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L’honneur bafoué de la Nation

samedi 6 janvier 2007 - 12h:06

Idan Landau - Ynet

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Derrière l’emprisonnement de Tali Fahima, se cache une offense terrible, pas la justice ni un souci du bien de la population. Tali Fahima est apparue comme frayant avec le Diable.

Tali Fahima est restée deux ans, cinq mois et 26 jours en prison et aujourd’hui, elle a été libérée. De ces 877 jours d’une peine cruelle et humiliante, aucun n’est justifié. Tali Fahima n’est pas la première prisonnière politique en Israël. Vanunu l’a précédée, ainsi que les chefs du mouvement islamique, cinq objecteurs de conscience et d’autres. Tous ont passé des mois et des années en prison, non pas en raison d’un préjudice réel causé à l’Etat d’Israël et à la sécurité de ses habitants, mais pour avoir défié - avec un culot étonnant - la doctrine dominante et pour avoir fait le pire de tout : avoir tendu à l’ennemi une main pacifique, sans clins d’ ?il ni ruses. C’est impardonnable : le « processus de paix » ne tolère pas d’avancée réelle vers la paix.

Mais le cas Fahima se singularise aussi par rapport aux autres cas. En juillet 2005, lors de la prolongation de sa détention qui durait déjà depuis un an, la juge Deborah Berliner a décrété : « La loyauté de Fahima ne va pas à l’Etat d’Israël et Fahima constitue dès lors toujours un risque ». Pourtant, la justice était avec elle : la loyauté de Fahima aux valeurs de la vie et de la justice l’emportait sur la loyauté envers un Etat qui piétine ces valeurs-là. Fahima représente un espoir de paix, donc un danger pour l’Etat.

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. Il vous est interdit de parler à Zubeidi ou de le rencontrer ?
. Ça m’est interdit.
(T. Fahima lors de sa libération)

Et tout ça à propos de quoi et pourquoi ? Au terme d’une campagne fomentée contre Tali Fahima, et à laquelle les médias se sont joints avec une joie indécente, la Sécurité Générale n’a pas réussi à lancer d’accusation plus grave que celle-ci : Fahima a traduit, de l’hébreu, pour des hommes recherchés qui, de toute façon, connaissent l’hébreu, un document militaire confidentiel - ce document, ce n’est pas elle qui l’avait perdu, et ce n’est pas elle qui l’avait trouvé.

Tout le long du chemin, la pauvreté criante des charges lancées par l’Etat n’a cessé de renforcer le soupçon que derrière la détention de Fahima se cachent des considérations étrangères, empruntées à un tout autre monde. Les indices abondent. Les sales méthodes d’investigation de la Sécurité générale (Shabak), les allusions incessantes à l’esprit embrouillé d’une jeune femme naïve et romantique, les mauvais traitements des services pénitentiaires, la totale liberté que se sont octroyée des fonctionnaires en parlant de Fahima.

Les plaintes de Fahima à propos du manque d’un vêtement chaud et d’une nourriture convenant à l’alimentation humaine ont eu droit au mépris israélien typique, mélange répulsif d’arrogance et de plaisanteries de boutonneux qui jouent aux adultes (« Ces propos permettent de comprendre que jusqu’à son arrestation, elle était habituée à une nourriture de gourmet », avait alors répondu un responsable des services pénitentiaires). A un certain moment, c’était devenu un sport national de taper sur Tali Fahima et de lâcher un gros pet dans les médias. Tout le monde était de la fête : la Sécurité générale, la Justice, les services pénitentiaires, les médias, les programmes de divertissement, et bien sûr les internautes.

Derrière tout cela se cachait une offense terrible. Pas la justice, ni un souci du bien de la population - une offense irritante, cuisante. Tali Fahima est apparue comme frayant avec le Diable, et la famille ne pardonne pas. Pour des filles de roi comme elle, l’honneur est à l’ intérieur. Avec une colère de Patriarche blessé et trahi, l’Etat d’Israël a réclamé vengeance. Tali Fahima a été maintenue en détention sur fond d’honneur national bafoué.

Tout jouait contre elle. C’est une mizrahi, c’est une femme, elle a une grande gueule et elle tourne en dérision l’opinion générale. Elle est un chiffon rouge devant nos yeux noyés de sang. Alors nous l’avons jetée en prison et nous avons tenté de lui faire rendre l’âme jusqu’à ce qu’elle se repente de ses actes (mais elle ne s’est pas repentie), jusqu’à ce qu’elle parle comme il faut (mais elle a continué à répondre effrontément), jusqu’à ce qu’elle soit brisée et avoue, avec des larmes amères, qu’il n’y a pas d’occupation, ni de Palestiniens à figure humaine, que l’armée d’Israël est l’armée la plus morale du monde et qu’il est interdit, interdit, interdit de se rendre à Jénine.

Fahima a été libérée de prison, Israël est sorti de Jénine, Zakariya Zubeidi circule librement. Durant les 877 jours où le péril sécuritaire Fahima a été mis sous les verrous, on n’a pas perçu d’amélioration significative de la sécurité des citoyens d’Israël. L’Etat, de son côté, continue de punir pesamment tous ceux qui tentent d’établir des relations humaines traversant la Ligne Verte. La loi de citoyenneté et d’entrée en Israël est un exemple. L’interdiction de conduire des Palestiniens à bord de véhicules israéliens en est un autre. A petites doses, le message est instillé - on n’entre pas en contact avec ceux qui se trouvent de l’autre côté du mur de séparation, car ils sont impurs.

Le plus accablant est peut-être l’insupportable facilité avec laquelle un pays tout entier, vieillards, femmes et enfants, a été excité contre un petit bout de femme dont la culpabilité n’a jamais été démontrée. Les dirigeants ont poussé sur les bons boutons et le troupeau s’est mis à galoper de l’avant, c’est-à-dire en arrière, c’est-à-dire à droite toute, jusqu’à tomber dans un abîme inexpiable d’injustice.








Idan Landau est professeur de linguistique à l’Université Ben Gourion, dans le Néguev.

Idan Landau - Yediot Aharonot, le 3 janvier 2007
Traduit de l’hébreu par Michel Ghys

Lire en ligne l’article de Michel Warschawsky : Mon héros personnel : Tali Fahima


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