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Alice Walker : « Passer les check-points israéliens, c’est le retour au temps du combat pour les Droits civiques aux États-Unis »
mardi 6 décembre 2011 - Dr Hanan Chehata - MEMO

Interview exclusive


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Je suis une grande partisane du BDS. Franchement, je pense que c’est la meilleure, absolument la meilleure méthode.

La lauréate du Prix Pulitzer américain, Alice Warker, a été jurée au Tribunal Russel sur la Palestine qui s’est tenu en Afrique du Sud cette année. Auteure prolifique de romans, poésies et nouvelles, ses livres, romans et récits, ont été vendus à plus de quinze millions d’exemplaires dans le monde entier. On la connaît surtout pour son livre célèbre La Couleur pourpre, mais elle est aussi une militante politique convaincue et active dans les campagnes.

La Dr Hanan Chehata, du Moniteur du Moyen-Orient, a rattrapée Mme Walker à Cape Town pour lui demander pourquoi elle s’est tant attachée à la cause palestinienne. Au cours de l’entretien, les similitudes entre le combat palestinien pour la libération et celui des Afro-américains à l’époque des Droits civiques se révèlent évidentes. Elle exprime sa conviction que « les Américains ont le devoir d’agir pour défendre le peuple palestinien » et elle propose en outre que les colonies illégales, financées par les contribuables américains et à leur insu, doivent être habitées par les Palestiniens à qui ces terres appartiennent et qui doivent tous « revenir chez eux ».

Hanan Chahata : Comment, et pourquoi, vous êtes-vous impliquée dans le militantisme palestinien ?

Alice Walker : J’ai épousé un juif, un avocat, nous étions ensemble lors de la guerre des Six-Jours (1967) et nous étions très heureux, parce ce qu’on pensait à l’époque qu’Israël était toujours opprimé et toujours menacé, et dès lors nous étions vraiment satisfaits de le voir se défendre lui-même, et bla-bla-bla, et bla-bla-bla. Mais nous n’avons pas été d’accord sur la question du territoire ; je disais qu’Israël devait rendre le territoire, tout de suite. J’ai dit, « OK, la guerre est finie, maintenant vous rendez la terre ». Lui, mon mari disait, « Non ils (les Israéliens) ont besoin de ce territoire, parce que s’ils ne l’ont pas ce territoire, les Arabes, dans leur ensemble, vont bombarder Israël. » Je n’ai pas avalé ça. J’ai pensé que si vous preniez la terre d’un peuple, vous le lésez, un préjudice dont il ne se remettra jamais. C’est là que mon intérêt s’est éveillé. J’ai su pour les massacres à Sabra et Shatila (massacres à Beyrouth en 1982) ; j’ai su que Golda Meir avait dit qu’il n’y avait rien qui ne ressemblât à un Palestinien, et ainsi de suite. J’étais rédactrice en chef au Madame Magazine et une rédactrice juive y a prétendu que la femme afro-américaine était antisémite parce nous demandions, « Qu’en est-il de la Palestine ? » ; « Et des massacres ? » ; « Et de la terre ? ».

J’ai donc écrit un article, il y a des années, qui est toujours sur mon site, disant pourquoi les gens de couleurs aux États-Unis devaient se motiver pour la cause palestinienne et qu’on leur en voudrait pour cela, qu’on leur dirait que ce sont des antisémites ; c’était autour de 1983. Depuis lors, je m’y suis simplement intéressée. Je me suis intéressée à tant de causes. Tout ce que je veux pour les gens, c’est qu’ils soient heureux et aient ce dont ils ont besoin, et que leurs enfants soient en sécurité, ainsi, d’une certaine façon, il peut s’agir de n’importe qui, et il y a d’autres régions dans le monde pour lesquelles je me suis tout autant dévouée.

HC : Vous êtes allée à Gaza et en Cisjordanie à plusieurs occasions. Pouvez-vous nous parler un peu de ces voyages, et nous dire pourquoi vous avez décidé de vous y rendre ?

AW : La première fois que je suis allée à Gaza, c’était en 2009, avec l’opération Code Pink (avec ma bonne amie Medea Benjamin). Je vais au Mexique, chaque hiver. Alors que je m’y trouvais, en 2009, ma s ?ur est décédée et j’ai été bouleversée. J’ai entendu alors aux informations qu’il y avait une mère palestinienne qui avait perdu, dans un bombardement (israélien), cinq de ses filles et que, elle, était sans connaissance. Vous savez parfois comment les choses se produisent dans votre propre vie et vous vous sentez vide et anéanti, et puis vous apprenez la tragédie de quelqu’un d’autre, et elle sonne juste. Il fallait simplement que j’y aille et que je dise à ceux qui avaient survécu que je n’étais pas d’accord avec ça. Je payais tout cet argent en impôts, de l’argent qui était utilisé pour acheter ces bombes alors que jamais, je ne jetterais, moi, une bombe sur vous ou vos enfants. Nous y sommes allées très peu de temps après, une ou deux semaines simplement. Nous avons pris un car dans le centre-ville du Caire, nous avons traversé le Sinaï et nous nous sommes retrouvées dans la bande de Gaza. Elle était dévastée à un point incroyable. C’était si troublant. J’ai parlé avec des psychiatres et certains hospitaliers qui allaient essayer de guérir les enfants. Je voulais voir des femmes palestiniennes surtout de celles qui avaient perdu leurs enfants pour qu’elles sachent que tout le monde aux États-Unis ne sautaient pas de joie et n’applaudissait pas à leurs souffrances.

C’était donc la première fois (que j’allais à Gaza). Puis je suis allée en Cisjordanie pour un évènement « Ted X » (plateformes de rencontres, moments d’échanges et de réflexions autour d’idées nouvelles - ndt) à Ramallah qui a été magnifique, puis j’ai passé une semaine avec Pal Fest (Festival palestinien de littérature). Ce fut magnifique aussi. Comme si je m’étais trouvée dans ma tribu. Et puis après cela, (en juillet 2011), il y a eu la deuxième Flottille pour la Liberté. Ce que j’ai aimé là, c’était de savoir que chaque personne sur ce bateau était prête à donner tout ce qu’elle avait. C’était magnifique ; des gens si surprenants. J’étais sur le bateau américain, sur le Audacity of Hope. Le gouvernement israélien a obligé le gouvernement grec (les bateaux devaient prendre la mer en Grèce) à nous empêcher de partir pour quelque destination que ce soit, mais nous sommes partis quand même. Mais nous n’avons fait que quitter le port. Nous avons réussi à aller jusqu’à dix milles en pleine mer et ils sont arrivés, avec leurs armes, ils nous ont forcés à faire demi-tour, nous barrant la route après deux heures de mer environ.

HC : C’était incroyablement courageux étant donné que vous saviez ce qui était arrivé aux gens sur le Mavi Marmara, lors de la première Flottille de la Liberté (en mai 2010), quand les commandos israéliens ont tiré et assassiné neuf militants internationaux pour la paix. Vous ne partiez pas à l’aveuglette. Vous saviez tous quel grand risque vous preniez.

AW : Je ne pense pas que cela puisse arrêter qui que ce soit. Vraiment pas. Je ne pense même pas que ce soit du courage. L’humanité - une partie - est si consciente, et elle est si consciente que la vie est à ce point précieuse que vous devez faire tout ce que vous pouvez pour que tout devienne possible pour les autres ; surtout pour les enfants. Eux n’ont pas voix au chapitre dans toute cette folie.

HC : Vous avez été ouvertement très critique de la politique étrangère de l’Amérique au cours de ces années. En 2003, à la veille de l’invasion de l’Iraq, vous avez été arrêtée pour avoir franchi un barrage de police devant la Maison-Blanche, lors d’un rassemblement pour la paix pour s’opposer à l’invasion. Depuis, l’Amérique s’est lancée dans des guerres et dans des propagandes bellicistes non seulement en Iraq mais aussi en Afghanistan, au Pakistan et en bien d’autres endroits dans le monde. Que pensez-vous de la politique étrangère actuelle de l’Amérique, en général ?

AW : Désastreuse ! Nous sommes en train de nous appauvrir et nous serons bientôt un pays pauvre. Nous sommes déjà sur le point de devenir un pays très pauvre et ceci est vraiment choquant pour la plupart des Américains qui en réalité pensaient que, quel que soit pour nous le prix d’une guerre, il nous en resterait assez chez nous, ce qui était absurde. Cela vous montre comment vous pouvez être aveugle quand vous avez été un privilégié toute votre vie et que tout le monde s’en remettait à vous, que vous obteniez tout ce que vous vouliez ; et pour la classe moyenne à la peau blanche, en Amérique, la vie c’était cela, pratiquement.

HC : Au cours de l’une des sessions du Tribunal Russel à Cape Town, vous avez dit quelque chose sur le contrôle du Congrès US par les sionistes. Pouvez-vous nous en expliquer un peu plus là-dessus ?

AW : Netanyahu (Benjamin, Premier ministre israélien) est récemment venu en Amérique (en mai 2011) et il a prononcé un discours au Congrès. C’est un homme qui a bombardé les systèmes d’adduction d’eau à Gaza, et ceux de l’assainissement, et il a tué tous ces jeunes gens et... c’est juste qu’une catastrophe et (les membres du Congrès) se sont tous levés comme des marionnettes, et ils rayonnaient, ils applaudissaient et lui ont fait quelque chose comme trente ovations debout ! Si ce n’est pas le témoignage qu’ils sont contrôlés financièrement par le lobby sioniste, alors je ne sais pas ce qu’il vous faut comme preuve.

Le lobby sioniste est remarquablement puissant mais sa puissance est égale à l’ignorance des gens et j’ai tellement confiance dans ce qui est en train de se passer avec la prise de conscience du peuple américain. Une fois les Américains éveillés, ils peuvent bouger vraiment rapidement comme vous pouvez voir. Les gens en ont vraiment assez d’être ignorés et traités comme s’ils devaient juste se satisfaire de futilités, pendant que les riches, et le gouvernement qu’ils ont acheté, les conduit à la ruine.

HC : En tant que militante des Droits civiques, vous devez être pressée de voir le jour où une personne à la peau noire sera président, mais vous venez de nous montrer comment vous pouvez être critique à l’égard de la politique étrangère américaine. Comment ressentez-vous ce qu’a fait Barack Obama en représentant la population noire en Amérique ?

AW : Je pense qu’il était naïf de notre part de penser qu’il serait en mesure de faire beaucoup, dans un tel système maléfique (le gouvernement américain). Il n’y en a généralement pas beaucoup à l’approuver pour son traitement de la population indigène, de la population noire, de la population pauvre. Le fondement du gouvernement US est le terrorisme ; ils ont éliminé les natifs américains en grande partie et ils nous ont asservis pendant des centaines d’années. Il y a eu la ségrégation. Je suis née dans la ségrégation. Même si j’ai été très heureuse de l’avoir parce que si je pense que pour les enfants, de voir quelqu’un de noir, intelligent, positif, est une forme de médecine, dans le même esprit, je pense qu’en le voyant éviscéré par ses adversaires n’est pas une bonne chose pour nos enfants.

HC : Faites-vous un parallèle entre le mouvement pour les Droits civiques aux États-Unis et ce que traverse le peuple palestinien aujourd’hui ?

AW : Oui ; c’est tellement semblable. C’est être conscient, en tant que population asservie, que ceux qui sont au pouvoir ne peuvent véritablement pas vous considérer comme des êtres humains. Ils n’ont aucun respect. Il y a eu un temps dans notre histoire où on disait d’une personne noire qu’elle n’était que les trois quarts d’une personne - voir l’affaire Dred Scott (milieu du 18è siècle). Quand j’étais en Cisjordanie en particulier, j’ai ressenti la tension des Palestiniens qui ne pouvaient entrer dans Jérusalem par exemple, et qui ont dû descendre de la fourgonnette. Rien que de conduire dans les environs de la cité provoquait une tension. Notre chauffeur a essayé de nous emmener sur certaines routes palestiniennes mais malheureusement il a été bloqué, et nous avons dû prendre une autoroute israélienne, mais là ce fut le naufrage complet, puisqu’il lui était interdit de par loi de conduire sur une route pour « Israéliens seulement ». Et puis, il y a aussi un système différent de plaques d’immatriculation, et ainsi de suite. Et rien que l’arrogance, c’est déjà incroyable.

Ma compagne et moi étions passées par l’entrée du pont Allenby et il nous avait fallu neuf heures (pour Jérusalem). Nous avons été soumises à, j’estime, environ un tiers de l’arrogance et de la haine que vit le peuple arabe de la part des soldats israéliens ici, et c’était comme de remonter le temps, voyant notre peuple et nos aînés et nos parents traités comme des moins que rien alors qu’ils essayaient de faire quelque chose. Je ne tolèrerai pas cela. Je ne peux le tolérer. Pas question. C’est absolument ce qu’a été notre combat. J’espère que les Palestiniens vont en apprendre davantage sur le mouvement des Droits civiques en Amérique, parce qu’il leur serait très utile de comprendre comment notre peuple a obtenu sa liberté. La violence en fait ne fonctionne pas. C’est quelque chose de si mauvais, même si vous en avez envie, beaucoup, elle se retourne contre vous, et il vous faut une autre stratégie, c’est utile d’avoir une stratégie qui vous renforce aussi.

HC : Quelles leçons peuvent tirer les Palestiniens du combat sud-africain et du mouvement états-unien pour les Droits civiques en termes de méthodes pour réussir dans leur propre combat ? Par exemple, le BDS (boycotts, désinvestissements et sanctions) vous paraît-il être la bonne méthode pour aller de l’avant ?

AW : Je suis une grande partisane du BDS. Franchement, je pense que c’est la meilleure, absolument la meilleure méthode, parce que le gouvernement et le peuple israélien aiment vraiment faire du commerce et faire de l’argent, et donc tout ce qui interfère avec cette volonté attire tout au moins leur attention.

HC : L’une de vos citations que je préfère, c’est : « Le militantisme est mon loyer pour vivre sur cette planète ». Si les gens avaient n’avaient qu’un seul moment pour se dévouer à une cause, pourquoi devraient-il choisir de militer en se concentrant sur la question palestinienne alors qu’il y a tant d’autres causes importantes dans le monde aujourd’hui ?

AW : Cela dépend d’où vous venez. Je pense que les Américains ont le devoir d’agir pour défendre le peuple palestinien parce qu’à l’insu d’une multitude d’entre eux, ils causent de graves préjudices en vendant des armes et en accordant à Israël tant de soutien que l’inégalité est énorme. La plupart des Américains n’ont aucune idée qu’en payant leurs impôts, une grande partie de leur argent va s’en aller en Israël et que les Israéliens auront des piscines, alors que les enfants en Palestine n’ont même pas d’eau potable. La plupart des Américains ne savent pas cela. S’ils le savaient, ils trouveraient un moyen pour dire ce qu’ils ont à dire là-dessus.

HC : Il semble que l’opinion publique américaine devienne doucement consciente du fait que l’Amérique envoie plus de 3 milliards de dollars par an en Israël, alors qu’il y a des gamins américains, chez eux, qui n’ont pas les moyens d’avoir des vêtements, des chaussures et de la nourriture.

AW : C’est vrai. Les Américains commencent tout juste à se rendre compte de tout cela maintenant. Ils ne nous écoutaient pas auparavant, nous le leur disions, mais ils n’entendaient pas, mais maintenant, ils le doivent parce qu’ils n’ont pas de travail, ils ont perdu leurs maisons et ils voient que le gouvernement n’est pas digne de confiance, c’est le moins que l’on puisse dire.

HC : Vous avez publiquement déclaré qu’Israël est le plus grand terroriste dans cette partie du monde. Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?

AW : Eh bien, ils ont beaucoup d’armes nucléaires et s’en servent comme d’une menace pour les peuples autour d’eux. Et ils sont soutenus par les États-Unis militairement, de sorte que même en ne larguant réellement aucune de ces bombes - et ils font tomber beaucoup d’autres bombes - rien que le fait de posséder tout cet arsenal et d’avoir les États-Unis comme soutien, rien que ce fait signifie qu’ils terrorisent les gens. Maintenant, un terroriste, c’est quelqu’un qui vous terrorise, c’est cela un terroriste ; donc si vous envoyer des drones tuer des gens et effrayer le voisinage, vous êtes un terroriste. La guerre est du terrorisme ! Ils tentent adroitement de faire croire qu’ils ne sont pas des terroristes, que ce sont tous les autres qui sont les terroristes, mais c’est vraiment ridicule.

HC : Avez-vous un message que vous aimeriez adresser aux Palestiniens et aux Israéliens ?

AW : Je me sens très encouragée par le travail en commun que je vois entre Palestiniens et Israéliens. Il y a des gens incroyablement courageux des deux côtés. Nous avons connu cela dans le Sud (américain) aussi. Nous avons eu certaines personnes de race blanche qui sont venues et nous ont aidés et c’est tellement merveilleux de voir la liberté d’esprit et la liberté du c ?ur de gens, qui, contre toute propagande et toute horreur, continuent d’être ensemble et de faire ce qui doit être fait, et c’est ce qui me rend heureuse. A mon point de vue, la seule solution sera que tous vont devoir vivre ensemble là-bas, et, étant donné je suis le payeur en tant que contribuable pour toutes ces colonies, je pense que tous les Palestiniens qui sont à l’étranger ont maintenant un endroit agréable pour vivre et qu’ils doivent revenir tout de suite, s’installer dans ces colonies et y vivre heureux, et s’y baigner dans ces piscines. Ce n’est pas qu’ils doivent être « autorisés » à le faire, c’est parce que c’est leur droit. Nous payons pour ces constructions coloniales et parce que nous payions pour ces constructions, je peux dire en tant que contribuable américain qui peut y vivre, et je dis à la s ?ur vivant quelque part en réfugiée avec ses dix gamins, « Revenez chez vous ! »

Voir aussi :

- Alice Walker : la Flottille de la liberté pour Gaza et le combat pour la justice - Ali Abunimah - The Electronic Intifada




Hanan Chehata est juriste, elle possède une maîtrise en justice pénale et un doctorat en droit. Elle est actuellement conseillère de presse au Moniteur du Moyen-Orient (MEMO) et on peut la contacter à l’adresse : middleeastmonitor.org.uk. Elle a été membre de la délégation de solidarité de Viva Palestina à Gaza en décembre 2009. (Source)

Du Dr Hanan Chehata :

- Victoire juridique pour les militants du BDS

24 novembre 2011 - MEMO - Moniteur du Moyen-Orient - traduction : JPP