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Réfugiés oubliés : les Palestiniens au Liban (1/3)

samedi 20 novembre 2010 - 11h:23

Ahmed Kouaou
CBC/Radio-Canada

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Deux journalistes et un réalisateur de CBC/Radio-Canada. Une mission : réaliser un webdocumentaire après avoir séjourné dans le camp de réfugiés palestiniens de Chatila, au Liban. Découvrez le quotidien des plus anciens réfugiés du monde en lisant le blogue de notre ami journaliste Ahmed Kaouaou. (1ère partie)

CBC/Radio-Canada

Oum Mouslim, ou le visage de la détresse humaine

18 novembre 2010

Par : Ahmed Kouaou

Chaque fois que je passe par cette ruelle, elle est là, adossée à la porte cadenassée d’une maison inoccupée, une cigarette au bec, le regard perdu, secouant légèrement la tête comme pour donner le ton à son doux murmure.

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Pas question de quitter Chatila sans parler à cette femme mystérieuse, dont le silence et la mine défaite, me dis-je, doivent cacher une profonde tristesse. Mais ce jour-là, elle n’est pas à sa place habituelle. « Vous cherchez Oum Mouslim ? Elle est certainement partie au souk pour glaner quelques fruits et légumes », me lance de son balcon Abou Mohamed, un voisin. « Elle est très pauvre, me dit-il, et va souvent au marché pour tenter de trouver de quoi se mettre sous la dent ».

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Oum Mouslim remplit une citerne, espérant avoir des habitants de l’immeuble quelques livres libanaises en contrepartie.

Une heure plus tard, je reviens au même endroit et j’aperçois enfin sa silhouette se faufilant, tel un fantôme, entre des citernes placées au rez-de-chaussée de l’immeuble. Oum Mouslim se charge de remplir ces réservoirs et, malgré une santé vacillante, porte des jerricanes d’eau jusqu’aux étages supérieurs dans l’espoir d’obtenir quelques sous en contrepartie.

Cette femme de 41 ans incarne, à elle seule, toute la détresse du camp. Elle a perdu assez jeune son mari diabétique, puis a tenté, veuve, d’élever ses trois enfants, avant qu’un autre drame vienne l’affliger. Sa fille de 21 ans s’est suicidée en se jetant du quatrième étage après une histoire d’amour impossible avec un cousin.

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Oum Mouslim a aussi deux enfants, dont un handicapé. Ils sont tous les deux pris en charge dans un orphelinat de Beyrouth. « Je ne les ai pas vus depuis plus de dix ans », me confie cette mère éplorée.

Comme je suis curieux de connaître ses conditions de vie, Oum Mouslim m’invite à entrer dans sa bicoque de quelques mètres carrés, dépourvue d’électricité. J’en sors aussitôt, chassé par des odeurs pestilentielles et des nuées de moustiques. Mon hôte se moque de ma réaction et m’encourage à faire une autre tentative. Ce que je réussis. C’est le noir absolu et il m’est impossible de cadrer mes photos dans cette grotte ténébreuse. Je tâtonne tout de même en actionnant le flash. Et ce n’est qu’en sortant de ce gouffre que je découvre, sur l’écran de mon appareil photo, le délabrement avancé des murs et du plafond, lézardés et tapissés de poches d’eau. Crasseuse, la salle de bain ruisselle de partout. Difficile de croire qu’un être humain vit dans un tel endroit.

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La salle de bain d’Oum Mouslim.

« J’irais vivre en Palestine »

Oum Mouslim m’apprend, à ma grande surprise, qu’elle n’est pas Palestinienne. Elle fait partie de ces Libanais qui, fuyant la cherté de la vie dans les grandes villes, n’ont d’autre choix que de s’installer dans les camps de réfugiés, où les loyers sont plus abordables.

Elle vit seule avec son malheur et passe le plus clair de son temps dehors avec son amie Amou Mustapha, une autre Libanaise au destin tragique. « Je n’ai pas de frères, de soeurs ou de parents, je n’ai rien. Ma belle famille ? Elle ne cherche jamais à avoir des nouvelles. Je n’ai personne, sauf Dieu », se plaint-elle, le doigt pointé vers le ciel.

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Oum Mouslim en compagnie de son amie Amou Mustapha avec laquelle elle passe le plus clair de son temps dehors.

En plus de la profonde détresse qui l’accable, Oum Mouslim souffre de plusieurs problèmes de santé, « notamment à la tête, aux pieds et à la hanche ». On le devine bien d’ailleurs à sa démarche boiteuse. Et comme si un drame ne suffisait pas, elle a été blessée à l’ ?il lors de la guerre des camps en 1985-86, quand le mouvement chiite libanais Amal avait pris d’assaut les camps de réfugiés palestiniens.

Terrible sort d’une femme qui se dit aujourd’hui plus palestinienne que libanaise. « Ce sont eux, les Palestiniens, qui prennent soin de moi ici au camp », affirme-t-elle, en se montrant reconnaissante envers les voisins qui tentent, chacun selon ses moyens, de l’aider en lui procurant vêtements et nourriture. « Si les Palestiniens retournent un jour dans leur pays, j’irais vivre avec eux là-bas. Ce sont eux ma famille », clame cette infortunée Libanaise, réfugiée dans son propre pays.

Le dortoir des laissés-pour-compte

17 novembre 2010

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Salma, une Bangladeshie qui vit à Chatila.

Il faut emprunter une sinistre venelle, se faufiler dans le tas de câbles électriques, qui côtoient dangereusement les tuyaux d’eau, pour se frayer un chemin vers Salma, une Bangladeshie qui réside à Chatila.

Beaucoup de Palestiniens m’ont déjà parlé des nombreux « étrangers » qui vivent dans le camp. On y trouve des Indiens, des Bangladeshis, des Sri-lankais, des Irakiens, des Syriens, mais aussi des Libanais dont la pauvreté est égale au dénuement des réfugiés palestiniens.

Curieux de rencontrer ces fameux « étrangers », je me présente donc chez Salma, sans avertir, accompagné de mon guide Mahamad. Elle a les yeux écarquillés et le souffle coupé en voyant deux hommes se pointer devant sa porte. « Moi, pas de problème, pas de problème ! », répète-t-elle dans un arabe approximatif, presque en nous suppliant. Elle nous prend pour des représentants des autorités libanaises venus contrôler son identité.

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Elle partage un petit appartement avec une colocataire à Chatila.

Il faut donc de longues minutes de palabres, de gesticulations surtout, pour tenter d’expliquer à Salma que je suis journaliste et que je m’intéresse simplement à la vie quotidienne dans le camp. Pas très rassurée, elle consent tout de même quelques réponses à mes questions, fixant d’un regard méfiant mon appareil photo.

Mère de deux enfants qui sont restés avec leur père au Bangladesh, cette femme de 33 ans est au Liban depuis deux ans et travaille, en dehors du camp, comme femme de ménage chez des particuliers et des petits commerçants. Salma fait partie de cette main-d’oeuvre au rabais qui fuit les pays pauvres dans l’espoir de trouver un gagne-pain dans certaines capitales arabes. Elle perçoit en moyenne 4,5 $ US par jour, parfois plus, parfois moins. Quoi qu’il en soit, « c’est mieux qu’au Bangladesh. Là-bas, il n’y a rien ».

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Salma montre fièrement les photos de ses filles.

Salma vit à Chatila avec une amie dans un modeste appartement loué à 150 $ le mois. « À Beyrouth, elle aurait payé 500 ou 600 $ pour le même logement », me dit son locataire, qui vient de se joindre à la discussion.

Elle a choisi de vivre dans le camp, où les loyers sont modestes, pour faire des économies et envoyer ainsi de l’argent à sa famille. Mais elle se plaint de ne pas réussir à épargner assez, en raison de ses problèmes de santé. « Je dépense beaucoup d’argent pour me faire soigner », affirme-t-elle, en tentant de m’expliquer, les deux mains sur le ventre, ce dont elle souffre.

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Elle se plaint de dépenser beaucoup d’argent en médicaments.

Émue, la jeune mère écrase quelques larmes à l’évocation de son état de santé et de son exil forcé. Elle dit ne pas avoir les moyens de rendre visite à sa famille au Bangladesh et compte travailler encore durement pendant une année avant de se permettre un tel voyage. Puis, son visage rayonne en me montrant les photos de ses filles qu’elle porte aussitôt à sa poitrine.

Salma se prête même volontiers à une courte séance photo et m’autorise à photographier son misérable taudis. Entre deux clichés, elle me demande si j’ai un travail à lui proposer et jure qu’elle sait tout faire. Puis, soudainement, gagnée par un sentiment de confusion mêlée à de la peur, elle s’exclame à nouveau : « Moi, pas de problème, pas de problème ! ».

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Comme beaucoup de personnes venues des pays pauvres, ces jeunes femmes du Sud-Est asiatique vivent à Chatila, où le loyer est abordable.

Le coeur n’est pas à la fête

16 novembre 2010

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Les soeurs Selmia (à droite) et Hania (au centre) se recueillent sur la tombe de leurs proches.

Il est 6 h du matin. Une timide lueur caresse les maisons encore somnolentes de Chatila. La cacophonie des scooters et des petits ateliers cède à un calme inhabituel, mais les ruelles grouillent déjà de monde. Des processions de familles se succèdent, le pas résolu, affluant vers la même direction : le cimetière, situé à la lisière du camp.

C’est la fête de l’Aïd ce mardi. Et en pareille circonstance, les Palestiniens commencent très tôt leur journée en allant se recueillir sur les tombes de leurs proches.

À 6 h 30, quand les s ?urs Hania et Selmia arrivent au cimetière, celui-ci est déjà bondé de monde. À l’entrée, des vendeurs de fleurs et quelques mendiantes accueillent les visiteurs matinaux. À l’intérieur, de nombreuses personnes, des femmes notamment, s’affairent à la recherche d’une ou de plusieurs sépultures. Ici, en plus de la mort naturelle des leurs, beaucoup de Palestiniens vivent encore avec le chagrin de la perte tragique d’un ou de plusieurs membres de la famille dans l’un des nombreux drames qui ont frappé Chatila.

Les mains ouvertes, Hania et Selmia récitent des versets coraniques et observent, le visage grave, quelques moments de silence devant une tombe. Elles ont perdu leur frère et leur s ?ur pendant la guerre des camps de 1985-1986. Le mouvement chiite Amal avait alors effectué des descentes sanglantes dans le camp. Hania a aussi perdu son mari lors de l’offensive israélienne à Beyrouth, en 2006. Il revenait du Danemark avec la promesse d’un prochain regroupement familial, puisqu’il s’apprêtait à obtenir ses papiers de résident.

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Ahmad récite quelques versets coraniques devant la tombe de son oncle, tué en 1975, au début de la guerre civile au Liban.

À peine les deux s ?urs parties, voici qu’arrive Ahmad, un homme de 42 ans au parcours cauchemardesque, que j’avais rencontré auparavant. Il s’agenouille d’abord devant la tombe de son oncle, tué en 1975, au début de la guerre civile au Liban. Puis, il se met à chercher, parmi la foule, la tombe de son frère Djamel, fauché à la fleur de l’âge durant la guerre des camps. Le rituel est le même : il faut débarrasser la sépulture des feuilles mortes, la fleurir et psalmodier quelques sourates.

Retour au camp en compagnie d’Ahmad pour visiter le mausolée du massacre de Sabra et Chatila de 1982. Il a été à l’origine du recensement des victimes de cette tuerie, qui a fait plus de 500 morts, selon lui. Son frère Ali a été enterré dans cet endroit. Il a laissé derrière lui trois filles. Ahmad a dû épouser par la suite la femme de son frère avec laquelle il a eu d’autres enfants. Promis à une belle carrière sportive et plein d’ambitions artistiques, il a renoncé à ses rêves et à son amour de jeunesse pour gérer un douloureux héritage familial.

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Ahmad reconnaît sur des photos certaines victimes du massacre de Sabra et Chatila. Il venait de quitter les lieux lorsque les événements se sont produits.

À quelques encablures de ce monument funéraire se trouve la fosse commune dans laquelle ont été enterrées à la hâte les victimes de cette hécatombe. Un terrain vague au milieu duquel a été bâtie une stèle dédiée à la lutte contre l’oubli. Seuls une délégation russe et quelques visiteurs sont passés par là aujourd’hui, me dit le gardien des lieux. Ahmad parcourt de sa main l’une des photos prises après le massacre et nomme presque tous ceux qui y figurent. Il était là 10 minutes auparavant. Il avait alors 13 ans et a eu la vie sauve grâce à l’avertissement d’un habitant du camp. « Je les ai vus, les Israéliens et leurs complices tirer sur nous. Ariel Sharon était là, je l’ai vu », ne cesse de répéter ce quadragénaire à la vie tourmentée.

Même s’il a échappé au massacre de 1982, Ahmad vit aujourd’hui avec les stigmates d’une horreur répétée à Chatila. Il a été atteint de plusieurs balles durant les autres affrontements qui ont eu lieu dans le camp. Invalide à 65 %, selon un document médical qu’il arbore, il est au chômage, en raison de son incapacité à trouver un travail qui n’exige pas de grands efforts physiques.

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Des filles de Chatila jouent sur une balançoire aménagée devant une maison détruite pendant la guerre civile au Liban.

D’un témoignage bouleversant à un autre, j’oublie presque que c’est l’Aïd à Chatila. Seuls quelques enfants, ceux qui ont eu la chance d’avoir des habits neufs et quelques jouets, s’agitent dans les ruelles pour donner à cette fête musulmane quelques notes de gaieté. D’autres, tout contents d’avoir quelques livres libanaises, investissent l’aire de jeu aménagée pour la circonstance à l’entrée du camp. Plus loin, à l’entrée d’une mosquée, un quidam m’interpelle et m’invite à entrer. On y distribue bruyamment quelques morceaux de viande à des veuves et à des familles démunies. C’est un homme aisé du camp qui en fait don à l’occasion de l’Aïd, me dit-on. Une jeune mère, ravie d’avoir obtenu sa modeste part, quitte précipitamment les lieux. À la maison l’attendent un mari cancéreux et quatre enfants, dont trois souffrent d’asthme et de maladies cardiaques.

A suivre, deuxième partie

18 novembre 2010 - Radio-Canada - toutes les photos sont de Ahmed Kouaou/Radio-Canada


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