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Avigail Abarbanel : le regard d’une thérapeute sur Israël

vendredi 28 mai 2010 - 06h:30

Avigail Abarbanel
Tidings - Palestine Think Tank

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Avec une identité forgée par leurs ennemis et renforcée par les institutions religieuses, éducatrices, militaires et culturelles de l’Etat, accompagnée d’un récit de traumatisme, les Israéliens ne sont pas prêts à se voir autrement.

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L’isolement protecteur contre ce qui est vu comme un monde hautement dangereux et contre quiconque est perçu comme un ennemi, est une conséquence naturelle du traumatisme.




Avigail Abarbanel est une psychothérapeute née en Israël qui a émigré en Australie en 1991. Il y a quelques mois, elle et son mari se sont rendus dans les Highlands en Ecosse où ils projettent de monter leur cabinet Conseil.

J’ai trouvé revigorant et intéressant de discuter avec une psychothérapeute sur un sujet - Israël - que je trouve toujours plus déroutant. Comme beaucoup d’autres, semble-t-il, je me demande : Pourquoi les Israéliens font-ils ce qu’ils font ? Pourquoi continuent-ils à le faire ? Ne voient-ils voir les dommages qu’ils se créent à eux-mêmes, aux Palestiniens, à nous tous ? J’ai demandé à Avigail si elle voulait porter un diagnostic sur Israël, comme si cette nation était l’un de ses clients, et ensuite suggérer quelle sorte de traitement lui semblerait recommandé.

Voici, résumés aussi succinctement que j’ai pu, les grands axes des réponses d’Avigail, tout en affirmant énergiquement qu’à la base de ses propos il y a une distinction claire entre explication et excuse.


Le traumatisme et ses ramifications sont au c ?ur de la nation israélienne :

C’est le principe organisateur de la population et de la psychologie israéliennes qui a façonné son caractère national. Mais ce n’est pas à cause de l’Holocauste de la Deuxième Guerre mondiale ; la semence était déjà là, dans la culture, dans les récits bibliques (voir Josué, voir Deutéronome, les Nombres, l’Exode) et à travers des siècles d’histoire, dont le mouvement sioniste à la fin du 19è siècle.

Les racines de la victimisation et de la persécution remontent à il y a longtemps.

Malheureusement, l’une des caractéristiques du traumatisme c’est qu’il se transmet à travers les générations, et il prolifère au sein des générations.

Le traumatisme, comme nous l’enseigne le TSPT (trouble de stress post-traumatique), est un phénomène cliniquement établi qui peut se manifester lorsque le sujet malade perçoit une menace existentielle. Le problème, c’est que cette menace peut être, ou ne pas être, réelle aujourd’hui. Objectivement, Israël, avec sa force militaire et sa puissance nucléaire, est l’une des plus formidables forces au monde ; pourtant, les aspects irrationnels d’insécurité persistent, entretenus au lieu d’être gérés, traités et apaisés, et aujourd’hui, amplifiés avec l’Iran.

Avec une identité forgée par leurs ennemis et renforcée par les institutions religieuses, éducatrices, militaires et culturelles de l’Etat, accompagnée d’un récit de traumatisme, les Israéliens ne sont pas prêts à se voir autrement.

Ceux qui le leur proposent - vous, moi, les juifs libéraux, le juge Goldstone - sont exclus, considérés comme hostiles à Israël, et s’ajoutent à la liste toujours plus longue de ses ennemis. Comme l’a dit George W. Bush : « Ou vous êtes avec nous, ou vous êtes avec les terroristes ».

L’isolement protecteur contre ce qui est vu comme un monde hautement dangereux et contre quiconque est perçu comme un ennemi, cet isolement est une conséquence naturelle du traumatisme.

Les dimensions gigantesques du complexe mur/clôture construit par Israël en Cisjordanie évoquent clairement à quel point chaque homme, chaque femme, chaque enfant palestinien est considéré comme dangereux.

Sur son blog, dans la riche rubrique Palestine/Israël, Abarbanel écrit : « L’histoire d’Israël et du peuple palestinien est celle d’un traumatisme transmis d’une génération à l’autre » et « mon peuple... a permis que sa qualité de vie et son identité d’être déterminées par ceux qui le haïssaient et commettaient des crimes contre lui. » Mais elle poursuit : « La guérison est une entreprise risquée qui nécessite une volonté de changer son identité » et non pas, comme elle le dit, d’essayer d’être des timorés.

Abarbanel s’appuie sur les travaux du psychiatre américain Murray Bowen et la « relation étroite entre traumatisme et persécution, et une tendance à insister sur la force de l’intime. Quand on insiste sur l’intime, ceux qui ne ressentent pas, ne pensent pas, n’approuvent pas, et n’agissent pas comme le fait le groupe, alors ils peuvent être considérés comme des traîtres. » Citant la théorie de la différenciation de Bowen, elle croit qu’Israël est une « culture de consensus » et une « société pauvrement diversifiée... avec un sentiment individuel très, très enchevêtré et compromis avec le sentiment du groupe. »

Sur la base de cette analyse, Avigail Abarbanel pense qu’ « on ne peut pas raisonner Israël », c’est « une société traumatisée et par conséquent très dangereuse ». L’appliquant aux modèles de thérapie des familles, elle compare Israël à un époux violent, les Palestiniens à l’épouse maltraitée, et les Etats-Unis au voisin qui encourage en n’intervenant pas.

Elle plaide pour une solution à un Etat unique au conflit Israël/Palestine mais elle avertit que la coexistence des deux populations traumatisées exigera beaucoup d’imagination et d’intelligence.

Selon elle, il existe suffisamment de personnes capables, qualifiées et spirituelles dans le monde, dont les énergies peuvent être mobilisées pour ?uvrer à la guérison et à la réconciliation le moment venu. « Ca peut être formidable, vous savez ! » ajoute-t-elle.

L’entretien se termine avec une réflexion d’Avigail sur la « traumatisation secondaire » qui peut affecter les volontaires et les militants des droits humains qui sont aux prises avec les populations traumatisées partout dans le monde. « Prenez soin de vous d’abord, » conseille-t-elle, car « vous devez aider les autres peuples... Si je suis capable de travailler de façon soutenue sans m’user... c’est uniquement parce que je me fais passer en premier. »


* Avigail Abarbanel est née et a grandi en Israël. Elle a fait son service dans l’armée israélienne. Elle est allée en Australie à 27 ans et milite pour les droits des Palestiniens depuis 2001. Elle est conseillère en psychothérapie dans un cabinet privé de Canberra.

Son site : http://www.avigailabarbanel.me.uk/
Son adresse courriel : avigail@netspace.net.au.

Du même auteur :

- Un nouveau racisme de la chrétienté
- La psychologie traumatique d’Israël et l’agression contre Gaza
- Instinct de survie ou paranoïa juive ?
- Il faut qu’un changement se produise en Israël
- L’Etat policier israélien

Interview par le blog Tidings - publication le 24 mai 2010 par PalestineThinkTank - traduction : JPP


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