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L’Etat policier israélien

jeudi 12 juillet 2007 - 06h:51

Avigail Abarbanel - The Electronic Intifada

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Soutenir Israël actuellement, c’est comme prétendre que l’Afrique du Sud sous l’apartheid était une démocratie acceptable. C’est comme, aussi, abandonner les Palestiniens, comme le monde a abandonné les Sud Africains noirs (et les blancs dissidents) pendant 45 années.

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La prétendue démocratie israélienne maintient un contrôle strict sur les Palestiniens dans les territoires occupés. Ici, un policier des frontières au check-point à la sortie de Bethléhem, refuse de les laisser aller prier à Jérusalem pour la fête islamique de Leilat al-Qadr, le 18 octobre 2006. (M. Johansson/MaanImages)

Le vendredi 8 juin 2007, mon époux Ian s’est rendu par avion en Israël. En fait, il allait à une conférence sur la technologie de l’information à Vienne, mais nous avons pensé que ce serait sympa s’il faisait un petit détour de trois jours par Tel Aviv pour aller voir mon frère, sa famille, et surtout rencontrer mes nièces de 7 et 5 ans pour la première fois.

A l’aéroport Ben-Gurion, le passeport australien de Ian lui a été confisqué sans aucune explication. Il a été emmené dans une petite salle pour y être questionné et il a dû subir un interrogatoire angoissant à propos de visas saoudiens et libanais sur son passeport. Il était interrogé par une femme au regard dur, en uniforme d’officier de police, pendant qu’un agent en civil observait. L’officier lui a demandé pourquoi il avait ces visas saoudiens et libanais. Quand il a répondu que ce ne pouvait être son passeport parce qu’il ne portait pas de tels visas, elle l’a questionné pour avoir le nom de son père et de son grand-père. Bien que Ian ait répondu à la question dès la première fois, elle a répété trois fois la même question. Ian s’est rendu compte qu’ainsi elle essayait de l’impressionner, malgré une certaine crainte il lui a fait remarquer qu’elle lui avait posé la même question plusieurs fois et qu’il lui avait déjà répondu. Après 25 minutes comme cela, Ian a finalement été libéré sans autre explication avec une petite excuse pour le retard.

En tant qu’ancienne citoyenne israélienne ayant eu un entraînement militaire, je suis familiarisée avec les méthodes psychologiques employées par la police des frontières israéliens (MAGAV) et par les militaires. Ils tentent délibérément d’impressionner leur victime et de la garder dans un état d’incertitude : que se passe-t-il, à quel sujet, où sont ses papiers ? Ils savent que les ressortissants étrangers se sentent perdus sans leur passeport et que l’incertitude mène la plupart des gens à la crainte et à une tension. Ils savent aussi que l’assurance de la plupart fléchit dans de telles conditions et que, s’il y a quelque chose à divulguer, ça sortira plus facilement ainsi.

Les officiers israéliens sont formés pour observer le langage du corps, les micro-expressions, les sueurs, toutes ces choses. Les questions elles-mêmes ne sont souvent qu’un prétexte pour insuffler une tension, ainsi ils peuvent observer leur victime soigneusement pour voir si elle cache quelque secret. Ils avaient le passeport de Ian. Ils savaient parfaitement qu’il n’y avait pas de tels visas dessus. (Vous devez vous demander : et s’il y en avait eu, que lui serait-il arrivé alors ? Les citoyens australiens sont libres de visiter tous les pays qu’ils souhaitent ! Mais il semble qu’en Israël, si vous avez de « mauvais » visas sur votre passeport, vous devenez suspect. Naturellement, nous ne saurons jamais si l’histoire à propos des visas a été la véritable raison de sa courte détention.)

Israël et ses défenseurs présentent souvent Israël comme « la seule démocratie au Moyen-Orient », un régime éminemment démocratique dans une région non démocratique. Cela est supposé nous le rendre plus sympathique et justifier notre soutien à son égard. Mais la démocratie israélienne est un mythe.

Pendant mes 27 années passées en Israël, je me situais dans le courant majoritaire israélien. J’étais juive, née en Israël et laïque. J’étais une citoyenne ordinaire qui avait fait son service militaire, l’Israélienne par excellence, je n’étais impliquée dans aucune activité politique ou militante d’aucune sorte. Je m’occupais de mes propres affaires, soucieuse de mes finances, de mon travail, de mes études, de ma petite vie personnelle. On ne pouvait pas dire de moi que j’étais une « causeuse de trouble » même en faisant un grand effort d’imagination. Quiconque me rencontrait alors pouvaient supposer que je partageais l’idéologie israélienne en vigueur. Et franchement, ils étaient dans leur droit.

Bien que la vie quotidienne en Israël pouvait être énervante, surtout si on avait à faire à la bureaucratie, nous avions un sentiment de sécurité sachant que si agaçantes que nos autorités puissent être, elles ne se retourneraient jamais contre nous. Effectivement, cela ne nous serait même pas venu à l’idée. Parce que je faisais partie de ce centre confortable de la société israélienne, je me trouvais aussi dans l’ignorance de ce dont Israël était capable, et de ce que pouvait signifier ne pas en faire partie.

La première fois que j’ai goûté à ce qui était encore pour moi un « statut » inhabituel, ce fut il y a environ 17 ans quand mon ex-mari (Israélien comme moi) et moi-même envisagions d’émigrer en Australie, nous en étions aux dernières démarches pour recevoir notre droit de séjour permanent. Mon ex, ingénieur et capitaine dans l’armée, presque en fin de contrat, a déclaré soudain, un après-midi, et sans plus d’explication, qu’il devait se présenter à un certain endroit pour avoir une « discussion » avec quelqu’un de la police militaire.

Nos projets pour quitter Israël n’étaient pas secrets. Quitter Israël n’est pas un crime et l’Australie ne se trouve pas sur la liste des pays que les officiers israéliens impliqués dans les plans secrets de l’armée ont l’interdiction de visiter ou d’habiter une fois leur service terminé (oui, une telle liste existe bien). De toute façon, il n’y avait aucune raison pour que mon ex-époux soupçonne que cette « discussion » puisse avoir quelque chose à faire avec nos projets.

Il a été emmené dans une petite salle où il reçut l’ordre de s’asseoir sur une chaise, au milieu de la pièce. Un sergent de la police militaire, une femme, lui tournait autour et a commencé par lui dire : « Nous avons découvert que vous projetiez d’émigrer en Australie », ce à quoi il a répondu : « Et alors ? il n’y a pas de secret. » Elle a rétorqué agressivement qu’il devait la fermer et que c’était elle qui posait les questions. Puis elle a entrepris de lui demander : « Pourquoi partez-vous ? » et, « Votre épouse sait-elle que vous envisagez de partir ? ». Apparemment, l’armée avait eu connaissance de nos projets par la police alors que nous faisions les démarches pour obtenir l’autorisation de l’immigration australienne. Ils devaient donc savoir que nous étions concernés tous les deux. Les questions, clairement, n’étaient pas posées pour être prises au pied de la lettre. Au début, mon ex a répondu à la question, mais quand il a compris l’absurdité de la situation, il a commencé par se sentir agacé. Puis il a dit au sergent qu’il ne voyait pas l’objet de la conversation et qu’à moins qu’elle n’ait une accusation à porter contre lui, il allait s’en aller. Elle lui a répondu à nouveau avec agressivité, lui s’est levé, il lui a rappelé qu’il était capitaine et elle sergent, et il a quitté la pièce.

En l’absence de toute autre information sur cet incident, nous en avons conclu que c’était une tentative pour nous pousser à ne pas partir. Naturellement, celle-ci était basée entièrement sur la psychologie car l’armée n’avait aucune raison ni moyen juridique de nous l’interdire.

Jusqu’à ce que l’armée ne découvre que nous partions, mon époux en tant qu’officier de carrière et moi-même en tant « qu’épouse de » étions traités avec un grand respect dans la société israélienne et dans l’armée. Nous n’en faisions pas seulement partie, nous y avions une place d’honneur. Par leur choix d’un sergent féminin, ils voulaient l’humilier (je ne veux pas par là faire offense aux femmes mais c’est une culture dans l’armée israélienne). Celui qui a imaginé cette man ?uvre d’intimidation a voulu montrer à mon ex que son rang et son statut ne signifiaient pas grand-chose s’il s’engageait sur une « mauvaise » voie. Nous étions en colère mais surtout choqués qu’il ait pu être traité ainsi juste parce nous voulions quitter Israël. C’est une chose de rencontrer une désapprobation chez des amis et des parents dans des conversations ordinaires. C’en est tout à fait une autre de faire l’objet d’un interrogatoire menaçant par la police militaire. Notre décision de partir nous avait placés apparemment dans une nouvelle position au sein de la société, exclus du confortable courant majoritaire. Quand, finalement, nous sommes partis, fin 1991, nous l’avons fait avec un goût amer dans la bouche, nous avions entrevu une vision d’un Israël que nous ne connaissions pas.

Demandez à n’importe quel Palestinien et il vous racontera des histoires bien pire - franchement, il n’y a aucune comparaison. Les Palestiniens n’y peuvent rien mais ils sont vus comme des étrangers, qu’ils soient citoyens d’Israël ou réfugiés dans les territoires occupés, qu’ils soient des enfants ou des adultes, des hommes ou des femmes. Tous les Palestiniens vivent sous une surveillance constante de l’armée et de la police. Ils ne connaissent rien de la démocratie israélienne mythique. La « démocratie israélienne » est quelque chose de réservée aux privilégiés et la plupart du temps, à une élite ignorante, dont j’étais membre jusqu’à ce que j’ai décidé de partir. Les citoyens palestiniens d’Israël vivent dans un Etat policier arbitraire et violent. Dans leurs relations avec la bureaucratie israélienne, ce n’est pas juste énervant, cela peut être vraiment dangereux.

Les Palestiniens dans les territoires occupés vivent sous un régime semblable à celui de Pinochet. Ils peuvent, et c’est le cas, disparaître en plein milieu de la nuit. Ils ont les yeux bandés, ils sont giflés, battus, humiliés, emmenés dans des lieux non révélés sans aucune information à leur famille, ils sont torturés physiquement et psychologiquement, incarcérés indéfiniment, souvent sans charge et sans chercher à savoir s’ils sont coupables de quelque chose. C’est l’arbitraire et cela peut arriver à n’importe lequel d’entre eux. C’est une autre version, bien pire, des deux incidents que je vous décris mais les principes de base en sont les mêmes.

Dans un régime comme celui-là, il n’est pas nécessaire de faire vraiment quelque chose de mal pour recevoir ce traitement. C’est parce qu’il n’est pas conçu seulement pour arrêter les gens qui violent la loi, il est conçu pour être une sorte de mise en garde, une menace latente. Il est là pour étaler la puissance de l’Etat, montrer aux gens combien ils sont petits et faibles comparés à l’Etat puissant, et leur donner un avant-goût de ce qu’il leur arriverait si jamais ils ne faisaient même que penser s’y opposer. Dans le cas des Palestiniens, de telles méthodes sont conçues pour rendre leur vie quotidienne insupportable afin de briser leur mental et les pousser à partir. Après tout, ce que veut Israël c’est toute la terre, mais sans le peuple, quelque chose que beaucoup en Occident se refusent encore à reconnaître.

Israël n’est pas un pays agréable. C’est un Etat policier puissant fondé sur une paranoïa pathologique avec seulement un vernis de civilité, soigneusement travaillé et maintenu à l’attention de ceux qui croient encore au mythe de la démocratie israélienne. Les Israéliens bien pensant vivent dans une bulle fictive qui les coupe de la réalité. S’il y a une démocratie ici, seul ce groupe de privilégiés en profite - tout à fait comme la population blanche conformiste de l’ancienne Afrique du Sud. Soutenir Israël actuellement, c’est comme prétendre que l’Afrique du Sud sous l’apartheid était une démocratie acceptable. C’est comme, aussi, abandonner les Palestiniens, comme le monde a abandonné les Sud Africains noirs (et les blancs dissidents) pendant 45 années.


Avigail Abarbanel est une ancienne conseillère israélienne en psychothérapie. On peut la contacter sur son site : http://avigail.customer.netspace.net.au/.

9 juillet 2007 - The Electronic Intifada - Traduction : JPP


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