16 septembre 2017 - CONNECTEZ-VOUS sur notre nouveau site : CHRONIQUE DE PALESTINE

Réfugiés oubliés : les Palestiniens au Liban (2/3)

lundi 22 novembre 2010 - 07h:32

Ahmed Kouaou
CBC/Radio-Canada

Imprimer Imprimer la page

Bookmark and Share


Deux journalistes et un réalisateur de CBC/Radio-Canada. Une mission : réaliser un webdocumentaire après avoir séjourné dans le camp de réfugiés palestiniens de Chatila, au Liban. Découvrez le quotidien des plus anciens réfugiés du monde en lisant le blogue de notre ami journaliste Ahmed Kaouaou. (2è partie)

Voir la première partie

La douleur d’un blessé de guerre

15 novembre 2010

Par : Ahmed Kouaou

JPEG - 12.5 ko
Youssef en compagnie de sa fille et de sa femme.

Je le croyais muet ou aphone à mon arrivée à Chatila, quand il m’avait été brièvement présenté par un membre de l’instance locale chargée de gérer les affaires courantes du camp. Tête baissée et le regard emprisonné sous de larges lunettes noires, Youssef, un grand homme réservé, avait de la peine à prononcer quelques mots. « La situation n’est pas facile », s’est-il contenté de me dire, les trémolos dans la voix, presque en s’excusant de m’avoir adressé la parole.

Durant ma première semaine à Chatila, j’apercevais de temps en temps Youssef, claudiquant et traînant son dés ?uvrement dans les boyaux obscurs. Puis, un jour, je décide de lui parler. L’air timide, il acquiesce poliment à ma demande d’entrevue et ôte ses lunettes pour se présenter. J’ai immédiatement compris le sens de son geste : son ?il gauche n’existe plus. Arraché, son précieux organe de la vue n’est plus qu’un trou béant qu’il se garde d’offrir aux regards.

Youssef, 42 ans, a été atteint de plusieurs balles lors de la guerre des camps qui a fait rage entre 1985 et 1986. Les affrontements sanglants opposaient les milices du mouvement chiite Amal à des Palestiniens, dont ceux de Chatila. Il était de retour de l’école quand sa maison a été bombardée. Deux de ses frères ont été tués sur le coup, tandis que d’autres membres de sa famille s’en sont sortis avec des blessures graves. En plus d’une balle qui lui a traversé l’ ?il, Youssef a été atteint au crâne, au bras, au genou et au niveau de la hanche. Son corps, criblé de balles, est parcouru par des cicatrices indélébiles.

Après avoir reçu les soins d’urgence dans le camp, il a été transporté dans un hôpital libanais, où il est resté plus de trois mois dans le coma. À son réveil, il raconte que des militants du mouvement Amal sont venus dans l’établissement de santé pour achever les patients palestiniens. « Ils jetaient les gens par la fenêtre », dit-il. Youssef affirme qu’il doit son salut à un militant du Parti progressiste socialiste, de Walid Joumblatt, qui l’aurait protégé des assaillants.

JPEG - 11.6 ko
En raison de sa blessure au genou, il a du mal à marcher.

Commencent alors de longs voyages en Europe pour se faire soigner, avec l’aide d’organisations internationales. Youssef a passé différents séjours à Chypre, en Roumanie, en Pologne et en Espagne, où les balles ont été extraites de son corps. « En Pologne, se rappelle-t-il, une médecin a proposé de m’adopter, mais j’ai refusé ». Il est donc retourné au Liban, en 1989, où il a été détenu plus tard par des Syriens pendant 25 jours. L’armée syrienne était intervenue au pays du Cèdre depuis 1976, après le début de la guerre civile.

Ses deux frères ont été emprisonnés pendant trois ans, « pour le seul motif que nous sommes Palestiniens », explique-t-il.

Youssef a fini par revenir à Chatila, le camp qui l’a vu naître, après un passage à Nar Al-Bared. Il vit depuis dans la maison familiale, qui a été reconstruite. Incapable de fournir le moindre effort physique, il n’a jamais travaillé. Il a tenté de vendre des cigarettes dans la rue afin de subvenir aux besoins de sa famille, mais ses maux de tête incessants l’ont vite découragé. « Je suis incapable de travailler. Je ne peux même pas rester longtemps dehors, car j’ai du silicone sur ma tête. Je ne supporte ni la chaleur ni le froid. Je suis souvent endormi à la maison », confie-t-il.

JPEG - 9.7 ko
Il a survécu à une balle au-dessus du front.

Pauvre, mais digne

Aujourd’hui père de trois enfants, Youssef vit notamment de l’aide mensuelle de 100 $US que lui fournit une association locale d’aide aux blessés. Chaque trimestre, il perçoit aussi une somme de 50 $US ainsi que des produits alimentaires de l’UNRWA, l’agence des Nations unies qui gère les camps de réfugiés palestiniens.

Maigres revenus qui laissent peu de choix au père de famille. « Moi et ma femme avons de la dignité et ne mendions pas. Mais il y a des gens bien qui nous aident en argent, en vêtements, en nourriture, Dieu merci ! », se réjouit-il. Endetté, il dit toutefois qu’il ne peut pas compter sur l’aide des autres et songe désormais à faire sortir de l’école ses garçons, de 9 et 10 ans, afin de les envoyer sur le marché du travail. « Je vais juste leur laisser le temps d’apprendre à lire et à écrire et je vais les envoyer ensuite travailler, comme mécanicien par exemple. Que voulez-vous que je fasse ? », s’interroge-t-il. De toute manière, Youssef estime que ses enfants n’ont rien à apprendre à l’école, car « les enseignants ne leur apprennent rien. Ils sont là juste pour le salaire ».

JPEG - 13.2 ko
Avec son fils de 9 ans. Il compte mettre fin prochainement à sa scolarisation afin de l’envoyer sur le marché du travail.

Mardi, c’est l’Aïd, une fête religieuse pendant laquelle les musulmans sacrifient traditionnellement un mouton. C’est aussi la fête des enfants, qui, à l’occasion, ont droit à des jouets, de nouveaux habits et de petits montants d’argent. Youssef, sans le sou, n’a rien à offrir à sa progéniture et ne sait pas comment passer l’Aïd. « Demain, je vais m’asseoir devant ma porte. Des âmes charitables passeront peut-être », espère cet homme à la douleur muette, mais combien profonde.

Arafat, l’icône des réfugiés palestiniens

12 novembre 2010

Par : Ahmed Kouaou

JPEG - 43.8 ko
Il y avait foule aux célébrations du 6e anniversaire de la mort de Yasser Arafat, à Chatila.

Fanfares, fanions et affiches déployés partout, la cour située au centre de jeunes de Chatila s’est parée samedi de ses plus beaux atours pour célébrer le 6e anniversaire de la mort de Yasser Arafat. L’événement est festif, mais solennel aussi.

Vêtus de keffiehs et d’habits imitant les uniformes militaires pour certains, les enfants savourent ce jour de fête et papillonnent allègrement parmi la foule compacte, qui a répondu à l’appel de la section locale du Fatah.

JPEG - 26.4 ko
Une fillette palestinienne, vêtue d’un chandail à l’effigie de Yasser Arafat, assiste aux cérémonies en agitant un fanion palestinien.
JPEG - 25.2 ko
Un jeune Palestinien vêtu en militaire joue avec un pistolet en plastique lors des célébrations .

Abou Ammar, comme on l’appelle ici, demeure un symbole fort chez les réfugiés palestiniens, notamment les plus vieux. « Il est l’âme de la cause palestinienne, il est notre père, notre guide. Il est tout pour nous », s’époumone un octogénaire, qui a été parmi les premiers réfugiés à s’installer à Chatila. Il a quitté sa Palestine natale en 1948.

JPEG - 26.5 ko
Les réfugiés palestiniens, notamment ceux âgés, considèrent Yasser Arafat comme l’icône de leur cause.

Les fissures dans l’unité politique

Arafat, le fédérateur et l’icône de la cause palestinienne, est d’autant plus admiré par les réfugiés que l’unité politique au sein du camp présente des signes évidents de fissuration, en raison des clivages internes. Plusieurs organisations sont en effet représentées à Chatila, dont le Fatah, le Hamas, le Djihad islamiste et le Front démocratique de libération de la Palestine.

Même si ces formations politiques réussissent tant bien que mal à cohabiter à Chatila, leur division demeure visible et constitue source de beaucoup de frustration chez les réfugiés. « Je suis Arafiste moi ! Depuis la mort d’Abou Ammar, c’est fini. Ces organisations sont pourries, c’est juste du business », me disait l’autre jour Mustapha, dans la soixantaine.

«  Quand je prie dans cette mosquée, les gens de l’autre mosquée me regardent d’un mauvais ?il », s’est-il désolé, allant jusqu’à souhaiter « longue vie à [Ariel] Sharon », révolté qu’il est par l’absence d’unité chez les Palestiniens.

Beaucoup de réfugiés, moins incisifs que Mustapha, m’ont fait part auparavant de leur désillusion devant l’éclatement des rangs. D’autres, plus nuancés et optimistes, estiment que la diversité des courants politiques est un signe de bonne santé démocratique dans la société palestinienne.

Il n’est pas fortuit du reste que l’unité nationale soit présentée, dans le communiqué diffusé par des militants du Fatah au début des cérémonies, comme « une condition sine qua non pour la réalisation du projet national [l’établissement d’un État palestinien avec Jérusalem comme capitale] ».

Le texte insiste aussi sur le retour des réfugiés palestiniens dans leur pays et leur recommande de refuser toute naturalisation. Les rédacteurs du communiqué invitent également les Palestiniens à respecter la souveraineté libanaise et à observer « une neutralité positive » pour ce qui est de la politique interne.

JPEG - 35.4 ko
Une jeune Palestinienne, membre d’une fanfare, joue de la cornemuse à l’occasion des célébrations.

A suivre, troisième partie

18 novembre 2010 - Radio-Canada - toutes les photos sont de Ahmed Kouaou/Radio-Canada


Les articles publiés ne reflètent pas obligatoirement les opinions du groupe de publication, qui dénie toute responsabilité dans leurs contenus, lesquels n'engagent que leurs auteurs ou leurs traducteurs. Nous sommes attentifs à toute proposition d'ajouts ou de corrections.
Le contenu de ce site peut être librement diffusé aux seules conditions suivantes, impératives : mentionner clairement l'origine des articles, le nom du site www.info-palestine.net, ainsi que celui des traducteurs.