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Turquie/Israël : les positions

mardi 17 février 2009 - 06h:06

Galal Nassar
Weekly Ahram

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Galal Nassar évalue les évolutions récentes du rôle régional de la Turquie.

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Le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan.

Beaucoup se demandent si la crise dans les relations israélo-turques a atteint le point de non retour. Le clash à Davos entre Recep Tayyip Erdogan et Shimon Peres nuira-t-il de façon durable aux « liens spéciaux » anciens qui existent entre Israël et la Turquie ?

Israël a essayé de dédramatiser. La ministre des Affaires étrangères Tzipi Livni, tout en admettant certains dommages, a prétendu que les liens bilatéraux étaient trop importants pour chacune des parties pour les sacrifier dans une chamaillerie à propos de Gaza. Les officiels turcs, tant au ministère des Affaires étrangères que dans l’armée, ont été prompts aussi à séparer la crise sur Gaza des intérêts à long terme de la Turquie et d’Israël.

Des personnalités européennes et étasuniennes, dont des activistes juifs, ont également essayé de se faire les médiateurs entre les deux pays. La réussite de ces efforts dépendra largement des causes des tensions actuelles dans les relations israélo-turques. Si tout cela ne tient qu’à Gaza, et à Gaza seulement, alors peut-être ne sera-ce qu’une tempête dans un verre d’eau. Mais je soupçonne que cette récente démonstration montrant des nerfs à vifs nous cache bien des choses.

Réfléchissons un instant sur les relations régionales du gouvernement Erdogan. Le gouvernement turc entretient des relations anciennes avec le Hamas, de même qu’avec d’autres partis se revendiquant de l’Islam. Ankara a beaucoup fait en tentant de persuader les Européens et les Américains de mieux traiter le Hamas, arguant que le mouvement pouvait jouer un rôle important et positif dans le processus de paix. Les officiels turcs ont dénoncé sans ambiguïté l’assassinat par Israël du fondateur du Hamas, Sheikh Ahmed Yassin.

Des sourcils se sont levés en Israël quand le gouvernement Erdogan a entraîné les relations turco-syriennes jusqu’au point de prendre les décisions. Israël ne voit pas d’inconvénient à la médiation turque avec la Syrie mais il tolère, plus qu’il n’encourage, les liens étroits entre la Syrie et la Turquie.

Pour Erdogan, l’attaque d’Olmert contre Gaza a été une insulte directe à la Turquie, d’autant plus qu’Olmert avait été reçu chaleureusement à Ankara quelques jours seulement avant le déclanchement de l’attaque. La visite d’Olmert en Turquie était censée faire progresser les discussions avec la Syrie.

Outre la position officielle turque, les citoyens ordinaires se montrent solidaires de la population de la bande de Gaza. Non seulement ce soutien fut évident à Istanbul où les groupes islamiques et gauchistes ont toujours exprimé leur sympathie à l’égard des Palestiniens, mais aussi dans de nombreuses autres villes turques.

Erdogan, avec sa fine maîtrise de l’opinion publique, a su en permanence que le peuple turc allait être remué par les horreurs qui se déroulaient dans la bande de Gaza. Et puis, il y a la problématique de ce que j’appellerais, le néo-ottomanisme, faute d’un meilleur terme.

Les Turcs ont été dernièrement très actifs dans la région. La Turquie joue un rôle important en Iraq. Elle a noué des liens étroits avec la Syrie, économiques autant que politiques. Elle a signé un traité d’exemption douanière avec l’Egypte. Les hommes d’affaires et les industriels turcs sont venus en masse travailler en Egypte. La Turquie a des liens étroits avec le Qatar. Ses relations deviennent amicales avec les Saoudiens. Elle envoie des fonctionnaires dans la plupart des pays arabes de façon régulière. Les entrepreneurs turcs ont lancé des projets de développement dans toute la région arabe.

Grâce à l’idéologie islamique du Parti de la justice et du développement (AKP), le gouvernement Erdogan a eu toute facilité pour communiquer avec les groupes islamiques arabes, y compris avec le Hamas. Le drapeau turc, ou ottoman, réapparaît dans les territoires arabes pour la première fois depuis 80 ans. Au lendemain de la guerre du Liban de 2006, les Turcs ont offert leur participation dans la force internationale de maintien de la paix sur la frontière israélo-libanaise. Les soldats turcs se sont ainsi à nouveau déployés sur une terre arabe, mais sous l’égide des Nations unies.

La Turquie est membre de l’OTAN depuis le début des années 1950. Son armée est citée comme l’une des plus importantes de l’OTAN, la seconde après celle de l’Amérique. A ce titre, la Turquie est un acteur important du bloc occidental et a agi en conséquence tout au long de la Guerre froide. Même durant la crise géorgienne de l’été dernier, où Ankara a adopté une position de neutralité, ce n’est pas un secret que la Turquie a contribué, directement et indirectement, à l’armement de la Géorgie.

La Turquie fut le premier pays islamique à reconnaître Israël et en 1996, les deux pays ont signé un accord de coopération militaire. Des dizaines d’entreprises [turques] fonctionnent en Israël. Et la Turquie s’efforce, avec difficultés, de rejoindre l’Union européenne depuis quelques années maintenant.

Il existe une dichotomie dans tout ce qui précède. La Turquie est déchirée entre deux directions, tirée par des forces contraires. L’AKP se trouve face à un dilemme, si ce n’est une crise identitaire.

Les gouvernements turcs, dont ceux de Turgut Ozal et de Bulent Ecevit, ont montré de la compassion pour les Palestiniens et généralement, ils ont essayé d’impulser les relations turques avec les pays arabes. Mais aucun de ces Premiers ministres, et certainement pas depuis la Deuxième Guerre mondiale, n’a vu l’avenir de la Turquie en dehors de l’alliance occidentale. Depuis que l’AKP est au pouvoir, un changement de perspective semble se prononcer, faisant naître des contradictions qui doivent être analysées.

Le gouvernement AKP fait tout son possible pour entrer dans l’Union européenne. Les négociations pour son adhésion, bien que bloquées, ont un impact national favorable. La Turquie est en train de devenir une société plus démocratique et plus humaine, moins radicale et généralement plus souple dans son engagement pour la laïcité. La Turquie essaie également de réduire l’intervention du militaire dans le politique.

Les dirigeants turcs ne sont pas des rêveurs. Ils réalisent que l’Europe ne peut, au moins dans l’immédiat, laisser la Turquie devenir membre à part entière de l’Union européenne. Dans le même temps, ils voient la possibilité de marquer des points dans le domaine diplomatique à l’extérieur de l’Europe, dans la région qui fut autrefois l’Empire ottoman, dont le monde arabe, les Balkans, le Caucase et l’Asie centrale.

Je ne veux pas dire que les dirigeants turcs actuels nourrissent des ambitions impérialistes ou qu’ils se fient entièrement à un discours nationaliste. Mais ils montrent qu’il est possible de renforcer leurs relations avec les pays voisins, empire ou pas empire.

La nouvelle politique turque n’est pas fondée sur les liens passés. La Turquie est en train de réaliser que l’identité d’un pays n’est pas une chose unidimensionnelle. Un Turc reste un Turc même s’il se voit lui-même comme un musulman, un Kurde, un Arabe ou un Européen.

Ce qui vaut pour les Turcs vaut aussi pour les Arabes syriens et égyptiens, et pour tous dans cette région diversifiée. Les Turcs ont beaucoup en commun avec les habitants de la région et ils essaient de forger des relations d’un type nouveau avec eux. Ce serait simplifier à l’extrême que de nier l’héritage de l’empire. Une grande partie des Turcs, y compris ceux du parti au pouvoir, voit aujourd’hui la Turquie comme l’héritière de l’Empire ottoman. Mais il serait injuste de considérer la Turquie comme agissant dans le cadre d’une politique expansionniste rudimentaire plutôt qu’avec un sens de la responsabilité à l’égard de ses propres voisins. Au fur et à mesure que grandissent sa conscience d’être un pays d’envergure, une puissance, et sa confiance en elle-même, grandit son sens des responsabilités.

La nouvelle Turquie se voit au c ?ur du monde, y compris du monde occidental. Elle se voit comme une république laïque alors même qu’elle cherche à devenir plus humaine, plus tolérante et plus libre. La Turquie de l’AKP n’est pas sur le point de quitter l’OTAN. Elle n’est pas encline à rompre ses liens avec Israël pour la Palestine.

La Turquie ne rentre pas dans le jeu arabe pour l’évolution des alliances. Elle est fermement opposée à la campagne de l’Occident contre l’Iran sans pour autant cautionner la politique expansionniste de Téhéran. Le gouvernement turc est principalement concerné par le bien-être du peuple turc, et c’est cette préoccupation qui inspire son activité économique dans les pays voisins.

La nouvelle Turquie n’a pas abandonné les fondements nationalistes de la république même si elle tente d’ouvrir sa porte à un pluralisme ethnique et culturel. Ce que j’appelle le néo-ottomanisme est loin d’avoir pris sa forme définitive.

Israël va essayer de garder la Turquie de son côté. Les Israéliens n’ont pas seulement été choqués par les déclarations publiques du gouvernement turc. Ils ont été scandalisés par la campagne de mobilisation conduite par le ministre turc de l’Education dans les écoles du pays. Et ils ont été consternés par la participation de l’AKP aux manifestations qui exigeaient que l’armée turque « marche sur Jérusalem ».

Mais tout comme Israël a des problèmes avec le gouvernement Erdogan, ce dernier reçoit des plaintes des siens eux-mêmes. Des dirigeants turcs ont été choqués par les rapports de coopération entre Israël et les groupes de sécessions kurdes. Ces rapports ne sont plus secrets. Un journaliste étasunien, Simon Hersh, vient de publier tout un article sur les liens du Mossad avec le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). Ces officiels furent si furieux que leur réaction fut décrite par les journaux israéliens comme une vague d’antisémitisme.

Israël évoque toujours le temps où les Turcs auraient agi comme des anti-arabes et anti-palestiniens, rien que pour apaiser l’Occident. Maintenant, cependant, il est difficile d’imaginer des relations israélo-turques revenant aux « relations spéciales » de jadis. L’accroissement du ressentiment contre Israël dans l’opinion publique turque suffit à mettre un frein sur les liens pour la période à venir. Selon de récents sondages, 80% des Turcs soutiennent la position sévère de l’AKP sur Gaza.


L’auteur peut être contacté à l’adresse : gnassar@ahram.org.eg

Edition 12-18 février 2009 - Weekly-Ahram - traduction : JPP


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