Mis au pied du mur par les constructions à Jérusalem-Est, le Président des Etats-Unis fait part de reproches qu’on n’attendait pas d’un allié d’Israël. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu démarre la construction de nouveaux logements à Jérusalem-Est au risque de provoquer une réaction féroce, voire violente de la part des Palestiniens, et des dénonciations de la part de la communauté internationale, comme le rapporte le New York Times. Cela ressemble à un résumé des nouvelles du mois dernier, il s’agit en fait d’articles remontant à 1997 quand Israël a commencé la construction de la colonie de Har Homa.
Un certain nombre de commentateurs ont exprimé un sentiment de déjà-vu depuis que Netanyahu exerce la fonction de Premier ministre. Alors que toute l’attention des observateurs est portée sur des colonies comme Ramat Shlomo, dans laquelle doivent être construits 1 600 logements comme cela a été annoncé lors de la visite du Vice-Président américain Joe Biden, ou Sheihk Jarrah victime d’une emprise grandissante de la part des colons extrémistes de droite, on a dit peu de choses sur ce qui est arrivé à Har Homa, la colonie qui a provoqué des troubles durant le précédent ministère de Netanyahu.
L’impact de Har Homa sur la communauté palestinienne est dévastateur, avec la ville de Beit Sahour maintenant dominée par une colonie en expansion continue. Si beaucoup se rappellent la mémorable résistance non violente dont a fait preuve Beit Sahour pendant la Première Intifada (1987/1993), peu savent à quel point les règlements imposés par Israël étouffent littéralement la ville. De ce point de vue, Beit Sahour, de par son exemplarité, joue un rôle dans les récentes tentatives de la part des colons de s’accaparer davantage de terre à Ush al-Ghrab, le site d’une base militaire israélienne vacante. Installée au bord de Beit Sahour, l’armée israélienne a réoccupé le site. Les colons de droite, eux, font campagne pour que la zone devienne la nouvelle colonie de Shdema.
Une colonie stratégique
En 1967, Israël a entrepris un rapide déplacement, unilatéral et illégal, des frontières de Jérusalem, expropriant dans ce but des habitants des villages de Cisjordanie. Comme le dit le quotidien israélien Haaretz du 13 février, Beit Sahour a perdu 1 200 de ses 7 000 dunams (un dunam représente 10 000 m²) soit 17% de sa terre.
De plus, selon un rapport de mai 2009 du Bureau onusien pour la coordination des questions humanitaires, (OCHA), intitulé Réduction de l’espace : contraction urbaine et fragmentation rurale dans la division administrative de Bethlehem, cette division, qui inclut Beit Sahour, a perdu 10 km² suite à la confiscation israélienne de la terre.
Dans son livre, La cité de pierre, l’histoire cachée de Jérusalem, Meron Benvenisti, l’ex-maire-adjoint de Jérusalem, a déclaré que pour Israël, la considération déterminante pour la fixation des frontières de Jérusalem-Est occupée, était « un maximum d’espace libre avec un minimum d’Arabes ». Pour lui, ceci transférait en toute logique le cadastre palestinien aux abords et autour de la ville. » (154 155) Une nouvelle perte de terre s’ensuivrait - en d’autres mots l’étendue des terres non construites réservées au développement et à la croissance de Beit Sahour été réduite à environ 600 dunams.
La création israélienne de Har Homa dans les années 90 et son expansion continue, est exemplaire, pas seulement en ce qui concerne la confiscation des terres des habitants de Beit Sahour, mais aussi du point de vue de la limitation de son expansion naturelle. D’après Séparés et inégaux : L’histoire cachée des règlements en vigueur à Jérusalem Est de Amir S. Cheshin, Bill Hutman and Avi Melamed, l’affectation de terres à l’établissement de Har Homa, dont un tiers appartenait aux Palestiniens de Beit Sahour et de Um Taba à côté, n’a jamais fait partie de la planification de ce lieu. En fait, le but était de « s’accaparer autant de terres non mises en valeur que possible dans cette zone, pour empêcher les Palestiniens d’y construire ». Israël craignait en particulier que les constructions palestiniennes finiraient par relier les villages palestiniens du sud de Jérusalem avec les villes avoisinantes de Cisjordanie, Beit Sahour et Bethlehem (p 58).
Séparés et inégaux révèle aussi qu’en avril 1992 un fonctionnaire haut placé proche de Teddy Kollek, alors maire de Jérusalem, a écrit à Ariel Sharon, à l’époque ministre du Logement, expliquant comment la terre confisquée pour Har Homa « redresserait » le tracé de la frontière municipal de Jérusalem. La lettre expliquait qu’on avait réussi à relier les colonies juives de Gilo, East Talpiot et Givat Hamatos. Autrement, avertissait-il, Beit Sahour et la ville palestinienne voisine, de Sur Baher seraient reliées entre elles ( 59 ).
Har Homa a en fait continué de s’étendre, ajoutant de nouvelles unités d’habitation.
Actuellement, une nouvelle extension comprenant des centaines d’habitations et dénommée Har Homa C, attend le feu vert suite au dépôt d’un dossier pour examen public en 2008.
La même stratégie visant à relier les colonies israéliennes et à empêcher le développement des villages palestiniens est maintenant appliquée à Ush al-Ghrab ; l’implatation d’une colonie à Ush al-Ghrab permettra de consolider la judaïsation israélienne de la partie située entre Jérusalem et le triangle urbain de Bethlehem-Beit Jala-Beit Sahour et d’empêcher toute contiguité territoriale palestinienne.
La stratégie n’est d’ailleurs pas un secret. Haaretz rapportait le 4 février que Herzl Yechezel, le leader du comité Har Homa, a fait état lors d’une cérémonie qui rassemblait les colons, de l’importance de la contiguité de Shdema et de Har Homa, afin d’empêcher « l’extension des constructions arabes » Yezechel avait auparavant décrit Har Homa « comme une épine » entre les villages et les villes Palestiniennes.
Un régime d’apartheid
La perte de terre palestinienne et l’installation de colonies ont été « complétées » par le mur d’Israël dans la Cisjordanie occupée, des checkpoints et la route de contournement 356.
Cette matrice de contrôle a déterminé les frontières de cette enclave Palestinienne. D’après le rapport de OCHA, Réduction de l’espace, le tracé du mur israélien a placé les oliveraies appartenant aux Palestiniens de Beit Sahour, du « mauvais côté ». D’après de même rapport, les oliveraies ne sont plus accessibles que par « deux portes dans le mur qui sont ouvertes pour des périodes limitées pendant la récolte annuelle des olives ». D’après un rapport du 11 avril 2009 de l’agence Reuters, le mur israélien a aussi pour conséquence que les Palestiniens d’un futur lotissement de Beit Sahour, qui ont évité de justesse une démolition immédiate, se retrouveront complètement encerclés, devant désormais « entrer et sortir par une porte contrôlée par les israéliens. »
Comme le mur, la route de contournement 356 est conçue pour limiter le développement de Beit Sahour. La route relie Har Homa et Jérusalem-Est occupée avec la colonie israélienne de Teqoa au sud est. Ouverte en 2007, la route s’étend sur 19 kilomètres dans la division administrative de Bethlehem et plus loin vers les colonies israéliennes du sud de la Cisjordanie près d’Hébron. Comme l’a décrit Nate Wright dans son article du 7 octobre pour le Middle East Report, la route de contournement 356 « démarque effectivement les limites » de Beit Sahour, en renforçant les colonies de Gush Etzion à l’Est. De ce point de vue, elle limite l’aspiration à se développer démographiquement et économiquement de la région de Bethlehem dans le futur.
Beit Sahour est emblématique eu égard à la situation vécue par les palestiniens des Territoires occupés. D’après un rapport d’ OCHA, de mai 2008, intitulé Absence de permis : Démolitions et déplacements consécutifs dans la zone C, deux tiers de la division admistrative de Bethlehem continue à faire partie de la « Zone C » d’après les accords d’Oslo signés par Israël et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Avec un contrôle total de la part des Israéliens, construire et se développer est presque totalement impossible dans la « Zone C ». De plus, la « Zone C » représente plus de 60% tu territoire occupé de Cisjordanie.
Si d’un côté l’annonce du développement ou de création de nouvelles colonies fait les nouvelles du jour pendant quelques semaines avant d’être bientôt oubliées, l’impact de la colonisation israélienne sur les communautés palestiniennes est lui, dévastateur. Des gestes diplomatiques n’apportent strictement rien à des villes comme Beit Sahour, étouffée par un régime d’apartheid qui condamne les Palestiniens à des enclaves de plus en plus petites, invivables, ces gestes n’ont aucun impact sur une politique conçue pour rendre intenable toute vie normale et toute présence palestinienne durable.
Ben White est journaliste indépendant, spécialisé sur la Palestine/Israël.
Son site : http://www.benwhite.org.uk, et son adresse : ben@benwhite.org.uk
Du même auteur :
Un coup de dés désespéré...
La réalité d’un seul Etat
Expropriations bureaucratiques
19 avril 2010 - The Electronic Intifada - traduction : Jean Michel