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Après tout le sang versé, il n’y aura pas de retour en arrière possible

samedi 18 juin 2011 - 07h:27

R. Yassin-Kassab - Guardian

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La plupart des Syriens ne voulaient pas d’un changement de régime jusqu’à ce que l’Etat ait ouvert le feu. Maintenant, ils ne veulent rien de moins qu’une démocratie.

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Des enfants syriens participent à une veillée pour Hamza al-Khatib, âgé de 13 ans, torturé et assassiné par la police syrienne - Photo : Jamal Saidi/Reuters

En janvier dernier, la Syrie semblait, comme l’Arabie saoudite et d’autres Etats du Golfe, un des candidats les moins susceptibles de connaître une révolution. Si le président Bachar al-Assad avait concouru dans une véritable élection, il aurait bien pu l’emporter. Il est difficile de se souvenir aujourd’hui que la plupart des Syriens accordaient au régime le crédit, même à contrecoeur, de veiller à la sécurité et de poursuivre une politique plutôt nationaliste à l’extérieur. C’est ce désir de sécurité - la peur écrasante d’un chaos dans le style de l’Irak - qui maintient une partie de la société syrienne fidèle au régime, même encore aujourd’hui.

Au début, même s’ils ont été inspirés par la Tunisie et l’Egypte, la plupart des manifestants n’avaient pas pour objectif un changement de régime. La première manifestation dans le coeur commercial de Damas était une réponse à la brutalité policière. Cela a pris fin de façon pacifique, mais quand Deraa a protesté contre l’arrestation des écoliers, le régime a répliqué en faisant couler le sang. Choquées, les communautés dans tout le pays sont descendues dans les rues et ont été confrontées à une plus grande violence, ce qui a eu pour effet d’augmenter les foules. Un cercle vicieux a commencé.

Toutes les prétentions nationalistes et sécuritaires du gouvernement sont tombées, révélant une nature sombre et brutale.

Pire encore, le président a parlé de réformes, de mettre fin à l’état d’urgence et d’abolir les tribunaux détestés de la sécurité d’Etat. Mais au moment même où il parlait, le massacre s’intensifiait. Il n’y avait pas de moyen plus sûr de détruire sa crédibilité. Le torrent d’histoires horribles - les enfants torturés à mort, les femmes abattues, les zones résidentielles bombardées à coups d’obus - a littéralement fait voler en éclats la légitimité du régime.

L’extraordinaire stupidité de l’Etat est le reflet soit de la panique, soit de dissensions dans le cercle restreint dont Bachar ne peut être que la figure de proue. Les Syriens débattent de qui des Assad ou des Makhloufs (la famille de la mère de Bachar) composent la structure du pouvoir réel. Dans tous les cas, les dirigeants de la Syrie peuvent compter sur le soutien de la Garde Républicaine et des échelons supérieurs de l’armée. Mais aux échelons intermédiaires et au niveau de la troupe, les défections augmenteront au fur et à mesure que le régime cherchera à écraser les provinces.

Alors que faire ? Il existe une feuille de route pour une fin heureuse. La coordination des comités de base locaux [LCC] réclame la démission immédiate du président et la mise en place d’un conseil mixte civil et militaire afin de superviser une transition de six mois vers une démocratie pluraliste. « La Syrie nouvelle sera une république et un état civil qui appartiendra à tous les Syriens », dit la déclaration du LCC, « et non à un individu, une famille ou un parti. Elle ne sera pas donnée en héritage de père en fils. Tous les Syriens seront égaux en droits et en devoirs, sans discrimination. »

Si la transition commençait encore aujourd’hui, cela pourrait fonctionner, mais les chances du régime de s’incliner avec bonne volonté sont proches du zéro absolu. Cela signifie que le chaos ira en s’aggravant.

Jusqu’à présent, malgré l’histoire souvent difficile de la Syrie et les tactiques du régime de diviser pour régner, une guerre sectaire semble peu probable. Lorsque 100 000 personnes ont défilé à Hama, vendredi dernier, ils ont scandé : « D’Qardaha à Sanamein, les Syriens sont un seul peuple. » Qardaha est la ville natale de la famille Assad, dans le pays alaouite et Sanamein est un village pauvre sunnite près de Deraa où beaucoup de gens ont été tués. Et le slogan a été scandé à Hama, la ville investie par les Frères musulmans en 1982 et le lieu d’un véritable massacre lorsque le régime a repris la place. De tels slogans d’unité nationale montrent un nouveau niveau de maturité et d’intelligence politique chez les Syriens, mais ces qualités seront mises à rude épreuve si les massacres continuent.

L’intervention occidentale est improbable - l’Otan est débordée [par la guerre qu’elle a lancée en Libye] et une aventure en Syrie impliquerait un engagement dans une possible guerre régionale - et ne serait pas bien accueillie par les Syriens dans tous les cas. En Irak, l’intervention étrangère a déclenché la guerre civile.

Une intervention turque est une autre affaire. Célébrant dimanche la réélection de son parti, l’AK, pour un troisième mandat, le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, a salué « ceux dont les yeux sont fixés sur la Turquie avec une grande excitation ... toutes les capitales des pays voisins. » À la lumière du réveil arabe, le « zéro problème avec les voisins » de la politique turque est en passe de disparaître. Ce mardi Erdogan a déclaré qu’Assad devait stopper la répression et mettre en ?uvre des réformes. La veille, il avait exprimé sa volonté de travailler avec la Grande-Bretagne pour une résolution de l’ONU condamnant la Syrie. Mais il est des faits sur le terrain qui vont compter. Si beaucoup plus de réfugiés rejoignent les 8500 qui ont déjà fui vers la Turquie, Erdogan peut ordonner une occupation limitée du territoire syrien pour établir un « refuge sûr ». L’incapacité du régime syrien de conserver sous son contrôle une section du territoire national peut se révéler un point de basculement. Cela pourrait également donner à la Syrie son Benghazi [ville de l’Est de la Libye], une base pour une résistance organisée.

Si le premier ennemi des démocrates syriens est le régime syrien, et le second le spectre de la violence sectaire, le troisième est représenté par des forces extérieures qui cherchent à tirer profit des événements. L’économie syrienne n’est pas loin de l’effondrement. Tout futur gouvernement pourrait être particulièrement facile à soudoyer dans les prochaines années.

L’Arabie saoudite donne de l’argent comptant au conseil militaire au pouvoir en Egypte. Il reste à savoir quelles en sont les conditions. L’argent saoudien pourrait jouer un rôle important dans la nouvelle Syrie aussi, ainsi que le pourrait une équipe hétéroclite d’exilés - l’oncle du président, Rifaat al-Assad, l’organisateur du massacre de 1982 à Hama, et l’ex-figure du régime Abdul-Halim Khaddam, ainsi que les Frères musulmans syriens qui ont un passé et un programme sectaires et déplaisants. Il y a aussi tout un contingent de libéraux nord-américains dont certains sont manipulés par les néoconservateurs.

Il est facile d’imaginer un accord entre l’Arabie et des officiers syriens et sunnites ainsi qu’avec les Frères musulmans, et un régime « islamiste modéré » semi-répressif, organisant des programmes sociaux, la libéralisation économique sans entraves ni limites et conservant une attitude passive à propos du Golan sous occupation. Israël et l’Occident peuvent tacitement soutenir un tel aboutissement, car une Syrie réellement démocratique en plus d’une Egypte réellement démocratique aussi, constitueraient le plus grand défi imaginable à la domination des Palestiniens par Israël.

Il est peu probable que les Syriens, après avoir versé tant de sang, se contenteraient d’un tel arrangement.

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16 juin 2011 - The Guardian - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.guardian.co.uk/commentis...
Traduction : al-Mukhtar


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