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L’alliance USA-Iran-Arabie saoudite vaincra-t-elle l’État islamique ? Et si oui, quels en seront les effets ?
samedi 30 août 2014 - Abdel Bari Atwan
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Combattants de l’État islamique, après qu’ils se soient emparé de matériel militaire lourd au nord de l’Irak - Photo : AP

Le Royaume d’Arabie Saoudite conclut une alliance avec l’Iran tandis que les États-Unis coordonnent la sécurité avec le régime syrien du président Bachar al-Assad (contre lequel, il y a un an, les Américains fournissaient de l’argent et des armes à l’opposition). Pendant ce temps, le gouvernement irakien dirigé par Nouri al-Maliki est mis au service de son plus proche allié, l’Iran.

Lorsque de tels petits miracles se produisent du jour au lendemain, il convient alors de s’interroger sur ce phénomène qu’on appelle l’« État islamique ». Ce dernier a modifié les rapports de force et réuni les camps opposés de la région, tout en déclenchant cependant une autre guerre dans un Moyen-Orient qui en compte déjà tant.

La question qui se pose maintenant concerne la source de la puissance dont dispose l’État islamique. Une puissance supérieure à celle de toute organisation islamique similaire, si bien que les alliances régionales et internationales se sont portées contre elle, avec vitesse et ardeur. Une telle alliance entre camps opposés n’est pas la première du genre : plusieurs autres alliances de ce type se sont déjà produites au cours de l’Histoire. Celle du Britannique Winston Churchill avec Staline, son ennemi juré communiste, face à la menace nazie d’Hitler, en est un exemple, tout comme l’alliance conclue par l’Arabie saoudite avec le dictateur irakien Saddam Hussein, malgré son opposition bien connue au Parti Baas et à tous les autres partis nationaux, afin de faire face à la révolution menée par Khomeini en Iran.

Plus tard, le gouvernement saoudien a accueilli 500 000 soldats américains sur son sol, dans le but de se débarrasser de Saddam Hussein suite à l’invasion du Koweït par ses troupes. On peut aussi citer l’alliance entre les musulmans et les États-Unis dans le but de combattre les troupes soviétiques en Afghanistan, dont découlent les attentats du 11 septembre et la guerre féroce contre le terrorisme. Cette liste ne s’arrête pas là.

La source du pouvoir de l’État islamique réside dans un ensemble de facteurs clés. Pour commencer, l’État islamique se présente comme un défenseur de l’Islam sunnite face à la marginalisation et à l’exclusion des sunnites dans de nombreuses régions du Moyen-Orient, notamment en Irak, dans les points de référence sunnites établis qui restent silencieux.

L’État islamique a adopté des méthodes violentes, cruelles et sanguinaires pour terroriser ses opposants. Cette approche a été employée dans d’autres pays par le passé, pour des « révolutions » islamiques mais aussi laïques. Par exemple, 42 000 personnes ont été exécutées pendant la première phase de la Révolution française, dont 17 000 à la guillotine. Au milieu du XVIIe siècle, la Première Révolution anglaise, plus connue en Angleterre sous le nom d’« English Civil War » et considérée par certains historiens comme le véritable point de départ de la démocratie britannique, a entraîné la mort de 60 000 personnes.

La situation qui se rapproche peut-être le plus de l’action de l’État islamique est l’exemple de Gengis Khan, le chef mongol qui a tué beaucoup de ses compatriotes avant de tuer des millions de personnes dans le cadre de sa politique basée sur « le choc et la terreur ». N’oublions pas non plus Abou Jaafar al-Mansour, qui a fondé l’Empire abbasside avec le sang de ses adversaires. Je reconnais, et je tiens à le souligner, que ces massacres relèvent du terrorisme et que toute reproduction de ces derniers par l’État islamique est injustifiée et doit être condamnée. En me rapportant à ces faits, j’essaie de placer l’État islamique et ses actes dans un contexte historique, bien qu’il existe une grande différence entre les valeurs de la Révolution française et celles de l’État islamique, ainsi que leurs actions.

Suite aux révolutions du prétendu Printemps arabe qui n’ont pas permis d’instaurer la démocratie et la justice sociale, ni de rétablir une certaine fierté ou gloire dans le monde arabe, des régimes dictatoriaux ont surgi des cendres des insurrections dans la plupart des pays. De plus, les interventions occidentales ont fait capoter ces révolutions. Tous ces facteurs ont entraîné la création d’un vide qui a été comblé rapidement par des organisations islamiques extrémistes, dont l’État islamique et le Front Al-Nosra. Elles ont d’abord reçu le soutien du monde arabe et des occidentaux dans leur fronde menée pour renverser le régime syrien et son pendant libyen dirigé par Mouammar Kadhafi.

L’État islamique a pu prendre le contrôle de vastes territoires représentant un quart de l’Irak et un tiers de la Syrie, tout en assurant une gestion et une prestation de services pour les 6 millions de personnes qui y vivent et qui ont enduré des années de chaos sanglant, de corruption et de répression. L’organisation qui le contrôle, Al-Qaïda, était elle-même sous l’égide des Talibans en Afghanistan et n’a donc pas l’autonomie et la liberté nécessaires pour agir de sa propre initiative.

L’indépendance de l’État islamique en termes de financement et d’armement est due en grande partie à ses succès contre l’armée irakienne, et les entrepôts de l’Armée syrienne libre ont fourni l’organisation en armes de pointe, pour la plupart en provenance d’Amérique.

À cela s’ajoute le fait que l’État islamique a réussi à recruter plus de 50 000 jeunes musulmans partout dans le monde, dont 6 000 au cours du seul mois dernier, en raison de leur admiration vis-à-vis des victoires remportées par l’organisation. Ces chiffres devraient gonfler de façon spectaculaire au cours des prochains mois, étant donné qu’un grand nombre de jeunes musulmans sont frustrés par l’état du pays et que les combattants de l’État islamique personnifient pour eux la puissance qu’ils aspirent à avoir. L’intérêt des adolescents pour les jeux vidéo violents, simple évolution technologique de la passion de ma génération pour les films de guerre et les westerns violents, ne se limite pas à la jeunesse musulmane. Par conséquent, la tournure des événements n’est pas surprenante.

En outre, la transformation de la plupart des pays arabes en des États défaillants et régis par des gouvernements centraux faibles, a forcément eu un impact sur le succès relatif de l’État islamique. Cette évolution crée un environnement propice à la création de groupes militants et extrémistes à caractère terroriste. La Libye, l’Irak, le Yémen et de nombreuses zones de la Syrie et du Liban qui ne sont plus sous l’autorité de l’État central en sont d’excellents exemples.

Mardi, dans sa déclaration officielle, le grand mufti d’Arabie saoudite, Cheikh Abdel Aziz Al-Cheikh, a indiqué que « l’extrémisme et les idéologies des groupes comme l’État islamique et Al-Qaïda » (il n’a pas mentionné le Front Al-Nosra) constituent l’ennemi « numéro un » de l’Islam. « Ces groupes extrémistes n’ont pas leur place dans l’Islam », a-t-il ajouté. Il a également souligné, et c’est là sa déclaration la plus dangereuse, qu’il est permis d’un point de vue de l’Islam de tuer les membres d’Al-Qaïda et de l’État islamique parce qu’ils sont « un prolongement des Kharijites », une secte hérétique au temps des débuts de l’Islam.

Cette déclaration du directeur du Comité permanent pour la recherche islamique et de la délivrance des fatwas (avis juridiques islamiques) est la première et la plus puissante réponse à la provocation du monarque saoudien contre l’État islamique et à ses accusations de paresse lancées contre les chercheurs. C’est également le reflet de la vive inquiétude du Royaume et de sa crainte de voir ce phénomène contaminer la société saoudienne.

La crainte est bien réelle : en effet, d’après les résultats d’un sondage d’opinion réalisé sur les sites des médias sociaux, 92 pour cent des jeunes Saoudiens soutiennent l’État islamique, son idéologie et ses actions. Même si la marge d’erreur est de 50 pour cent, les chiffres feront quoi qu’il en soit froid dans le dos. Ceci explique aussi l’annonce par les autorités saoudiennes de la réalisation d’un sondage d’opinion officiel auprès des jeunes Saoudiens. S’il a lieu, ce sondage sera sans précédent, puisqu’en général, Riyad ne reconnaît pas les sondages, tout comme les élections démocratiques.

L’alliance occidentale qui s’établit dans la région peut-elle vaincre l’État islamique ? Il n’est pas facile de répondre à cette question, dans la mesure où les États-Unis luttent contre Al-Qaïda depuis environ 20 ans et ont envahi deux pays sous prétexte de vouloir éliminer l’organisation, sans succès. Au lieu de cela, la menace a grandi et des branches ont été créées à travers le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. Aujourd’hui, cette menace prend une forme plus dangereuse avec l’État islamique et le Front Al-Nosra. En outre, l’émirat des Talibans, renversé il y a 13 ans, est sur le point de revenir au pouvoir en Afghanistan.

Bien que le positionnement de pays musulmans tels que l’Iran, l’Arabie saoudite, l’Irak et la Syrie dans la nouvelle alliance contre l’État islamique représente un développement sans précédent, il est difficile de déterminer avec certitude si cette approche aura plus de succès que les efforts fournis précédemment par les pays arabes et musulmans dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et Al-Qaïda en particulier. On pourrait toutefois être surpris.

Ceci dit, ces alliances sont temporaires et prendront fin une fois que les raisons de leur formation auront disparu. Churchill et les Occidentaux ont poursuivi la guerre froide contre l’« empire du mal » qu’était l’Union soviétique jusqu’à sa chute, tandis que les groupes islamiques djihadistes alliés avec les Occidentaux contre les Soviétiques en Afghanistan se sont retournés contre eux et les ont vaincus, partiellement ou totalement, en Irak et même en Afghanistan. En Libye, les rebelles qui ont combattu Kadhafi avec l’aide des avions de l’OTAN sont actuellement bombardés de la même manière que leurs adversaires d’autrefois, peut-être même de façon plus agressive.

L’État islamique constitue la menace la plus importante pour la région et ses gouvernements, et je crois que l’Amérique et l’Europe seront menacées à l’avenir ; les menaces proférées par l’État islamique, qui souhaite noyer ces pays dans des mers de sang en réponse aux bombardements américains, en sont un signe. Néanmoins, je dois également avouer que l’État islamique est directement le fruit de l’intervention militaire et financière occidentale et régionale dans les deux pays où ce groupe a imposé son « État », à savoir la Syrie et l’Irak. Cette intervention a causé jusqu’à présent la mort d’un million d’Irakiens et de 200 000 Syriens, et ces chiffres continuent de grimper.

Aux yeux de ses adversaires, l’organisation terroriste qu’est l’État islamique a initié un processus de changement global et peut-être même radical dans la région. Un changement qui ne s’arrêtera pas, que cette organisation soit vaincue ou non. La guerre contre ce groupe va s’éterniser car sa suppression ne sera pas facile ; elle coûtera en effet beaucoup d’argent et de vies. Il suffit d’évaluer l’ampleur des coûts de la guerre américaine menée contre Al-Qaïda jusqu’à maintenant pour avoir une idée de ce que je veux dire. Certains ne seront pas d’accord avec moi, mais croyez-moi, cette guerre va durer très longtemps.

* Abdel Bari Atwan est palestinien et rédacteur en chef du site Raialyoum. Abdel Bari Atwan est considéré comme l’un des analystes les plus pertinents de toute la presse arabe.

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21 août 2014 - Rai-alyaoum - Vous pouvez consulter cet article à :
https://www.middleeastmonitor.com/a...
Traduction : Info-Palestine.eu - Valentin B.