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Turquie/Israël : nouveau coup dur

jeudi 21 janvier 2010 - 06h:12

Gareth Jenkins
Al-Ahram/Weekly

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L’actuelle crise diplomatique entre la Turquie et Israël sonne la fin de tous les rêves qui auraient pu être nourris pour former une alliance stratégique entre les deux pays, écrit Gareth Jenkins.

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Le vice-ministre israélien Dayalon toisant l’ambassadeur turc Ahmet Oguz Celikkol, convoqué au ministère des Affaires étrangères israélien.




Les relations fragiles entre la Turquie et Israël sont tombées à leur niveau le plus bas la semaine dernière quand les répercussions d’un feuilleton ultranationaliste turc ont déclenché une crise diplomatique ouverte et que le gouvernement turc a réagi avec colère à ce qu’il a considéré comme une humiliation publique délibérée de l’ambassadeur turc en Israël, menaçant de rappeler son ambassadeur à Ankara, à moins qu’Israël ne s’excuse publiquement de façon non équivoque pour ses actes.

Dimanche, l’épisode du feuilleton turc, La Vallée des loups, montrait des membres des services de renseignements israéliens, le Mossad, kidnappant des bébés turcs pour les convertir au judaïsme. Le film montrait aussi des agents du Mossad attaquant l’ambassade turque à Tel-Aviv et prenant l’ambassadeur et sa famille en otage.

Le lundi, le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, publiait une attaque en règle contre Israël pour ses frappes aériennes contre les Palestiniens de Gaza.

« Pourquoi a-t-il fait cela ?, parce qu’Israël prétend "Je détiens le pouvoir dans cette région" » déclarait Erdogan. « Il détient un pouvoir exorbitant et il s’en sert. Il ne respecte pas les résolutions des Nations unies. Israël dit, "Je ferai ce qu’il me plaira".  »

Et Israël de réagir en publiant une déclaration tout aussi dure : « L’Etat d’Israël se réserve le droit absolu de protéger ses citoyens contre les attaques de missiles et le terrorisme du Hamas et du Hezbollah. La Turquie est le dernier pays à pouvoir donner des leçons de morale à Israël et aux FDI (Forces de défense israéliennes). »

Lundi, Ahmet Oguz Celikkol, ambassadeur turc en Israël, était donc convoqué au ministère des Affaires étrangères israélien pour recevoir une protestation officielle concernant le feuilleton et la déclaration d’Erdogan. La colère est devenue fureur en Turquie quand la télévision israélienne a montré Celikkol, assis sur un canapé bas, face au vice-ministre israélien des Affaires étrangères, Danny Ayalon, qui lui, était perché sur une chaise bien plus haute. Profitant du fait que Celikkol ne parle pas hébreu, Ayaln a déclaré au caméraman israélien : « L’important, c’est que les gens voient qu’il est assis tout en bas, et que nous, nous sommes en haut. »

Dans une Turquie toujours sensible à la moindre chose qui touche à son image, une telle humiliation publique de son ambassadeur ne pouvait que provoquer une indignation générale. Dans une série de déclarations, les officiels turcs condamnèrent avec virulence les actes d’Ayalon et menacèrent de rappeler leur ambassadeur, à moins que le gouvernement israélien ne présente publiquement des excuses, promptes et sans équivoque. Nul n’y était [alors] disposé.

Bien que l’actuelle crise marque le point le plus bas dans les relations israélo-turques, elle n’est que la dernière de toute une série de querelles et confrontations intervenues au cours de ces douze derniers mois. En janvier 2009, Erdogan a claqué la porte avec fracas au sommet du Forum économique mondial de Davos, en Suisse, pour protester contre l’agression militaire d’Israël contre Gaza, disant franchement au président israélien, Shimon Peres, « vous savez très bien comment tuer ». En août, le gouvernement turc a annulé brusquement la participation israélienne à des exercices militaires trilatéraux, planifiés de longue date, qui impliquaient la Turquie, Israël et l’OTAN (sous l’égide des Etats-Unis). Les officiels turcs ont par la suite expliqué qu’ils n’avaient pas pensé opportun de permettre à des avions de combat qui avaient pu utiliser des bombes contre des civils palestiniens de participer à des manoeuvres dans l’espace aérien turc.

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Janvier 2009, à Davos, Erdogan claque la porte pour protester contre l’agression israélienne contre Gaza.

La détérioration des relations israélo-turques est en opposition frappante avec la situation des années 90, où beaucoup d’analystes prédisaient alors que la signature d’une série d’accords dans les domaines de l’entraînement militaire et de l’industrie de la défense, entre les deux pays, annonçait le début d’une alliance stratégique dans la région. Les relations ont commencé à se refroidir quand le Parti de la Justice et du Développement (AKP), parti politique turc modéré islamiste, est arrivé au pouvoir en novembre 2002. Néanmoins, en 2007 et en 2008, l’AKP était encore en assez bons termes avec les Israéliens pour pouvoir s’acquitter du rôle de médiateur dans les pourparlers indirects de paix entre Israël et la Syrie. Toutefois, les négociations ont tourné court en décembre 2008 quand Israël a déclenché son incursion militaire dans la bande de Gaza, quelques jours seulement après que des officiels israéliens aient assuré à Erdogan qu’ils n’avaient aucun projet de la sorte.

Par conséquent, l’horreur générale, dans toute la Turquie, devant les images télévisées de femmes et d’enfants palestiniens se faisant assassiner par les FDI s’est trouvée renforcée par un sentiment de trahison. Au cours des semaines qui ont suivi, la Turquie a été submergée par une vague de manifestations anti-israéliennes. Même si la colère publique a finalement commencé à tomber, elle ne s’est jamais complètement dissipée. En même temps, l’éclat de colère d’Erdogan à Davos a marqué un changement, chez les Israéliens, dans leur façon de percevoir l’attitude des Turcs à leur égard.

« Avant Davos, nous avions l’habitude de penser que, dans l’ensemble, les Turcs nous aimaient bien, » dit une femme d’affaires israélienne. « Je ne crois pas que quelqu’un puisse penser cela maintenant ».

En privé, certains officiels israéliens condamnent l’humiliation préméditée de Celikkol par Ayalon, la qualifiant d’humiliante et non diplomatique. Mais pour beaucoup de Turcs, elle est maintenant considérée comme révélatrice de l’attitude d’Israël dans son ensemble.

Il est possible, au bout du compte, que la Turquie et Israël rétablissent des relations de travail cordiales. Mais il ne fait aucun doute que pour beaucoup dans ces deux pays, la présente crise est une preuve irréfutable que les rêves que les uns ou les autres ont pu nourrir pour un partenariat stratégique entre la Turquie et Israël se sont maintenant bel et bien envolés.

Sur le même sujet :

Deux articles de Leila Mazboudi - Al-Manar :
- Israël humilié après avoir humilié
- Turquie, terrain perdu d’Israël ??

- Le coup de sang d’Erdogan à Davos et l’avenir de l’Etat turc
de George Friedman - Global Intelligence Report
- Turquie/Israël : les positionsde Galal Nassar - Al-Ahram/Weekly
- Erdogan à Davos : une gifle donnée à Shimon Peres - Al-Jazeera


* Gareth Jenkins est journaliste, analyste, écrivain et éditeur, basé à Istanbul. Il écrit régulièrement pour l’Eurasia Daily Monitor ; il est correspondant du Sunday Times et du quotidien Al-Ahram, pour lesquels il écrit des articles, des grands reportages et des analyses sur la politique turque et régionale.

Son dernier livre, Political Islam in Turkey : Running West, Heading East ? est paru en mai 2008 aux USA et en Europe en novembre. Il a aussi écrit d’autres ouvrages, dont Context and Circumstance : The Turkish Military and Politics (2001),
(Source- octobre 2008)

Al-Ahram/Weekly - Publication du 14 au 20 janvier 2010 n° 981 - traduction : JPP


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