était à l’époque moins scandaleusement esclave des programmes impérialistes qu’aujourd’hui) comme le représentant légitime du peuple palestinien et l’héritier légitime du Comité supérieur arabe. Le roi jordanien prit des mesures répressives pour purger la Rive Occidentale de tous les partisans de l’APG et offrit beaucoup d’incitations à ceux qui étaient disposés à appuyer son effort d’annexion, baptisé « unification ». Une fois qu’Abdullah eut annexé le territoire « légalement et administrativement », la « communauté internationale » - c à d. le Royaume Uni et Israël - a reconnu ce royaume élargi (Jérusalem Est en moins), tandis que la Ligue Arabe continuait à s’y opposer, incitée par l’APG.

L’APG allait bientôt disparaître de la mémoire juridique et populaire et Gaza passerait sous administration égyptienne de façon complète et totale. La Palestine centrale devint la Rive Occidentale et on la déclara comme faisant partie de la Jordanie ; en une étape, on prétendait servir à la fois l’unité arabe et le soutien aux Palestiniens.

Le roi taxait d’opposition à l’unité arabe et à la libération de la Palestine, toute opposition à l’annexion. C’est précisément ce que les putschistes du Fatah et leur président espèrent réaliser aujourd’hui, sauf que l’unité qu’ils cherchent à obtenir est de nature idéologique entre lesdits putschistes du Fatah et leurs sponsors américains, israéliens et arabes.

Le récent putsch du Fatah se préparait depuis un certain temps. Abbas, le Pinochet palestinien, a été préparé pour son nouveau rôle depuis un an et demi au moins, voire plus longtemps si vous ajoutez la période au cours de laquelle les Etats-Unis l’ont imposé comme premier ministre contre Yasser Arafat qui ne coopérait pas suffisamment avec les plans américains et israéliens.

Dès que, par un vote populaire majoritaire, les élections démocratiques ont délogé les putschistes du Fatah et porté le Hamas au pouvoir, on a mis en route le projet de déclaration de l’état d’urgence sur la ferme recommandation des Américains dont l’opposition à la démocratie dans le monde arabe a écrit les pages sanglantes de l’histoire passée et actuelle de la région.

Seul problème : l’occasion d’exécuter le plan ne se présentait pas. Ce n’est pas qu’Abbas et ses lieutenants putschistes n’aient pas essayé de la créer. Cela, ils l’ont fait en collaborant de façon ouverte et directe avec l’occupant israélien et son sponsor américain. Les man ?uvres ont prévu le siège économique et l’étranglement du peuple palestinien imposés par les Etats-Unis et l’Union européenne.

Israël a ré-envahi la Rive Occidentale et Gaza, des dizaines de parlementaires et ministres du Hamas ont été kidnappés et les bureaux du premier ministre ont été incendiés par des bandits du Fatah, lesquels ont aussi attaqué des ministres individuellement et ont effectivement saboté le travail des ministères, tout cela avec l’aide active des services de renseignements égyptiens et jordaniens, principaux consultants et conseillers d’Abbas, sur ordre des Américains et parfois, des Israéliens.

Sur le front idéologique, cet effort a été étayé par les déclarations des intellectuels palestiniens collaborateurs baptisés « laïcs » vu leur appui à Oslo ou grâce aux revenus qui leur ont été assurés par des ONG après Oslo. Leur action a été complétée par les intellectuels libanais de droite pro Hariri qui se font passer pour des « militants pro palestiniens de gauche » parce que pendant les années 70 et 80 ils ont rejoint les rangs du Fatah financé par les pays du Golfe.

Ces derniers mois, il n’y avait pas moyen de contenir la collaboration des putschistes du Fatah. On préparait ouvertement le putsch en demandant l’aide et l’entraînement étatsunisiens (aide fournie), l’aide d’Israël pour faciliter ces efforts (aide aussi généreusement offerte) et une couverture diplomatique arabe (toujours disponible). Ce plan dont j’ai exposé les détails dans un article en novembre dernier (voir « Pinochet en Palestine ») est maintenant mis à exécution avec une fanfare digne d’Augusto Pinochet lui-même.

Dans la tradition de tous les régimes arabes non élus qui ont aussi exécuté leurs coups d’Etat contre les forces démocratiques de leur société les soixante dernières années, les putschistes du Fatah ont déclaré que leurs ennemis démocratiquement élus étaient des « putschistes » qui conduisaient le peuple palestinien vers un « sombre » abîme !

Pinochet n’était pas plus tendre pour Allende et se voyait, lui et son coup d’Etat préparé par les USA, comme opérant en fait un réalignement qui remettrait la nation chilienne sur le droit chemin de service et de collaboration avec l’empire.

Les putschistes palestiniens savent qu’ils ne resteront au pouvoir et ne continueront à recevoir leur récompense financière que s’ils continuent à servir l’occupation israélienne et son sponsor américain. Effectivement, les putschistes palestiniens ont fait mieux qu’Israël et les Etats-Unis dans les accusations qu’ils ont inventées contre le Hamas.

Des expressions telles que « les forces des ténèbres » et « l’émirat des ténèbres » ne visent pas l’Etat juif raciste qui a opprimé les Palestiniens en invoquant la théologie juive, la suprématie raciale des juifs ; elles ne se rapportent pas non plus au bombardement massif et sans discrimination des civils ni au vol de leurs biens depuis soixante ans.

Elles désignent au contraire le Hamas démocratiquement élu qui s’est défendu contre le dernier coup d’Etat que le major putschiste Mohammed Dahlan a exécuté pour le compte du Fatah et de ses sponsors israéliens et américains à Gaza. La rhétorique de Abbas, sans aucun doute dictée par Condi Rice et Ehud Olmert, a pour parallèle celle des « intellectuels » palestiniens sur la liste de paie d’Oslo et celle de ses partisans libanais (qui à leur tour sont payés par Hariri Inc et le journal Al- Nahar).

La plus grande faute qu’a commise le Hamas a été sa victoire sur les putschistes après qu’ils l’eurent acculé dans l’espoir d’égorger tous ses dirigeants à Gaza. Le Hamas, qui a été plus que patient malgré des mois de provocations criminelles (notamment l’assassinat de ses dirigeants, l’emprisonnement et la torture des militants de base pour ne nommer que les faits les plus saillants) venant des putschistes, ne pouvait que se défendre contre leur assaut final.

Comme punition, le peuple palestinien qui a élu le Hamas, continuera à être victime des horreurs que lui infligent les Américains, les Israéliens et l’Union européenne. Les Américains et les Européens antidémocrates envoient déjà une récompense financière et diplomatique aux dirigeants du coup dans la Rive Occidentale et les Israéliens font de même, mais de façon plus prudente. L’aide israélienne a surtout consisté à bombarder Gaza et à monter des entretiens de « paix » avec le dirigeant du coup d’Etat à Sharm el-Sheikh en guise de récompense.

Effectivement, Israël, les Etats-Unis et l’Europe ont annulé toutes les mesures qu’ils avaient prises pour punir la démocratie palestinienne depuis l’élection du Hamas afin de récompenser les auteurs du coup de force anti-démocratique ?. A cet égard, Israël a restitué les recettes fiscales qu’il volait au peuple palestinien depuis un an et demi (environ un milliard de dollars EU).

Quant au gouvernement, né du coup de force illégal, convoqué par Abbas et le technocrate Salam Fayyad, premier ministre, il recevra, tout comme son prédécesseur chilien, toutes sortes d’aides économiques, militaires, diplomatiques et idéologiques. N’oublions pas que les économistes technocrates de « l’Ecole de Chicago », disciples de Milton Friedman , ont été ceux que l’on a chargés sous Pinochet de l’économie chilienne et qu’ils sont presque arrivés à la faire sombrer.

C’est l’exemple chilien qui a popularisé le terme « technocrate » au sein des gouvernements, terme qui est devenu courant après les années 80 et que l’on promet à présent au peuple palestinien comme sa planche de salut.
Depuis le coup qu’il a mené contre la démocratie, Abbas a suspendu les articles de la loi fondamentale palestinienne qui exige que le parlement approuve ses décisions. Il a aussi ordonné la dissolution de toutes les ONG ; celles-ci doivent à présent redemander une autorisation qui sera refusée aux organisations affiliées au Hamas, les acculant ainsi à l’illégalité.

Alors que le Hamas a mis fin au pillage et au désordre perpétrés par certains de ses membres en quelques jours, les bandits du Fatah continuent à détruire à grande échelle les bâtiments affiliés au Hamas, notamment les centres de services sociaux, les écoles et les bureaux sur toute la Rive Occidentale. Entre temps, les membres du Hamas, y compris des représentants élus, ont dû se cacher craignant pour leur vie, vu que des centaines d’entre eux ont été raflés par Israël et le Fatah. On signale un grand nombre de disparitions. Et tout ceci est pleinement appuyé par la « communauté internationale » au nom du soutien à la « démocratie ».

En fait, la rhétorique d’Abbas et de sa junte du Fatah est empruntée à celle qu’utilisent les Etats-Unis dans leur « guerre contre la terreur », spécialement parce qu’elle lie le Hamas à l’Iran.

Simultanément, les actes commis par les bandits du Fatah, qui ont notamment précipité un militant du Fatah (qu’ils avaient pris pour un militant du Hamas) du haut d’un grand building sont reprochés au Hamas par le ch ?ur séculier des intellectuels palestiniens (et des médias par satellite propriété des Saoudiens) qui appuient le coup du Fatah. Il serait peut-être possible d’expliquer le récent poème de Mahmoud Darwish soutenant le coup d’Etat et publié dans le journal saoudien Al-Hayat par le fait que le poète touche mensuellement un chèque de l’Autorité palestinienne contrôlée par le Fatah ; et il n’est pas le seul.

Le fait qu’il condamne les intellectuels séculiers qui appuient la démocratie palestinienne représente une nouvelle tentative visant à polariser la société palestinienne, non pas selon la division séculiers contre islamistes. Que ce soient les « séculiers » qui collaborent avec l’Israël théocratique pour détruire la démocratie codée en « Islamisme », voilà qui est représente comme la force de la modernité et des lumières occidentales. Ce que Darwish et ses semblables ne comprennent pas, c’est que ce sont les « forces des ténèbres » de l’islamisme en Palestine qui défendent la démocratie.

Le fait que nombre d’intellectuels séculiers partisans d’Oslo, défendent le coup d’Etat contre la démocratie palestinienne les transforme effectivement en « force la plus ténébreuse » de l’histoire palestinienne depuis des décennies.

Nous assistons à rien moins que l’effondrement total de l’exemple de résistance séculière à l’occupation israélienne. Le seul antidote à ces forces véritablement ténébreuses est le soutien et la mobilisation de la démocratie palestinienne et le démasquage des dirigeants du coup d’Etat antidémocratique ainsi que des intellectuels qui en font l’apologie pour ce qu’ils sont vraiment : des collaborateurs avec l’ennemi.

* Du même auteur : Le droit d’Israël d’être raciste


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Joseph Massad

Joseph Massad est professeur associé de politique arabe et d’histoire intellectuelle à l’Université de Columbia. Son dernier livre s’intitule : The Persistence of the Palestinian Question ; Essays on Zionism and the Palestinians.

4 juillet 2007 - The Electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à :
http://electronicintifada.net/v2/ar...
Traduction de l’anglais : AMG/MCC


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